La presse, les blogs et la crise financière

Intéressant billet de R. Baldwin qui constate que la crise financière traduit aussi une crise des médias traditionnels; il y remarque le rôle joué par les médias internet dans l’analyse et la critique du plan Paulson, dont la presse traditionnelle, même spécialisée, a été totalement absente. A peine le plan paru, les premières critiques apparaissaient sur des pages personnelles d’économistes, puis sur des sites comme Vox-Eu (ou Telos en France) pour seulement dans un troisième temps transparaître dans les médias traditionnels. On peut noter aussi que loin d’être un simple commentaire, le débat entre économistes par les sites internet a eu un impact réel; sans cette réactivité, les parlementaires américains auraient probablement accepté sans barguigner de donner en pratique des pouvoirs discrétionnaires invraisemblables à H. Paulson, comme ils l’avaient fait précédemment en donnant des pouvoirs considérables au gouvernement Bush pour mener à sa convenance la “guerre contre le terrorisme” – avec les conséquences que l’on sait. Cela a permis l’apparition d’alternatives, comme le plan Dodd, visiblement très inspiré par les critiques des économistes.

On avait déjà pu voir que la blogosphère économique américaine pouvait constituer une forme alternative de construction du savoir scientifique, en générant des débats entre spécialistes sur différents sujets, de façon beaucoup plus réactive que le processus standard de publication d’articles dans les revues de recherche (comme par exemple la question du rôle de la spéculation dans les fluctuations des prix du pétrole); mais c’est probablement la première fois qu’elle permet, en temps réel, d’avoir un impact réel sur des politiques économiques. C’est un genre d’expertise que la presse traditionnelle ne peut que très difficilement fournir. Voilà de quoi nourrir le sempiternel débat sur le rôle de l’internet, qui sort des questions oiseuses sur la diffusion des rumeurs et des ragots. Ce n’est d’ailleurs pas le cas qu’en matière économique (on peut penser au domaine du droit, ou ce n’est qu’une question de temps avant qu’un projet de loi soit influencé par l’analyse qu’en fera la blogosphère juridique) et rappelle que l’expertise, aujourd’hui, n’est plus dans les médias traditionnels.

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Alexandre Delaigue

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9 Commentaires

  1. En 2005 le site bulle-immobilière.org paraissait pour farfelu et pas crédible pour un cent. Aujourd’hui son fondateur Jean-Marie Pouré passe régulièrement à la radio, à l’instar des plus célèbres commentateurs économiques, ainsi qu’il est régulièrement sollicité et mentionné par la presse écrite "sérieuse".
    Même chose pour Loïc Abadie et Tropicalbear qui devient une référence régulièrement citée.

  2. Au final ce sera peut-être internet qui réalisera le vieux rêve keynésien de l’économiste-dentiste, en donnant aux chercheurs l’espace nécessaire pour s’exprimer sur ce qu’ils savent, plutôt que de s’éparpiller en conjectures sur un plateau télé.

    Je suis un peu plus sceptique sur le cas de la France où l’on est très méfiant à l’égard des experts ( tant dans le domaine économique que juridique ) et où l’on préfère trop souvent s’adresser à des intellectuels de cocktail.

  3. L’a-t-elle jamais été ?

    Cela a-t-il jamais été son rôle réel ? Je veux dire, au delà des revendications corporatistes relatives au régime fiscal découlant d’une postulée mission de service public ou je ne sais quoi encore…

  4. Jusqu’à une époque récente, le temps des décisions d’ordres politiques ou économique étaient en phase avec celui des débats dans les cercles intellectuels relayés par les journaux.

    Mais depuis peu (2000 ?) le politique a compris l’intérêt qu’il y avait à agir vite. L’idée c’est de poser le problème avec la solution. De cette manière plus de débat, l’opposition n’avait plus le temps de développer un contre-argumentaire et la légitimité des dirigeants était renforcée dans la mesure ou les décisions qu’ils prenaient n’avaient plus le temps matériel d’être analysée et critiquée. Sarkozy a expérimenté cette tactique avec succès.

    Avec l’apparition des blogs, cette fonction a pu être recréé. En soit c’est une bonne chose. Face à un problème, on réfléchit beaucoup mieux à plusieurs que seuls.

    L’un des avantages connexe de cette évolution, c’est qu’elle joue également en matière diplomatique. Dans ce domaine, la réactivité des journaux a toujours été trop lente et leurs analyses se sont toujours contentées de critiquer ou d’approuver les décisions déjà prises. Ce décalage est maitenant beaucoup plus réduit.

    Je suis a peu près convaincu que si les missions et l’équipement de l’armée française sont revus en afganistan, cela ne devra pas rien à l’action d’un blog comme secretdefense.blogs.liber…

  5. all : et pourtant : un exemple frappant : page 3 des notes on the bailout de Krugman, on voit très nettement que le "prix réel" de l’immobilier (corrigé par l’évolution de la valeur du dollar) double entre 2000 et 2005 et chute ensuite de 25% de 2005 à nos jours, revenant donc à 150% de sa valeur de 2000.

