Il persiste et signe

On pouvait deviner que Nicolas Sarkozy ne sait pas ce qu’est la productivité; on en a confirmation aujourd’hui, dans cette longue interview aux Echos consacrée aux questions économiques, dans laquelle le terme de productivité n’apparaît pas UNE SEULE fois.

Il faut rappeler que la productivité est la base unique de la croissance et de la prospérité d’un pays. Le problème de l’économie française – et européenne – ne tient qu’à une seule question : sa capacité à entretenir une élévation soutenue de sa productivité à l’avenir. Le fait de négliger cette question devrait disqualifier instantanément tout individu prétendant exercer des responsabilités de pouvoir en France. A titre de comparaison, “compétitivité”, ce concept vide de sens lorsqu’il s’applique à des politiques nationales, est cité quatre fois.

Sarkozy se prétend “libéral” : j’aimerai alors comprendre pourquoi dans cette interview, le mot de “concurrence” (l’une des sources les plus importantes de l’élévation de la productivité) est toujours présenté dans un contexte négatif, c’est à dire avec accolé l’adjectif “déloyal”, “néfaste”, “idéologie” et de façon générale uniquement présentée pour expliquer que le commerce avec d’autres pays nuit à l’économie française. Pourquoi le commerce international y est toujours présenté comme un jeu perfide dans lequel les étrangers “déloyaux” nuisent à l’économie française par des entourloupes diverses (impôts ou protection sociale et environnementale moindre) contre lesquelles il faut lutter férocement; la palme du pathétique étant atteinte avec l’évocation des pays de l’Est européen, qui se voient reprocher de toucher des subventions parce qu’ils sont pauvres, mais d’avoir des impôts bas “ce qui prouve qu’ils sont riches”. Faut-il appliquer la fiscalité française dans des pays dont la productivité est le cinquième de la productivité française? Ne pas manquer non plus l’équation “être licencié = prendre la mondialisation en pleine figure”. c’est cela, le libéralisme à la Sarkozy? J’aimerai enfin comprendre pourquoi tous les problèmes de l’économie française sont ramenés à des questions de “compétitivité” qu’il faut rétablir à grands coups de volontarisme, de subventions (assaisonnées de verbiage sur les secteurs “stratégiques”), de meccano industriel et de suppression des 35 heures.

Plus généralement, j’aimerai comprendre ce qu’il y a d’attrayant dans ce ramassis de clichés du national-corporatisme à la française, anti-européen, protectionniste, anticoncurrentiel, clientéliste, qui pourrait laisser croire qu’il s’agit d’un programme d’actions pertinentes pour résoudre les problèmes de l’économie française.

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Alexandre Delaigue

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11 Commentaires

  1. >> "j’aimerai comprendre ce qu’il y a d’attrayant dans ce ramassis de clichés"

    Pas grand chose justement. D’où le succès à prévoir des extrêmes en 2007…

    C’est un point de vue, mais je ne parviens toujours pas à croire à un duel PS/UMP en 2007. Je persite à penser qu’il y en aura un des deux qui ne sera pas là…

  2. Tout à fait d’accord avec votre analyse de l’incurie économique affichée par Nicolas Sarkozy. Ceci dit, il y a quand même un soupçon d’idéologie dans vos propres propos. Je vous cite :

    "Il faut rappeler que la productivité est la base unique de la croissance et de la prospérité d’un pays."

    C’est un peu un raccourci, ça, quand même. Si vous augmentez la population active dudit pays, à productivité stable, vous avez de la croissance. Des modifications d’autres variables en entrée conduisent aussi à des modifications de la production du pays. Evidemment, je suis bien d’accord que la productivité est l’élément principal, mais dire que c’est le seul reste un raccourci.

    Par ailleurs, vous semblez sous-entendre que "croissance = prospérité". Il faudrait alors sans doute développer ce qu’est la prospérité. Sans rentrer dans des arguments type "Club de Rome", j’aimerais quand même savoir si vous pensez que "croissance = prospérité = bonheur".

    Si l’ensemble des agents économiques arbitrent en faveur de moins travailler et donc moins produire pour avoir plus de temps libre ce qui les rend plus heureux, si leurs anticipations se révèlent juste, la croissance est plus faible et le bonheur plus fort.

    Bref, je trouve qu’il y a quand même un soupçon d’idéologie productiviste dans votre analyse. Ceci dit, je suis d’accord à 90% avec le post, donc il faut relativiser ma critique.

  3. "Il faut rappeler que la productivité est la base unique de la croissance et de la prospérité d’un pays. Le problème de l’économie française – et européenne – ne tient qu’à une seule question : sa capacité à entretenir une élévation soutenue de sa productivité à l’avenir."

