Francis Pisani est indigné! sur amazon.com, le même livre est vendu 17,79 dollars en version papier (hardcover) et 21.56 dollars en version électronique pour Kindle. Il trouve inadmissible que, je cite, L’exemplaire digital qui ne doit payer ni les frais de stockage, ni ceux de transport est vendu plus cher que l’exemplaire papier. Mais non, M. Pisani : ceci est tout à fait normal, c’est même une très bonne chose.
Les lecteurs historiques de ce blog savent pourquoi : il s’agit de discrimination tarifaire, et c’est une bonne chose (voir ici et ici par exemple; et souvenez-vous que même Saint Matthieu est d’accord).
Tout d’abord, l’argument du coût de production est sans valeur : certes, l’exemplaire papier supporte le coût de fabrication, de stockage et d’expédition; mais ces coûts sont dérisoires par rapport à l’essentiel des coûts d’un livre, qui sont des coûts fixes. Après tout, à ce compte, on devrait aussi s’indigner de la pratique consistant à vendre les livres au format poche, “paperback” à un prix inférieur à l’édition “hardcover” puisque les coûts de fabrication sont, là aussi, identiques. Ce qui est pertinent pour déterminer le prix d’un livre, c’est le prix que l’acheteur est prêt à payer, et celui que le vendeur est prêt à accepter. Les coûts de production n’ont que peu d’intérêt.
Et il est probable qu’amazon a constaté que les acheteurs de livres possesseurs d’un Kindle (qui reste un objet pour geeks, soyons honnêtes) ont une plus forte disposition à payer que les acheteurs de livres papier. Les deux tarifs ne visent alors qu’à tirer profit de cette différence de comportement. Amazon n’en est pas à son coup d’essai : il y a quelques années, ils modulaient les tarifs en fonction du profil du compte de l’acheteur, conduisant certains d’entre eux à payer plus cher des livres que des acheteurs non identifiés. A l’époque, cela avait provoqué un tel tollé qu’Amazon avait dû faire machine arrière.
Mais c’est bien dommage : après tout, à position concurrentielle identique, avoir la possibilité de moduler les tarifs en fonction des acheteurs permet à Amazon de vendre des livres moins cher à certains acheteurs, accroissant leur diffusion. Il y a même une certaine justice sociale dans cette pratique : les acheteurs à forte disposition à payer, en général, sont plus aisés que ceux qui sont très sensibles à un prix bas.
Evidemment, lorsqu’on est du mauvais côté de la discrimination tarifaire, on s’indigne : pour ma part, n’étant ni assez vieux, ni assez jeune pour bénéficier d’un tarif senior ou “12-25” à la SNCF, je dois chaque année payer la carte permettant de bénéficier de tarifs réduits dans les TGV à un prix de 500 euros, au lieu d’une cinquantaine d’euros comme les autres. Et j’en suis mortifié chaque fois que je vois une antique rombière envahir le même train que moi, chargée d’une armada de bagages Vuitton. Je suis furieux d’avoir payé mon Iphone première génération 399 euros, alors que les acheteurs maintenant peuvent s’offrir une version 3G munie d’un GPS à un prix moitié moindre.
Mais il serait injuste de ne considérer une pratique que lorsqu’elle nous désavantage : grâce aux acheteurs de Kindle, j’aurai la possibilité d’acheter Anathem un peu moins cher. Propriétaires de Kindle, sachez que je vous remercie, et que je compatis.
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Le coup de l’offre et la demande, c’est une vision économiste à court terme. Est-ce que ça va booster le marché du livre numérique que de vendre des ebooks plus chers que les versions papiers ? Bref, à long terme je ne suis pas sûr qu’Amazon soit gagnant.
J’imaginerai une approche inverse : tous les ebooks à 1 Euros, histoire que le marché explose !
Réponse de Alexandre Delaigue
Je suis serein vis à vis d’amazon : cela fait des années qu’ils testent, de façon incrémentale, l’effet de variations minimes de prix, de changements mineurs sur l’affichage des pages web, etc. Soyez tranquille, si leur politique de prix nuit aux ventes de Kindle, ils le sauront bien avant tout le monde.
D’accord avec le message général du billet.
Il me semble que la raison pour laquelle Amazon a supprimé l’ancien système où les acheteurs ne payaient pas la même chose en fonction de leur profil n’est pas seulement le tollé provoqué (perte de réputation), mais aussi que les acheteurs risquaient de faire en sorte de ne plus être identifiés pour payer moins (utilisation d’un autre ordinateur, suppression des cookies, etc.). Or, ces informations sont notamment utilisées pour faire des recommandations (souvent utiles) aux clients, et les inciter à acheter plus (et ça marche !).
Remarquable billet.
