Le tennis : un sport compliqué

J’apprends l’existence d’une polémique concernant la rémunération paritaire des hommes et des femmes dans, si j’ai bien compris, les tournois du Grand Chelem. Gilles Simon a mis les pieds dans le plat, en expliquant que ce n’était pas normal, le tennis masculin étant plus suivi et apprécié des spectateurs.

Il faut le dire d’emblée, un tel raisonnement, aussi mercantile et politiquement incorrect soit-il, a une forme de cohérence. Simon explique que dans tous les business, ceux qui suscitent le plus d’intérêt sont ceux qui empochent le plus. C’est plutôt exact. Il prend le cas des chanteurs et chanteuses pour signifier que cela n’a rien à voir avec du sexisme. Mais il aurait mieux fait de prendre l’exemple des mannequins de mode. On sait très bien que si les mannequins femmes sont plus payées que les mannequins hommes, c’est parce que le marché du prêt à porter féminin est plus générateur de profits que celui des hommes. De ce point de vue, il a aujourd’hui plutôt raison. Cela fait des années que le tennis féminin peine plutôt à générer de l’engouement. Et plutôt que d’incriminer le niveau général des tenniswomen, je mettrais cela sur le compte de l’absence de duels récurrents au sommet. Duels qu’on a connu chez les hommes et les femmes à une époque et qu’on connaît encore chez les hommes grâce au trio Nadal, Féderer et Djokovic, aidés par quelques trouble-fête qui se relaient selon les surfaces. Chez les femmes, depuis quelques années, cette domination oligopolistique n’existe pas, la place de numéro un mondiale semblant (qu’on me corrige si j’exagère) disponible pour qui saura élever son niveau sur une saison. Mais, au fond, la comparaison s’arrête là et Simon a tort à plusieurs titres.

D’abord, parce que je serais curieux d’avoir les chiffres du business des équipements sportifs et de la mode en tennis. Pas sûr que les femmes soient tellement en retrait. Donc, si on limite le business aux audiences télé et aux places dans les stades, ok, il a probablement raison. Mais est-ce une position raisonnable ?

Ensuite, le tennis féminin est un spectacle différent du tennis masculin, même s’il y a plus de points communs entre les deux qu’entre le curling et l’aviron. Vu sous cet angle, on y trouve un intérêt différencié et il n’est pas certain que pour les amateurs de tennis l’écart d’intérêt soit si prononcé. La technique de certaines femmes est impressionnante pour ceux qui ont déjà tenu une raquette à la main plus de deux heures par an au camping des flots bleus. Dans les bons matchs, les échanges sont remarquables. On en revient donc à l’heure actuelle à la question que j’évoquais : il manque peut-être une lutte acharnée entre toujours les mêmes têtes au dessus du lot. Et je n’ai pas entendu quelqu’un se plaindre des rémunérations paritaires lorsque le tennis féminin apportait plus de ce genre de confrontations que le tennis masculin (il y a quelques années, au moment où Federer n’avait pas encore atteint son niveau ultime et que Nadal n’était pas encore là ; les commentateurs disaient qu’on s’ennuyait un peu).

Enfin, il y a quelque chose d’étonnant à revendiquer plus parce qu’on est plus intéressant dans un sport de spectacle et à négliger le fait qu’on ne l’est peut-être pas tant que ça, selon certains critères qu’on peut regretter, mais qui font justement partie du star system. Quand Serena Williams dit à propos de Sharapova “Maria a raison, elle est bien plus sexy que lui”, elle met le doigt là dessus. Eh oui, je pense que les téléspectateurs curieux égarés devant Rolland Garros s’arrêtent plus longtemps devant elle que devant Simon.

En conclusion, Gilles Simon n’est pas (sur ce sujet, après, j’en sais rien) un sale type sexiste. Mais son analyse économique est peut-être un peu limitée.

