François, y a quelqu’un qui m’a dit que… (1)

… tu voulais taxer à 75% au dessus d’un million. Tu veux vraiment le faire ?

En fait, je pense que ce serait une mauvaise idée. Je t’en avais un peu parlé. Claude Onesta en avait parlé aussi à propos des footeux. Oh, j’ai bien tout lu mon Piketty et je sais bien que ce n’est pas forcément grave, en soi. Des tas de gens s’en remettent et ne fuient pas le monde la France pour autant. Néanmoins, si j’ai bien tout compris les gens qui vivent avec nous, je crains que 75% ce soit beaucoup trop. Pourquoi ? Eh bien, je vais te le dire. Parce que le pays qui vient te filer les clés est un pays un peu compliqué.

Le premier truc compliqué, mais pas tant que ça quand je t’aurai expliqué, c’est que c’est plein de classes moyennes. Les classes moyennes, c’est compliqué. C’est pas pauvre, c’est pas riche et c’est même pas moyen. C’est tourné vers le haut (Dominique Goux et Eric Maurin peuvent t’expliquer dans le détail). Le meilleur moyen de pas retomber avec les pauvres, les caïras, les assistés, les immigrés et les autres, c’est de viser la protection apportée par l’appartenance à la classe supérieure. Bon, là tu me suis pas encore tout à fait, ok. Alors, je précise. Quand ton objectif est (même secrètement) de gagner un million par an, tu te sens un peu déjà comme si tu les gagnais. Dans son bouquin Souvenirs d’un pas grand chose, que tu as peut-être lu (j’en aurais même pas parlé à ton prédécesseur, je sais qu’à part Stéphane Camus, il lit peu) Charles Bukowski écrit “Mes parents voulaient tellement être riches qu’ils pensaient l’être”. Ben, là, c’est pareil. Et quand on te dit qu’on va augmenter le taux marginal de 35 points, tu te sens attaqué. Donc, tu n’approuves pas et tu mets ça dans la colonne “pas bien” au moment du bilan. Même quand tu as voté Mélenchon, je t’assure. Enfin, quand tu as voté Mélenchon, tu le penses, mais tu le dis pas forcément. Au final, c’est pareil. Ce comportement étrange, d’autres gens que moi l’ont bien perçu. Tiens, Guillermo, un blogueur de gauche qui a régulièrement un regard intéressant sur ce qu’il ne comprend pas (tout en le comprenant), t’explique pourquoi il pense que ça ne va pas changer.

L’autre truc, c’est que le pays que tu gouvernes maintenant est un pays de classes. Non, en fait, de statuts. Pour le pire et pour le meilleur. Le meilleur, ce sont des gens qui aiment le travail, mieux, le travail bien fait. Le pire, c’est l’idée qu’une fois sa scolarité finie, on n’a plus rien à prouver et que si on est pauvre, on le reste, tout comme quand on est riche. C’est normal, point. Alors, évidemment, on va gueuler un peu contre ça, des fois. Mais après tout, quand même, s’ils ont plus les sous les gens d’en haut, on les respecte comment ? C’est embêtant. Enfin, voilà, quoi. Tout est dans Philippe d’Iribarne. Si tu mets un taux à 75%, ceux qui ne le paieront pas vont être mécontents aussi.

Alors, pour conclure… Si plein de gens ont voté pour toi, c’est souvent pour que tu facilites la coopération entre les gens. C’est super bon pour le business, c’est pas moi qui le dis, ce sont Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg. C’est bien de taxer plus ceux qui en ont plus et qui ne s’en servent pas pour trickler down. Mais c’est finalement plus symbolique qu’autre chose en termes de rentrées fiscales. Bon, je grossis le trait. Disons que quand on tient compte de tout, il y a peut-être plus à perdre qu’à gagner. Donc, si comme Thierry Pech le synthétise plutôt bien dans son temps de riches (que je te recommande, surtout pour sa première partie, très documentée et posée), on y peut rien, ceux qui n’ont rien aiment que ceux qui en ont en aient beaucoup, tout en voulant que ça ne dégénère pas, alors te contenter d’un “petit” 55% ou 60% en taux marginal maximum me semble une excellente idée.

Si ça te dit, je reviendrai te parler des 60 000 postes à l’éducation nationale et du Smic.

Note : moi ça me conviendrait très bien 75% sur tout mon supplément de million… Pour les trolls usuels, inutile de dire que je prépare quoi que ce soit.

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10 Commentaires

  1. Le titre de la chanson c’est pas "il y a quelqu’un qui m’a dit que" c’est "quelqu’un m’a dit".
    Et c’est pas Valérie Trierweiler qui la chante alors t’as un métro de retard. 😉

    Réponse de Stéphane Ménia
    Merci pour ces précisions.