Je ne serais néanmoins pas aussi optimiste que vous dans votre dernier paragraphe. Si Amazon est efficace (et il est raisonnable de le supposer), ils sauront identifier que vous avez TRES envie d’acheter Anathem et vous la feront payer juste en dessous du prix maximum que vous seriez près à payer.
Le sacrifice des propriétaires de Kindle va plutôt bénéficier à ceux qui n’auraient pas voulu payer le prix fort pour Anathem et se verront proposer un prix différentié.
Un autre argument en faveur des prix plus cher pour la version Kindle est tout simplement le service rendu qui est supérieur et pour lequel les acheteurs sont prêts à payer plus cher. Je pense notamment à :
– Livraison instantanée (A comparer aux frais importants d’une livraison express d’une version papier, je dirais de l’ordre de 10$)
– Pas de prise de place
– Possibilité de faire des recherches dans le corps du texte ! Qui n’a jamais passer un quart d’heure à feuilleter un livre pour retrouver en vain un passage.
Cela dit, si l’on se reporte à l’article cité de Francis Pisani, son principale reproche n’est pas tant celui du prix inférieur malgré un coût inférieur mais surtout celui de l’évolution de l’offre :
"Amazon a lancé un service sur une offre claire et doit s’y tenir. Ne pas le faire serait une atteinte sérieuse à son image de marque."
Il reproche essentiellement à Amazon d’avoir fait évoluer l’offre tarifaire sur laquelle il s’était basé lors de l’achat de son Kindle. Et il ne dit même pas que c’est indigne mais que bon, l’image de marque d’Amazon ne devrait pas en sortir grandie.
J’ai toujours du mal avec votre argumentation sur la discrimination tarifaire. Pour le revendeur, la désutilité de certains de leurs clients qui achèteront une version "dégradée" du produit (billets de trains achetés à l’avance, livre en dur, …) est une pure externalité. Le client marginal qui hésite entre les deux se voit donc privé d’une bonne partie de son utilité. Sauf aversion absolue aux externalités (auquel cas on ne s’intéresse qu’aux très pauvres et cela règle le problème), l’impact de la discrimination tarifaire sur le bien être global est ambigu, non? Il est positif pour les pauvres qui accèdent au service qu’ils ne pourraient pas avoir, négatif mais négligeable pour les très riches avec une faible utilité marginale de l’argent, et bien négatif pour ceux qui se retrouvent au milieu, non?
C’est toujours pareil, la discrimination tarifaire ne marche vraiment bien que s’il y a une différence visible de prestation ou que les tondus ne puissent faire autrement.
Le cas de la vieille et ses sacs Vuitton entre parfaitement dans cette catégorie puisque les gens capables de se déguiser en vieux pour une carte de réduction ne sont pas légion. Tandis qu’on peut penser que les gens sont prêts à bazarder leurs cookies de navigation pour payer moins, d’autant plus que c’est simple à faire.
Le cas de la vieille pose aussi question: quelle est la part de tradition et celle de discrimination tarifaire? Après tout ce système date d’une époque où les retraités étaient plus pauvres que le reste de la population, et les choses ont bien changé. Qui nous dit qu’ils ont une disposition à payer inférieure aux actifs entre 25 et 35 ans? Qui nous dit que la SNCF ne serait pas soumise à une contrainte extérieure de la part d’un acteur bien connu, l’état, qui est son propriétaire?
La discrimation Amazon se comprend aisement du fait que si on est pas content, on peut aller chez un concurrent.
Mais la discrimination a la mode SNCF est discutable a mon avis. Car l’age (le critere discrimant) est une caracteristique qu’on ne maitrise pas plus que la couleur de nos cheveux ou notre nombre de dents ! On peut me dire que a tous ete jeune pour en profiter. Je repondrai alors: serons nous tous vieux?
Et puis imaginons que Amazon discrime de cette maniere, que dirions non? Alors pourquoi l’accepter de la SNCF? Peut etre parce que c’est une monopole 🙁
@Achille : le principe reste le même : si on fait payer le même prix pour un cadre de 40 ans et un jeune des quartiers pour prendre le train, on n’aura que le cadre pour le prendre (pour simplifier). Or, personne n’y gagne : si le jeune n’est pas assis dans le train dans le wagon de 2nde classe, le cadre en 1ère paie encore plus cher (car les coûts fixes de la circulation d’un train resteront sensiblement les mêmes). Il va sans dire que le jeune qui ne peut pas (ou ne veut pas) s’offrir un billet au prix fort, n’est pas satisfait non plus. Donc, même à la SNCF, c’est tout à fait défendable. Les critères retenus pour parler d’une “réduction” ne sont finalement qu’une ruse marketing pour faire penser que le critère de discrimination a un aspect plus ou moins social ou éthique.
J’ai peut-être une solution pour la SNCF : faire des enfants, et payer quelques dizaines d’euros pour une carte enfant +.