PS : le choix de photos qui illustrent ce billet est proprement scandaleux et propre à nuire à son image d’objectivité, je le sais. 🙂

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9 Commentaires

  1. Je ne suis pas sûr que l’oligarchie entraîne l’intérêt, comme on peut le voir en foot où le big 4 anglais ou la liga de 2 commencent à lasser et diminuer l’intérêt de la compétition.

    Ceci étant dit, ne pourrait-on inverser le raisonnement en supposant que des gains importants devraient susciter des vocations tennistiques plus importantes, donc a priori un meilleur niveau de jeu, donc un spectacle plus intéressant ?

    Sinon, un avis sur les 3 sets vs 5 sets gagnants ?
    😉

    Au-delà de ça, je ne suis pas certain que les rémunérations des inscrits aux tournois de tennis soit à proprement parler un véritable marché (ou en tout cas terriblement imparfait), mais il reste aussi à établir quelle part des revenus des sportifs elle représente. Et le côté spectaculaire doit faire que les contrats publicitaires de Nadal sont très supérieurs de ceux de Sharapova, eux-même probablement supérieures à ceux de Simon…

    Réponse de Stéphane Ménia
    En tennis, les dominations oligarchiques durent un peu moins longtemps. Mais sinon, le phénomène serait identique. A certaines périodes, on le voit poindre, d’ailleurs.

  2. Pas d’accord ! D’abord Simon ne parle que des rémunérations en tournoi. Celles qui sont réparties entre les joueurs. Les gains liés à l’image sortent de son analyse. Donc si Sharapova à une telle image, y compris sur la photo ;-), qu’elle peut vendre des articles de mode, de voitures, etc. Simon n’est pas contre. Ce sont des revenus individuels. Avec Anna Kournikova (il doit y avoir des exemples masculins) on a vu une joueuse qui ne gagne pas de matchs mais qui a des revenus publicitaires importants. En revanche, il souligne que les réumnérations de tournois, qui sont mutualisées, cachent le fait que lorsqu’ils jouent ensemble, les hommes génèrent plus d’attraction que les femmes. Et il a un argument massue : les places de finales hommes, qui n’ont pas lieu le même jour que celles des femmes, sont plus chères. Mieux, en souhaitant le contredire, Marion Bartoli lui donne raison (http://www.lequipe.fr/Tennis/Act... Elle explique que lorsque les tournois des garçons et des filles ne sont pas joués au même moment (c’est à dire en dehors des grands chelems et de quelques Masters 1000 joués sur deux semaines), les filles ont des gains bien moindres. Pour sûr, elles ne bénéficient plus de l’attractivité du tennis masculin et les annonceurs paient moins. Bref, cela argumente clairement la thèse qu’en l’absence d’un pot commun artificiel dans les tournois du grand chelem, le tennis féminin génère moins de gains que le tennis masculin et que la rémunération devraient être moins importante. Bien sûr, cela ne tient pas compte des bénéfices (qui peuvent être importants) de davantage d’égalité homme / femme. Mais la rémunération égalitaire en grand chelem (celle contestée par Simon) reste purement artificielle. Elle est liée au fait que l’on ne fait pas payé les spectateurs et les annonceurs différement pour les hommes et pour les femmes. Mais lorsque c’est le cas (les finales), il n’y a pas photo !

    Réponse de Stéphane Ménia
    Je savais qu’on viendrait me chercher sur les gains en tournois et les revenus accessoires, c’est légitime. Sont-ils si indépendants ? Bon exemple, Kournikova. C’est aussi un âge d’or du tennis féminin dans son ensemble, niveau star system. Pas sûr que les revenus en tournoi n’aient pas augmenté à cette époque. Mais c’est une hypothèse, je n’ai pas de chiffres. Ce que vous dites et ce que dit Simon peut être exact, mais reste à démontrer. Sur les tournois de filles, comme je le disais, la période est assez nulle en terme de suspens et de stars. Peut-on se limiter à des chiffres actuels ? Peut-on faire varier de façon cyclique les rémunérations ? Honnêtement, je n’en sais rien. Mais être catégorique me semble très discutable.