    Sans pour autant remettre en question ce que vous me *semblez* ici vouloir dire (et qui me semble assez différent de ce que vous écrivez), il me semblait avoir entendu lire qu’il se trouvait quelques économistes assurément sérieux pour reprocher à ces éditorialistes tels Eric le Boucher de partir du principe qu’il "y a consensus sur ce point, qu’il n’est plus nécessaire donc de discuter; il faut maintenant s’interroger en utilisant ce consensus comme point de départ".

    NB : S’il faut disposer d’une culture économique pour bien comprendre la teneur du propos, il est inutile de préciser au lecteur que rares sont les avocats à l’aide avec la théorie économique.

  4. Etant un peu plus agé, mais toujours optimiste, je pense que ce probleme de raconter n’importe quoi, tout et son contraire, et generalement des imbecillités, qui existe egalement au PS va se décanter.

    Nous sommes a 6 mois de la presidentielle, les candidats a la candidature testent un grand nombre de themes avant de sélectionner les deux ou trois themes porteurs de leur campagne.

    Il est encore trop tot pour connaitre le resultat des courses. Mon avis personnel. Zappez et attendez encore 5 mois.

    Si la fievre persiste: abstenez vous, ou partez au Maroc.

  5. La présence du FN au second tour serait une catastrophe, même du strict point de vue économique : l’autre parti serait alors forcément otage des clans et corporations fédérés plus démagogues encore que le parti lui-même et qui en font l’architecture, sans compter le risque d’agrégation de groupuscules parasitaires attirés par la promesse d’une victoire facile.

    D’une manière ou d’une autre, il y aura toujours un vainqueur et ce vainqueur sera une union large soit à gauche, soit à droite. Mais moins cette union sera large, moins il y aura de fidélités à récompenser, que ce soit au sein des syndicats ayant pactisé avec le PS pour bien se tenir pendant les élections, soit au sein de corporations des professions libérales protégées (médecins, artisans, professions juridiques, gangs d’élus locaux).

    Et force est de constater que le fait que Nicolas Sarkozy n’ait pas que des amis le rend peu redevable vis à vis des innombrables pique-assiettes, ce qui me semble d’un point de vue économique plus rassurant qu’une tête de pont Ségolienne se compromettant à entendre son nom mêlé à des chansons aussi démagos que celle prétendant que plus de profs et d’infirmières répaeront l’ascenceur social.

  6. C’est un discours attrape-tout… surtout pour chasser sur les terres de Le Pen.

    Et puis, que peut-on attendre d’un homme qui vit de la politique depuis une trentaine d’années ? N’y-t’il pas un risque qu’il soit coupé de la réalité ? Il ne sait que manier des concepts qu’il a mal assimilé…

  7. Sarko est un populiste, chasser sur les terres de Le Pen et de Madelin sans offusquer l’électorat centriste est un exercice de haute voltige…

    Il est très productif en paroles, c’est sans aucune valeur ajoutée et j’espère bien que sa productivité dans les urnes sera mauvaise….

  8. Alexandre étant en vacances, je publie vos commentaires. J’essaie par des réponses courtes de me faire l’écho de ce qu’il pourrait en dire. Il complètera à son retour.

    ND : Si vous partez du principe que la croissance, qui permet de satisfaire toujours plus de besoins, est une des composantes du bonheur et qu’il existe des éléments assez convaincants pour dire que ceci est partagé par nombre de nos congénères, vous avez une idée de l’"idéologie d’Alexandre". Quant au lien de causalité croissance => prospérité, je laisse à Alexandre le soin de donner l’interprétation précise du terme "prospérité" qu’il entendait.

    Passant : A quoi ça sert d’aller travailler, si ce n’est pas pour le faire toujours mieux ? Qu’est-ce qui a permis de réduire la durée du travail depuis plus de deux siècles si ce ne sont pas les gains de productivité ? La productivité n’est pas la compétitivité.

    Adam S : votre conseil est fort judicieux, si on suppose, comme moi, que ces questions économiques seront rangées au placard pour du plus croustillant et moins fatigant pour la tête. Donc, finalement, non, c’est maintenant qu’il faut en parler…

    stefbac : Hélas, même quand ils ont bien assimilé les concepts, ils semblent les oublier à l’occasion. Certains diront que c’est normal, c’est la politique. Nous disons que ça ne nous empêche pas de le faire remarquer et de ne pas passer à autre chose aussi facilement.

    Je rappelle à tous que nous ne sommes pas dûpes de ce qu’est la vie politique, de ses règles, de ses incontournables exercices de style, etc. Mais, dans la mesure du possible, nous espérons donner un autre éclairage.