    Comme vous le remarquez, cette évidence-là avait échappé à la blogosphère, pourtant déjà très active en 2005. Seuls quelques acteurs entrants, isolés, s’en sont emparés et en ont fait leurs choux gras.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Echappé à la presse peut-être, mais pas à la blogosphère économique. Regardez donc ce que l’on y trouvait en décembre 2004 : http://econoclaste.eu/dotclear/index.php/?2004/12/11/289-le-mecanisme-de-la-bulle-speculative

  6. Chez moi, ça n’existe pas ces choses…

    Par ailleurs, j’estime que c’est une bonne chose d’autant que parler via phone c’est coûteux et à part son interlocuteur personne ne sera au courant. Et la presse traditionnelle est lente par rapport au net.

  7. Je doute qu’on ne trouve pas dans tout titre de la presse française grand public ou spécialisée une couverture de l’inflexion des prix de l’immobilier équivalente à celle qui aura été proposée par la blogosphère économique française, comme par exemple, celle qui aura été proposée par les econoclastes.

    Alors même que le phénomène était tout à fait observable par un très grand nombre d’individus et au centre des préoccuppations quotidiennes d’une fraction très significative de la population.

    D’une certaine manière, c’est très rassurant : sur la qualité des professionnels de la presse, s’entend : leur capacité d’expertise individuelle n’est certainement pas à l’origine du constat d’incapacité d’expertise de la presse. Dès lors, on peut se demander si ce qui différencie la blogosphère de la presse, ce n’est pas juste un jeu de priorités différent dans les politiques éditoriales : ce qui veut dire que si elle était incitée à produire de l’expertise dans l’absolu, la presse en produirait probablement autant que la blogosphère dans l’absolu.

  8. on ne parle pas beaucoup de ça, je trouve:

    Quelle audace, quelle résolution, ces Américains ! Mais personne ne fait
    attention aux détails du projet de loi que le secrétaire au Trésor, banquier
    d’affaires de profession, a présenté. S’il était adopté en l’état (ce qui
    n’est pas sûr, grâce à la majorité démocrate au Congrès), le secrétaire
    d’Etat (quel qu’il soit) serait doté de pouvoirs tout à fait extraordinaires
    : possibilité d’embaucher qui il veut, notamment ses amis de Goldman Sachs,
    de passer des contrats avec des entreprises privées hors du code des marchés
    publics, le tout sans contrôle, puisque le texte précise que son action ne
    serait susceptible ni d’une commission d’enquête, ni d’une cour de justice.
    Une sorte de dictature, au pays de la séparation des pouvoirs et du contrôle
    étroit de l’exécutif par la justice et le Congrès, succéderait à la
    dictature des marchés.

    incroyable…

  9. marc: on peut aussi prévoir une stratégie à la belge.

    Par exemple, commencer par s’assurer que démocrates et républicains sont bien représentés à égalité dans le comité ad-hoc chargé de la résolution rapide, mais transparente, équitable, scientifiquement validée de la crise. Et surtout, s’assurer que le contenu du plan et son calendrier n’auront aucune influence sur l’issue de l’élection américaine.

    Vous voulez un exemple de gestion de crise à la belge ? Essayons avec une fiction improvisé :

    Le ministère des finances belge s’aperçut un jour que son fond de réserve destiné à garantir les dépots bancaires des épargnants était dangereusement sous-provisionné.

    Un expert fit un calcul : si chaque épargnant récupérait son argent, il ne récupèrerait que 14€50. Ce qui conviendrait parfaitement à la majorité des belges qui, simples travailleurs, vivent à déficit, mais menaçait l’économie toute entière puisque les riches inactifs y perdraient leurs rentes, vitales pour l’économie.

    On nomma donc une commission mixte qui parvint à la conclusion suivante : pour rendre l’argent aux épargnants, on émettrait des titres hypothéquant le domaine public belge. Fait exceptionnel : ces titres seraient rendus liquides et tous les commerçants auraient l’obligation de les accepter comme s’il s’agissait de véritable argent.

    Oui mais.

    Les terrains hypothéqués seraient-ils wallons ou flamands ? Grave question.

    Les flamands proposèrent une solution simple : les titres fabriqués les jours pairs hypothéqueraient des terres flamandes. Les titres fabriqués les jours impairs hypothèqueraient des terres wallonnes.

    Tout le monde se félicita de cette solution.

    Jusqu’à ce qu’un économiste wallon constate un biais : il y a plus souvent plus de jours impairs que de jours pairs dans une année que l’inverse.

    On proposa alors d’appliquer un coefficient correcteur : les presses imprimant les titres hypothécant les terres flamandes tourneraient également un certain nombre de minutes les jours impairs de l’année pour compenser le déséquilibre.

    Cette proposition fut rejetée : car on soupçonna les flamands, notoirement meilleurs capitalistes que les wallons de l’avis des cafés du commerce des deux bords de la frontière linguistiques, thésauriseraient les titres wallons dans l’espoir de ruiner le pays pour étendre les terres flamandes en territoire wallon.

    On décida donc de nommer des comités chargés de vérifier la bonne parité des titres échangés dans chaque transaction. Le ministre des finances hurla à la dépense non-budgétée et la presse dénonça l’attitude de ce ministre si peu soucieux de la paix sociale.

    Un obscur fonctionnaire des postes trouva la solution : n’émettre que des titres hypothécant à égalité terres flamandes et terres wallonnes. Il annonça son idée sur son blog et personne ne trouve nulle raison de commenter ou la reprendre, puisque sa solution ne profitait à personne.

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