  3. En fait, on peut se faire une idée quand même. Grosso modo, les tours ATP (hommes) et WTA (femmes) se sont grandement harmonisés (c’est ce qui ne plait pas à Simon). Ils fonctionnent de la même façon avec le même décompte de points (ou presque) : 4 grands Chelems à 2000 pts, un Masters à 1500 pts, 9 tournois à 1000 points (ou presque) et plein d’autres tournois. Le décompte du classement final, pour les hommes comme pour les femmes, somme les points obtenus dans les 4
    grands chelems, le Masters, les 9 tournois principaux et les meilleurs résultats obtenus dans les autres tournois mais dans une limite. Les 4 grands chelems et 5 (Indian Wells, Miami, Rome, Madrid et Cincinnati) des 9 tournois principaux sont en commun au calendrier des hommes et des femmes, mais pas le Masters et pas les 4 autres tournois majeurs. Ce sont des tournois comparables pour les athlètes dans la construction de leur classement. Les meilleurs y participent. Du coup, on a une très belle expérience naturelle avec des tournois traités (joués ensemble) et non traités (joués séparément).

    Observons les prize money ! Mais faisons aussi attention car il faut que les tournois soient comparables (même nombre de tours à jouer, même population de spectateurs, même capacité de stade, etc.) car le prize money total en dépend fortement (du moins, on peut le penser). Les tournois joués en commun sont dotés de la même façon (quasi parfaite). Pour les autres, on trouve Monte-Carlo, Paris, Shanghai et Toronto pour les hommes et on trouve Tokyo, Montreal, Doha, Pékin pour les femmes. Bref, des villes comparables, pour des expositions comparables. Pour chaque tournoi, je donne le prize money et le nombre d’athlètes dans le tableau : Pour les hommes : Monte-Carlo: €2,744,225 (56), Paris :€2,950,400 (48), Shanghai: $5,891,600 (56) et Toronto :$3,218,700 (48) – Pour les femmes : Tokyo: $2,168,400 (56), Montreal:$2,168,400 (48), Doha: $2,168,400 (56), Pékin: $4,828,050 (60). Bref, en prenant l’euro à 1.2, j’obtiens une redistribution moyenne de 76653 $ par joueur pour les garçons et de 51515 $ pour les filles. Bon, la différence ne vaut pas de se couper un bras non plus mais elle est nette. Notons aussi que les Masters, qui sont organisés séparément, sont dotés de £5,500,000 pour les hommes et $4,900,000 pour les femmes. 8 joueurs dans les deux tournois. Si je retiens que 1£=1.5$ ca fait là encore une différence notable. En fait, on pourrait conduire cette anlyse sur tout le calendrier car il y a des villes et des tournois communs et séparés toute l’année. Notons que les prize money des femmes ont explosé ces dernières années (ce qui infirme la thèse de l’age d’or) et que la différence n’est plus énorme. Comme quoi, Simon a un peu raison mais l’écart se rétrécit.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Ben, j’aime bien quand on me dit comme ça que j’ai tort. Merci pour vos commentaires 🙂

  4. On fait des tournois mixtes épicétout! Un match Sharapova/ Simon promet d’être animé!

    Plus sérieusement, je pensais en gros comme Julien: ceux qui paient les joueurs doivent quand même avoir une petite idée de ce que leur rapportent les unes et de ce que leur rapportent les autres et il y a des chances que l’écart soit lié à cela. Restait à le vérifier et c’est chose faite, on dirait. Merci Julien.

  5. Outre les gains de résultats, les tournois paient aussi des primes d’engagement pour attirer les meilleurs joueurs. Ces primes peuvent représenter des sommes très importantes et il serait dommageable de ne pas en tenir compte dans le raisonnement.
    Malheureusement, je n’ai pas pu trouver de données satisfaisantes à ce sujet. Je suis preneur si quelqu’un en a.