Et se faire plaisir en première à moitié prix, avec ses gosses braillant au milieu des biznessmen (ou pour AD les rombières à sacs Vuitton…).
Désolé.
Betes remarques factuelles: le kindle est un marché captif: on ne peut pas télécharger sur une autre plateforme. Donc pour l’instant amazon taxe non seulement les snobs et/ou les geeks, mais aussi tout qui aurait rééllement besoin d’un livre au format électronique et disponible sur seul appareil. Autrement dit il refont le coup des adaptateurs de transfo de gsm qui ne rentrent que dans le trou X, du format iTunes dont la seule utilité était de garantir un verrou aux vendeurs, etc, et c’est là que le rapport avec les cout de production est pertinent (ie ce n’est pas le service qui augmente le prix, c’est le verrou) Constatons d’ailleurs que dés qu’il y a concurrence ou autre moyen de livraison le prix de la version kindle est moins chére, par exemple l’editeur Apress vendant sur son site des versions pdf lockée, on voit sur amazon que: http://www.amazon.com/Pro-LINQ-L...
Je me demande aussi si et depuis quand amazon est rentable par rapport à sa capitalisation? Si quelqu’un sait.
Un autre exemple de discrimination tarifaire qui semble absurde c’est le télépéage : il entraîne une réduction du coût de facturation pour les autoroutes ( plus de guichetier ou de système mécanique genre lecteur de carte bleue, mais un système sans contact au cout de fonctionnement presque nul, comme pour les passes navigo de la RATP ).
Et pourtant, ce service est facturé 2e, alors que si l’on suivait la pure logique il devrait couter moins cher que le systeme de facturation classique. Et ca vient simplement du fait que comme le télébadge permet de passer les péages plus vite qu’à un guichet classique, les gens sont prêts à payer pour gagner du temps.
En revanche, la grosse différence que je vois entre les autoroutes (ou la SNCF) et Amazon, c’est que ce dernier n’est pas en situation de monopole, et la concurrence devrait normalement les forcer à baisser leur prix pour attirer les clients.
Mais c’est vrai que quand on voit le prix de nombreux produits manufacturés vendus aux states avec un prix en dollars inférieur ou égal à leur prix en euros en France ( Matériel électronique grand public, voire bagnoles ), qui montre que dans un pays les prix peuvent être 50% plus élevés qu’ailleurs sans qu’aucun des concurrents ne cherche à baisser sa marge pour piquer des clients aux autres, ca fait réfléchir sur l’efficacité du système.
M. Johnny H., depuis le camp de réfugiés de la croix rouge pour réfugiés fiscaux nous a fait parvenir sa triste et pénible histoire. Johnny a bien compris l´histoire d´amazon parce qu´il avait déjà vécu une situation semblable de par le passé. En effet, il a observé la discrimination tariffaire que l´État l´a appliqué au moment de lui faire payer les impôts.
-Mêeeerde je paye des millions alors que les salauds de cadres qui voyagent avec moi dans le train quand je vais planquer mon fric en Suisse, ils me disent qu´ils ne payent que quelques milliers par an – dit Johnny.
-Oui, mais -remarque M. l´agent du fisc- vous, vous payez au petit pris le TGV, petit coquin. À chacun son tour. Mais écoutez, si ça ne vous plait pas vous n´avez qu´à acheter votre passeport chez un autre commerçant, mon vieux.
Vous avez les 3 Suisses juste en face ,alors faites pas chier.
Je viens de parcourir vos billets sur les discriminations tarifaires et il y a quelque chose que je ne comprends pas. Comment ça marche pour les discriminations du type « tarif étudiant » au cinéma par exemple ? Est-il vraiment plus judicieux de considérer l’étudiant comme un ensemble uniforme ? Est-ce que ce n’est pas, finalement, l’étudiant dont les parents ont des revenus confortables qui va le plus en profiter (justement parce que lui a le temps d’aller au cinéma) ?
Petite remarque : les discriminations, quelles qu’elles soient, n’ont plus la cote (même lorsqu’elles sont "positives"). Ainsi, on vient d’interdire les barèmes de rémunération liés à l’âge ici en Belgique. Moi, je suis bien content de payer ma place de cinéma moins cher, mais peut-être qu’on va me supprimer cette petite économie ? J’en tremble…
Et une anecdote : à Las Vegas (j’en reviens), une chambre d’hôtel coûte environ trois fois moins cher qu’à New York (j’en reviens également). La discrimination, ici, c’est évidemment la propension au jeu, mais interdire ça est une autre paire de manches !
Avec de tels comportements commerciaux, Amazon, ou les autres, vont s’étonner qu’on soit tentés de se passer de leurs services;c’est tellement plus simple de télécharger en torrent, et en plus, ça ne coûte rien.