Liveblogging : forum de Paris

Je suis aujourd’hui au forum de Paris, conférence dont le thème est cette année “50 ans après le traité de Rome : quelle Europe pour quels européens”. Le programme des conférences est alléchant; je suis surtout là pour les conférences de l’après-midi consacrées aux questions économiques. Je suis curieux de voir ce que donnera la conférence avec Fitoussi, Phelps, Rosanvallon, Peter Mandelson, et quelques autres. En ce moment, Strauss-Kahn, nous offre une présentation parfaitement politicienne et creuse. Il n’y a pas grand-chose à attendre des politiques dans une conférence comme celle-ci dans un contexte de campagne; même s’il faut admettre qu’Hubert Védrine a offert hier soir une synthèse élégante et très claire des problèmes européens. Restez en ligne, ce post devrait être mis à jour régulièrement.

11h40 : belle prestation de Jean-Louis Bourlanges. Résumé : contrairement aux idées reçues, l’Europe fonctionne, n’est pas “bloquée”, “en crise” mais en situation de langueur; Le problème est l’absence de projet et de définition de ce qu’est l’Europe. Ou va-t-on, que veut-on faire? Il est difficile de lui rendre justice mais il a la grande qualité de sortir de la perspective franco-française sur l’Europe pour montrer la question. Il montre bien comment tous les problèmes posés en Europe, dans tous les pays, est “qui, quoi, comment”. Qui est en Europe, est-ce une super-organisation internationale ou un ensemble unifié? (ce qui pose la question de l’élargissement). Bref, difficile de rendre justice à l’exposé mais le diagnostic est bien posé. Le problème européen, et le problème français, sont bien spécifiés.
Voir un post précédent sur la question de la possibilité d’une Union européenne.

13h30 : conférence de presse Phelps-Fitoussi-Le Cacheux qui précède le débat qui va commencer plus tard.

14h00 : fin de la conférence de presse. Pas franchement convaincu. C’était l’occasion de présenter la réédition du manuel de Phelps, et d’assurer la promotion de l’Etat de l’Union Européenne 2007” livre collectif de l’OFCE. Fitoussi explique qu’il faut une Europe “fédérale des biens publics” de façon peu convaincante, et surtout largement déconnectée des réalités. Aligner les “ceci ne fonctionne pas” et les “il faut”, qu’ils soient justes ou faux, ne mène pas à grand-chose sans une perspective minimale d’économie politique, se demandant ce qui est possible.
Phelps parle un peu de la réédition de son livre. Il explique qu’il aimerait y intégrer un chapitre sur le corporatisme, et parler plus d’innovation de Schumpeter et Hayek; cela évoque son récent article du Wall Street Journal.

Deux remarques : 1- ils n’ont pas de bol avec leur forum. Tout le monde a l’air d’écouter le discours de Royal, de Sarkozy, ou de Chirac. C’est dommage : on peut critiquer ce genre d’évènement, occasion de pas mal de bavardage inégal; mais on en apprendra probablement plus ici.
2- J’ai faim. Je crois que je vais aller piquer un sandwich au thon dans la salle de presse.

14h40 : Fitoussi est extraordinaire. Il arrive à prononcer un éloge de Phelps en commençant chaque phrase par “moi, je”…

Phelps : l’Europe continentale est un “underperformer”. Cela ne vient pas du système social/fiscal, mais d’un manque de dynamisme, notamment en matière d’innovation. Un indicateur intéressant : une très grande part des salariés en Europe déclarent “ne pas disposer de beaucoup d’autonomie dans leur travail” un signe de faible innovation. Bon, pigé : son argumentation est celle de son article du WSJ. Résumé rapide : le dynamisme économique provient d’institutions (en Europe, corporatistes) et d’un système de valeurs. Il donne notamment des écarts considérables d’attitude vis à vis du travail. La proportion de personnes recherchant dans le travail un accomplissement est d’après l’Université du Michigan moitié moindre en Europe continentale par rapport à des pays comme le Canada ou les USA. Il déclare avoir fait une régression indiquant que ces indicateurs “culturels” d’engagement au travail sont significativement corrélés avec la productivité et la croissance. Question perso : quel est le sens de la causalité?. Il faut à la fois un changement institutionnel mais avant tout un changement de système de valeur.