    Sinon, cela ne concerne que les plus grands tournois et donc une petite centaine de joueurs et de joueuses qui de toute façon y aurait participé et tout fait pour gagner. Que le premier prix soit de 3M$ ou 6M$, je ne pense pas que cela change quoique ce soit aux incitations. Ces prix n’ont donc pas de valeur allocative, on est donc dans une pure logique de redistribution. Après, dire si ce qui est juste est de rémunérer selon l’attraction que cela suscite ou selon une égalité des sexes, c’est un débat d’un autre genre qui est hors de l’analyse économique.

  6. Il y a eu récemment une interview de Pat Cash dans Rue89 qui expliquait que les hommes étaient un peu amers sur l’égalité salariale car ils étaient bien mieux préparés physiquement et les efforts pour être au top demandaient des sacrifices bien supérieurs notamment pour tenir les 5 sets. Il disait que chez les hommes, c’était impossible de venir en tournoi avec une condition physique douteuse alors que chez les femmes, on a pu voir des Davenport (limite obèse) gagner des tournois. On peut citer actuellement Bartoli ou les soeurs Williams qui n’ont plus l’air de s’entrainer sérieusement et sont encore dans le top 20.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Ce genre d’arguments me laissent un peu froid. La masse graisseuse est naturellement plus élevée chez les femmes, par exemple. Donc à entraînement équivalent, il y a moins de muscle. Je suis plus sensible à l’argument du marché qu’à ce genre de considérations.

  7. Addendum : Je n’ai pas plus d’infos pour les tournois concernés mais pour celui de Miami, il semble que les $4,828,050 annoncés en prize money par la WTA (http://www.wtatennis.com/page/Ca... soient bien en fait le total financial commitment (le prize money de 2012 et de $3,838,190 selon ce site : http://www.oncourtadvantage.com/... ). Même chose pour le tournoi de Bad Gastein (même source). Il m’est impossible d’être catégorique mais cela confirmerait mon premier calcul comme je le soupçonnais. Une autre info dans ce sens provient du règlement WTA. Il semblerait que le prize money inclu toutes les primes pour les femmes (http://www.wtatennis.com/SEWTATo... Cette info est corroborée par les infos sur les tournois de ce site : http://www.tennisnewsonline.com/... Par exemple, on voit que pour le tournoi de Miami (commun ATP/WTA), le prize money est de $ 3,973,050 et le total financial commitment de $ 4,828,050 soit exactement le prize money des femmes. Du coup, le vainqueur (ou chauqe perdant de chaque) chez les femmes gagne plus que chaque homme. Mais cela ne tient pas compte de primes que touchent les hommes. Bref, je pense que ma première comparaison tient la route et qu’elle tient bien compte des primes de venue etc.

    Bon là faut que j’arrête, çà va me rendre dingue 😉

  8. oups ! J’ai dû faire une erreur dans une addition on dirait. Avant l’addendum venait une réponse à Xavier. Je refais … en court.

    En fait, les données ne sont pas très claires. Pour tous les tournois, on trouve pour les hommes des prize money (l’argent redistribué à la performance) et le total financial commitment (dotation totale incluant les primes, bonus à la participation, etc.). Pour les femmes, on ne trouve pas cette distinction. Je crois avoir compris pourquoi : chez les femmes il n’y a pas prime à la venue. Les plus gros tournois sont obligatoires (ce sont les "premier mandatory"). Pour les autres, les primes de participation sont redistribuées en fin d’année en fonction du classement et la participation (http://www.wtatennis.com/page/To... J’avais préssenti un bug. Du coup, dans mes calculs, j’avais pris le total financial commitment pour les hommes et le prize money pour les femmes. C’est confirmé. Je donne des exemples dans l’addendum.

    Du coup, les comparaisons effectuées tiennent compte des primes diverses versées à l’occasion des tournois. Ceci dit, cela reste un calcul effectué sur un coin de table. Je ne prétends pas clore le débat avec cela. D’autant que les conditions concurrentielles entre la WTA ou l’ATP et les annonceurs, organisateurs de tournois peuvent expliquer une partie des différences. C’était plus pour le coup de l’expérience naturelle.

  9. En meme temps les matchs hommes sont en 3 sets gagnants ceux des femmes 2.
    Salaire egal a travail egal non ?

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