  9. Malheureusement, on ne peut pas donner raison au econoclastes sur ce point.
    La phrase de Sarkozy, sur le temps de travail est économiquement rigoureusement exacte. Dans un état donné de l’équipement et de la technique (comme dirait Keynes), on ne peut pas gagner plus en travaillant moins. C’est la base de la théorie de l’offre de travail. L’arbitrage travail/loisir peut être un choix qui se fait au niveau de l’individu ou de la société, mais la contrainte budgétaire du décideur doit être prise en compte. NS ne dit rien d’autre , il a parfaitement raison. Comme on est au niveau du choix politique les citoyens doivent prendre en compte la contrainte budgétaire.
    La croissance ne change rien à l’affaire. Ce que démontre les statistiques et graphiques mis en lien, c’est simplement que, à long terme, l’augmentation de la productivité est partiellement utilisée pour réduire le temps de travail. Mais à chaque période représentée sur le graphique la contrainte budgétaire reste bien celle mise en avant par Sarkozy.
    La faute de raisonnement d’Alexandre illustre bien, que l’on ne peut pas faire sérieusement de macroéconomie sans fondements micro explicites…
    Dommage que la passion politique l’éloigne pour une fois de sa ligne éditoriale.
    Qu’Alexandre prenne le temps de lire plus en détail la prose de Sarkozy, il découvrira qu’il a assimilé certains raisonnement économiques que beaucoup de politiques n’ont pas intégré. Ca ne suffit pas à lui donner raison sur tout, mais cela suffit à faire de lui un animal politique interressant.
    Alors pitié laissez l’antisarkozysme primaire au forum de libé et continuez à nous parler d’économie.

  10. Prof : votre argument est intéressant. Il consiste à dire que dans un monde virtuel sans croissance de la productivité, la seule façon de produire plus est de travailler plus. C’est intéressant, mais le fait est que la question centrale depuis pas mal de temps, c’est que la productivité augmente, et qu’il serait bon d’en tenir compte. A moins que vous ne vouliez dire que NS est le bon candidat pour une France pré-invention de l’agriculture? Je ne pense pas.
    Quant aux soi-disant "raisonnements économiques qu’il a intégré" j’en apprécie l’annonce, j’en préfèrerai la liste. Je préférerai aussi des réponses aux questions que je pose. Supporters de Nicolas Sarkozy, faites-moi plaisir : trouvez donc des arguments en faveur de votre champion, pour changer (ce qui veut dire autre chose que "les socialistes c’est encore pire).

  11. 1. Je ne suis pas supporteur de Nicolas Sarkozy, et pour tout dire jusqu’à maintenant j’ai toujours voté à gauche.
    2. Il ne s’agit pas d’un monde virtuel, il s’agit d’une propriété générale. La seule hypothèse nécessaire est que la production à chaque date soit une fonction croissante de la quantité de travail… Cela pose-t-il un problème ? Si oui ce serait embêtant car toute la théorie économique repose là-dessus…
    3. Dans un modèle dynamique où la productivité augmente (trend exogène, accumulation, progrès technique, etc.) la relation reste vraie, la décision de travailler moins à une période a pour contrepartie une baisse du revenu à cette période. En revanche le temps de travail optimal du point de vue du travailleur (celui qu’il choisit lorsqu’il en a la liberté, ou celui pour lequel il milite et vote lorsque la décision est prise au niveau collectif) dépend bien évidement de la productivité. C’est probablement ce qui explique la baisse du temps de travail constaté sur la longue période.
    4. La relation entre temps de travail optimal et productivité est néanmoins intéressante. Car la productivité ne varie pas uniquement dans le temps mais également d’un individu à l’autre à une date donnée. Le temps de travail optimal ne sera donc pas le même pour des individus ayant des niveaux d’éducation différents et des métiers différents. En imposant à tout le monde le temps de travail optimal pour le militant du PS représentatif (55 ans, cadre de la fonction public), le gouvernement Jospin s’est coupé d’une bonne partie de son électorat populaire. C’est dommage pour lui, je ne suis pas loin de penser que cela a été dommage pour le pays…
    5. Dans le discours sur le temps de travail, il faut bien distinguer deux choses : 1. Le discours moralisateur, le travail est une vertu, il est bon en lui-même. Sur ce discours, qui selon les époques est de gauche ou de droite, l’économie n’a pas grand-chose à dire (si ce n’est que poussé à la limite il conduirait les gens à payer pour travailler…). 2. Le discours du choix, le temps de travail optimal relève du choix individuel, mais c’est un choix contraint. Plus de travail, permet plus de revenu et plus de consommation, mais moins de loisir. Ce discours est très précisément celui de l’analyse économique en général et celui du modèle d’offre de travail en particulier. Ce que je crains, dans le cas Sarkozy, c’est que son discours sur le temps de travail n’ait été identifié au premier type sur le simple a priori que Sarkozy est de droite et que depuis une trentaine d’année le discours de type 1 est classé comme "de droite".

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