16h52 : j’ai trouvé un sandwich au thon et une prise électrique, ce qui permet de reprendre. Entretemps, sont passés à la tribune Fitoussi, Peter Mandelson (commissaire européen au commerce), puis une discussion, puis François Bayrou. Il n’y a rien à dire sur Bayrou, qui a réussi à remplir l’espace sonore de vide pendant plus d’une demi-heure. Après ce spectacle, je ne lui donne pas beaucoup de chance d’être au second tour.
Chaque fois que j’asssiste à ce genre de rendez-vous, je me demande à quoi ils servent. Soit les interventions sont de peu d’intérêt, soit elles sont intéressantes mais n’apportent pas grand-chose; si on les trouve intéressantes, on sait le plus souvent d’avance ce que les intervenants vont dire. Néanmoins, il me semble que ce point de vue n’est pas répandu. Je trouve toujours des gens se déclarant fascinés par ce qui a été dit, et en marquant l’importance : il semble que le fait de voir les choses prononcées leur confère de l’importance. Il est possible aussi que ces réunions servent à constituer des communautés informelles; les gens se voient physiquement, peuvent discuter, avoir l’occasion de s’exprimer. C’est une leçon qui vaut comme pour l’économie géographique; la proximité physique compte beaucoup plus qu’on ne l’imagine. Et au total, pour critiquables et parfois limitées qu’elles soient, toutes ces interventions font une après-midi probablement plus attrayante que celle de Jules.

– Pour en revenir au fond : Fitoussi n’a pas été terrible. Sa façon de tout centrer autour de sa personne (depuis toujours, j’ai dit que…) est vite pénible. Sa volonté de faire des grandes phrases profondes le conduit à affirmer de façon péremptoire tout et son contraire. Il commence par se réjouir de ce que Phelps fait de “l’économie politique” (car il n’est d’économie que politique, contrairement à ceux qui parlent de “science économique”, bouuhhhhhhh); deux minutes plus tard, il explique que Phelps a apporté des “contributions majeures à la science économique”. Il commence son exposé en disant qu’il n’existe pas de modèle social européen, que ce terme de modèle est le fruit d’une illusion de nos perceptions (admettons)… et poursuit en expliquant comment “sauver le modèle social européen”. Il faudrait choisir entre le fond et la forme.
Surtout son propos n’a rien de très convaincant. Partant d’un déséquilibre entre institutions et politiques en Europe impliquant un déficit de légitimité des institutions européennes (pas faux, pas pas très original) il en déduit une série de “il faut que” parfaitement définitifs, contestables, et surtout, jamais nourris par une réflexion sur ce qui est possible. Quand on prétend exprimer l’importance du politique; quand on multiplie les livres et discours sur la critique d’une économie imposant des règles contre les choix démocratiques, ce discours rempli de “il faut” paraît bien contradictoire. Ses préconisations finales sont les suivantes :
– une détermination politique d’un objectif d’inflation
– l’application d’une “règle d’or” expliquant que l’investissement public doit être financé par l’emprunt
– un peu plus de pragmatisme pour la politique industrielle;
Il y ajoute la recommandation de création d’une agence européenne de l’énergie et de la recherche, sur le modèle de la CECA.

La première idée est parfaitement aberrante. Quel politicien ira négocier une inflation supérieure aux autres? Qu’une clarification de la question de la politique de change en Europe soit nécessaire, soit. Mais quel est l’intérêt d’une fixation politique de l’inflation? Outre que les différents pays auront des objectifs différents (fait-on la moyenne?) on voit d’avance les arbitrages oiseux que cela entraînerait. Certes, cela se fait en Grande-Bretagne; mais outre que cela ne donne pas des résultats extraordinaires, la Grande-Bretagne reste une unité politique, ce que n’est pas l’Europe.
La seconde idée est particulièrement naïve dans le contexte européen. Tout d’abord la règle en soit n’est pas une “règle d’or” n’a rien d’évident; surtout, elle conduirait probablement à une explosion de la créativité comptable pour qualifier “d’investissement” toutes sortes de dépenses publiques. Là encore, ou est la dimension politique?
La troisième idée, enfin, n’est pas forcément absurde; à condition de savoir par quoi on remplace la politique actuelle. La directive Bolkestein était une telle politique, qui a connu le succès que l’on sait. Parlons aussi des pressions exercées sur P. Mandelson pour les négociations commerciales (qui les a évoquées de façon plaisante, déclarant qu’il devait partir pour aller négocier avec les ministres du commerce européen ce soir, et s’est déclaré “désolé de susciter ainsi la jalousie du public devant un tel plaisir”). Mandelson a montré dans sa présentation les pressions que reçoit la commission de la part de gouvernements qui passent 6 jours par semaine à critiquer la commission, et le 7ème à demander des subsides ou à organiser des votes. Un pragmatisme bienvenu.

