Note de lecture


Le chômage, fatalité ou nécessité ?
P.Cahuc & A.Zylberberg (2004)

Enfin. Enfin un livre qui parle du chômage en montrant le meilleur de ce que les économistes ont à dire sur le sujet. Enfin un livre qui sort des sentiers battus de la pensée pour aborder son sujet de façon rigoureuse. Enfin des économistes français qui montrent que le talent pédagogique peut accompagner la plus belle rigueur scientifique.
Ce sont les réactions qui viennent immédiatement à la lecture de ce livre consacré au chômage, et ce dès les premières pages. Soyons honnêtes : cela fait bien longtemps qu’un livre d’économie français n’avait pas généré un tel plaisir de lecture et un tel intérêt.
Cahuc et Zylberberg ne sont pas des inconnus. Ils sont les auteurs de plusieurs excellents ouvrages en économie du travail, des manuels, des livres de vulgarisation, ainsi que de nombreuses études économiques sur le sujet dans des revues de recherche austères. Autant dire que lorsqu’ils décident d’écrire un ouvrage à l’attention du grand public et pas seulement des spécialistes, on s’intéresse. Et on n’est pas déçus.
Ce qu’on apprécie par dessus tout, c’est le fait que les auteurs apportent au débat sur le chômage ce qui lui manque cruellement : l’analyse économique récente. Alors que la majorité des analystes (ne parlons même pas des politiques) en sont restés à une version désormais archaique de l’économie (au mieux, l’ineffable débat “supprimons le smic vs relançons la demande par les grands travaux…”), et que les idées reçues sur le sujet foisonnent (le chômage va disparaître avec la retraite des babyboomers, par exemple).
Les auteurs développent leur analyse en trois temps. Dans un premier temps, ils montrent que contrairement à ce que l’on croit, les emplois n’ont pas vocation à être stables dans une économie en croissance. Chaque jour, en France, 10 000 emplois sont détruits, 10 000 emplois sont créés. Ce rythme énorme, conduisant à ce que chaque année 2.3 millions d’emplois sont détruits et créés (15% des emplois existant, constante rencontrée dans tous les pays). Comparé à cela, le résultat net (créations ou destructions nettes d’emplois) est dérisoire. En moyenne depuis 1970, la différence entre destructions (15% des emplois existant) et créations (15.5%) a abouti à des créations nettes dont le nombre est faible comparé au mouvement total. Ce qui se passe n’est donc pas la fin du travail, mais la recomposition permanente des emplois au rythme de la croissance. La croissance en effet correspond à l’accroissement de la productivité : or cet accroissement passe par la destruction créatrice, phénomène connu depuis longtemps mais dont on ignorait jusqu’à une date récente l’ampleur. Autre chose surprenante, le déversement : les secteurs qui détruisent des emplois sont aussi des secteurs qui en créent. Le déversement de secteur à secteur est marginal comparé aux modifications internes aux secteurs d’activité, les entreprises étant remplacées par d’autres entreprises plus efficaces. Contrairement aux idées reçues, la balance-emplois liée aux échanges extérieurs est positive depuis 1990 en France; et les licenciements boursiers sont un mythe (les entreprises qui licencient voient leurs cours baisser, ce qui est logique : les licenciements sont les signes de leur faible productivité par rapport à celle de leurs concurrents). Et les plans sociaux qui font la une des journaux ne représentent qu’une part dérisoire des mouvements d’emploi. Idée encore plus étonnante : la disparition des emplois est nécessaire, indispensable à la croissance. Vouloir la fin des destructions d’emploi signifie tout simplement devoir renoncer au progrès économique.
Qu’est-ce qui détermine alors le niveau d’emploi? Pas la population susceptible de travailler. ni l’immigration, ni le travail des femmes ne causent de chômage; et il est vain, et même dangereux, de penser réduire le chômage en réduisant la population active ou le temps de travail. La quantité totale de travail n’est pas fixée, mais dépend d’une série de variables, à commencer par le coût du travail. Les auteurs analysent très finement le rapport entre coût du travail et emploi, et montrent que le salaire minimum, selon le niveau auquel il est fixé, peut soit avoir un effet bénéfique soit un effet nuisible à l’emploi. Pour les bas salaires, les auteurs montrent que les réductions de charges sociales ont un effet positif, et qu’elles sont légitimes dans la mesure ou elles améliorent la situation des plus pauvres. Autre aspect : le travail doit être rémunérateur pour que les gens soient incités à travailler. Or le travail en France, les auteurs le montrent chiffres à l’appui, n’est pas rémunérateur. Un célibataire avec un enfant doit par exemple travailler 41 heures par semaine pour ne pas perdre d’argent en travaillant, si l’on prend en compte l’ensemble des allocations accessibles! Faut-il en conclure que les allocations sont un obstacle à l’emploi? Non, comme le montrent les auteurs. Elles sont nécessaires pour faire face au risque majeur individuel que constitue le sous-emploi. Mais elles doivent être conçues de façon à rendre le travail payant, à l’image de ce qui se fait aux USA avec l’impôt négatif.
Les destructions d’emploi bénéficiant à tout le monde (par la croissance qui les accompagne) il est en effet impérieux que la collectivité préserve les individus contre le risque de chômage. Mais cette protection, en France, est inefficace. Elle n’incite pas les gens à travailler. Elle se contente d’invoquer des mantras, comme la formation, alors que celle-ci pour un coût prohibitif n’a aucun effet sur le chômage.
Il faut absolument lire ce livre, bourré d’études empiriques, d’analyses théoriques, qui apportent une vue exceptionnelle sur la réalité des causes du chômage et des moyens d’y remédier. Il n’est pas possible à la fin de cette lecture de regarder le problème de la même façon.
Alexandre Delaigue
17/03/2004

P.Cahuc & A.Zylberberg, Le chômage, fatalité ou nécessité ?. , Flammarion, 2004 (18 €)

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