Inégalités et dépenses de sécurité

J’ai copié sur Twitter ce graphique posté par Justin Wolfers. Il est tiré de cet article du New York Times.

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Il montre une corrélation évidente entre le degré d’inégalité et la part des emplois de personnel de sécurité dans l’emploi total selon les pays.

Je vous laisse prendre connaissance des modalités de mesure des inégalités retenues (un indice de Gini après redistribution) et de ce que les auteurs entendent par “personnel de sécurité”, c’est bien expliqué dans l’article. La réaction simple et intuitive est de se dire que comme les inégalités croissent, il y a de plus en plus de gens pauvres qui menacent les riches ; lesquels sont contraints de faire appel de manière croissante à des services de sécurité. Évidemment, bien que l’hypothèse tienne la route, en fait, on ne sait pas.

Comme le remarquent Bowles et Jayadev, les dépenses de sécurité peuvent augmenter de façon quasi exogène, sous l’effet de changements dans les normes sociales qui n’ont pas forcément un rapport avec l’évolution des inégalités ou de la délinquance. Il se peut simplement que la spécialisation dans les tâches de maintien de l’ordre au quotidien donne plus de place à la police, par exemple :

“Some of the differences in the guard-labor fraction across nations arise because, in many countries, the job of getting people to play by the rules is not left up to enforcement specialists. Anyone who has tried jaywalking in Germany will know what we mean: It’s not the police who are on your case, but your fellow pedestrians. In the United States, when the neighbor’s boisterous party is disturbing sleep, it’s often the police who will get the irate call, not the neighbor. Some of the increase in guard labor over the past century in America may reflect a shift from the informal enforcement of social norms to their enforcement by specialists in uniform.”

Il se peut aussi, soulignent les auteurs, que ceux qui sont plus attentifs à la justice sociale soient aussi plus respectueux des lois, limitant ainsi les besoins en matière de sécurité.

Enfin, et il n’est guère surprenant que l’article insiste implicitement là dessus (les économistes sont contrariants), il se peut aussi que cette tendance révèle simplement le fait que que les riches aient peur des pauvres. Plus d’inégalités conduit alors à plus de dépenses de sécurité, à risques réels identiques :

“Fear and distrust of one’s neighbors and fellow citizens fuel the demand for guard labor. Economic disparities can contribute to both. Among the countries shown, a common measure of distrust of strangers is strongly correlated with both the guard-labor fraction and inequality.”

Dans tous les cas, pour Bowles et Jayadev, la situation peut être déplorée. Il semble dommage de consacrer des ressources importantes pour la sécurité alors qu’elles pourraient être utilisées pour d’autres choses. Ils citent Mill pour appuyer cette logique :

” “It is lamentable to think,” wrote the philosopher John Stuart Mill, in 1848, “how a great proportion of all efforts and talents in the world are employed in merely neutralizing one another.” “

En même temps, si c’est ce qui fait plaisir aux gens, on voit mal pourquoi les contrarier. Néanmoins, rien ne dit que ce soit effectivement le cas. Quoique…

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