17h55 : C’est la dernière séance de la journée. La bonne surprise du jour : cette séance, avec Mario Monti, deux dirigeants d’entreprise, Y.T de Silguy, et malgré la présence de Jacques Attali et la présentation de Jean-Marc Sylvestre, est intéressante. Les dirigeants d’entreprises sont intéressants dans leur mélange de demande de protections et d’aides diverses, parfaitement transparentes; et le fait que la description de leur expérience dans l’Europe traduit concrètement comment elle se fait, comment la mondialisation se fait. Cette journée aura décrit toute la journée ce qui ne marche pas en Europe, les politiques, les champions nationaux, les institutions… Mais ce qui fonctionne, pas seulement d’ailleurs en Europe, ce sont les investissements et le développement des flux commerciaux. Il faut voir aussi le président du syndicat patronal turc du fait qu’économiquement, la Turquie est déjà intégrée dans l’Europe. Quant à Mario Monti, il est de ces gens qui comme Pascal Lamy, ont acquis en étant commissaires européens (P. Mandelson aussi traduisait ce point de vue) une sorte de sagesse dans l’épreuve; Pour tous leurs défauts, les eurocrates comptent parmi les meilleurs dirigeants de l’Union Européenne.

Il était bizarre ce sandwich au thon. Je me sens un peu patraque.

23h15 : rentré à tome, pour un petit bilan a posteriori.
– J’ai raté France Irlande à regret, mais la journée était intéressante. Qui plus est, le Dieu du football a rétabli la Justice et la Vérité ce week-end.
– Il est frappant de constater à quel point les votes négatifs de 2005 ont constitué un traumatisme. Beaucoup d’intervenants n’en sont pas sortis. D’autres vendent leur revendication sous ce prétexte; néanmoins, il y a des gens qui réfléchissent sur la question et le débat est solide. C’est facile de ricaner quand on est spectateur; mais le niveau de réflexion était vraiment de bon niveau dans cette journée. Il est terrible de voir que ce débat entre experts, parlementaires spécialisés, “global leaders” est totalement déconnecté du débat public. Le décalage entre les conférences et les piètres prestations de Bayrou ou Strauss-Kahn était palpable. Mais ce décalage est un problème.
– Personne n’a de solution pour l’Europe. Mais quel est le problème, au fait? Dans les pays “traditionnels”, l’assimilation d’évolutions perçues comme néfastes à l’Europe, faisant que la “fatigue de l’Europe” accompagne la fatigue des réformes. Le processus mettant en place des gouvernants paralysés sont les mêmes que ceux de l’euroscepticisme. Mais, et on oublie trop souvent ce problème, dans les pays récemment entrés dans l’UE, il n’y a pas de souhait d’avancer. Pour ces pays, l’objectif était d’entrer dans l’Union; c’était l’occasion pour eux d’une modernisation, d’une sortie de la situation antérieure. Mais personne ne semble leur avoir expliqué que l’Europe est un processus qui ne s’arrête pas quand on y entre; résultat, l’euroscepticisme s’y développe aussi.
– Ce sandwich au thon avait vraiment un problème.

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Alexandre Delaigue

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4 Commentaires

  1. Eh bien merci Alexandre pour cette folle journée de Paris. Nous nous retrouvons pour notre part en live blogging à 20h45 pour le match Bordeaux-Marseille, en direct du stade Chaban-Delmas de Bordeaux. Nous ne manquerons pas en tout cas de suivre en duplex l évolution de votre indigestion.

  2. Merci pour ce live blogging ! Quelques remarques :

    – Si la capacité des candidats à remporter l’adhésion des (véritables) professeurs d’économie déterminait les présences au second tour, … il n’y aurait pas grand monde.

    – D’après ma propre expérience, dans une conférence qui réunit économistes et politiques, la probabilité de voir les économistes, aussi connus et respectés soient-ils, se livrer à du pop-internationalism est très élevée. Dernier que j’ai pris en flagrant délit : Jean-Hervé Lorenzi.

  3. Merci de m’avoir laissé un coin de table pour suivre les conf sur l’économie européenne.
    A l’inverse de toi, j’ai trouvé que Bayrou était plutôt pas mal, mais que sa place n’était pas dans l’après-midi consacré à l’éco. Il aurait été mieux le matin sur le projet de société et les solutions à apporter à la panne européenne.
    @ bientôt
    JF

  4. Trop fort monsieur delaigue!!!!L ‘éco, la mcg et maintenant l’unesco!!!!Qui vous arrêtera???
    Merci bien de vos bons enseignements en tout cas…..

    Merci :-). Mais avec tout cela, la correction de vos copies n’avance pas…

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