  2. A mon avis, le problème de cette super-taxe n’est pas qu’elle incite les super-riches à fuir la France mais qu’elle décourage l’effort au travail et qu’elle encourage, en plus, le travail non déclaré au fisc. Pourtant, c’est le 1er argument celui du "risque de fuite à l’étranger" (le vote avec les pieds) qui est souvent avancé par les opposants à cette taxe. Alors que le 2ème argument me semble bien plus convaincant(désincitation au travail + travail non déclaré) dans la dénonciation de ce taux d’imposition supposé confisquatoire.
    Par ailleurs, les super-riches sont-ils plus sensibles à l’effet de substitution – vaut mieux ne pas travailler en France que d’y travailler – qu’à l’effet revenu – je suis tellement taxé que je dois compenser cette perte significative de revenus par un supplément de travail? Peut-être les études économétriques l’ont mesuré mais a priori çà n’est pas évident.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Oui, les études économétriques l’ont tellement mesuré qu’Obama s’en inspire, dixit le NY Times.

  3. Cette logique des gens qui souhaitent être riches, et donc souhaitent que les riches ne soit pas taxé, s’applique très, très bien aux US. Par contraste, j’ai un gros doute que cela marche en France. Pour une petite partie de la classe moyenne, oui, mais guère plus.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Peut-être. Ou peut-être pas.

  4. Je suis loin, très loin du million d’euros, et j’approuve complètement le taux marginal à 75%. C’est symbolique, certes. C’est justement pour ça qu’il faut adopter cette mesure. De même que la baisse de 30% des indemnités de ministres et président (notons cette singularité que ce sont eux-mêmes qui décident de leur salaire ; ça devrait être une commission indépendante des politiciens), symbolique, et à adopter pour ça.
    Les symboles, ça compte. Le Fouquet’s, le Paloma, ça vous dit quelque chose ?

    Nota : enfin, maintenant que les élections sont finies, on va arrêter de lire l’horrible "voter quelqu’un", qui est d’une laideur assez prononcée.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Ma foi… Tant que tous les gens qui gagnent nettement moins qu’un million d’euros n’auront pas laissé un commentaire pour dire ce qu’ils en pensent, je ne vois pas de raison pour conclure.

  5. Evidemment. J’ai laissé mon commentaire pour montrer que tous les gens à moins d’un million d’euros ne pensent pas que 75% de taux marginal, c’est trop, car votre article le laisse – presque – supposer.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Ma foi… J’ai laissé une note personnelle en fin de texte qui est pourtant claire.

  6. Votre article me fait penser à la tribune de DeLong ‘The 70% solution’.
    http://www.project-syndicate.org...

    Extraits:
    The utilitarian economic logic is clear. Yet more than half of us are likely to reject the conclusion reached by Diamond and Saez. We feel that there is something wrong with taxing our superrich until the pips squeak so much that further taxation reduces the number of pips. And we feel this for two reasons, both of them set out more than two centuries ago by Adam Smith – not in his most famous work, The Wealth of Nations, but in his far less discussed book The Theory of Moral Sentiments.

    Comments
    The first reason applies to the idle rich. According to Smith,

    Comments
    “A stranger to human nature, who saw the indifference of men about the misery of their inferiors, and the regret and indignation which they feel for the misfortunes and sufferings of those above them, would be apt to imagine, that pain must be more agonizing, and the convulsions of death more terrible to persons of higher rank, than to those of meaner stations…”

    Comments
    We feel this, Smith believes, because we naturally sympathize with others (if he were writing today, he would surely invoke “mirror neurons”). And the more pleasant our thoughts about individuals or groups are, the more we tend to sympathize with them. The fact that the lifestyles of the rich and famous “seem almost the abstract idea of a perfect and happy state” leads us to “pity…that anything should spoil and corrupt so agreeable a situation! We could even wish them immortal…”

    Réponse de Stéphane Ménia
    Indeed.

  7. Note personnelle qui justement, en tant que telle, ne change pas la généralité supposée dans l’article.
    Vous n’auriez pas un sondage – on va en manquer maintenant – sous le coude, pour nous dire combien de pauvres aiment que les riches le soient beaucoup ?

    Nota : L’anaphore a plus d’allure chez Hollande.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Ok, vous avez raison et je n’aurais jamais dû écrire un billet aussi stupide. Bonne journée.

  8. Sinon, on peut aussi parler de la courbe de Laffer.
    Mais je pense que vous vous en inspirez déjà.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Il n’y a pas d’argument lafferien dans mes propos, si c’est ce que vous suggérez. Au contraire, je cite Piketty (je devrais ajouter Saez et aussi Landais).

  9. "Ma foi… Tant que tous les gens qui gagnent nettement moins qu’un million d’euros n’auront pas laissé un commentaire pour dire ce qu’ils en pensent, je ne vois pas de raison pour conclure."

    Mon dieu, ça se vante "éconoclaste" ? Semblent lointains la fac, l’étude empirique (de terrain, hein), les mesures autres que les (oh, super !) régressions MCO/G du NYT, le recul des sciences sociales transversales, eutécé.

    Pour un blog relayant un titre tel que "Nos phobies économiques", celles d’une "désincitation" à travailler qu’engendrerait des taux trop progressifs d’impositions est alarmante. Documentez-vous sur ceux appliqués aux États-Unis comme au Japon tant sur les revenus que sur les actifs patrimoniaux au cours des deux siècles précédents, comparez-les aux gains de productivités d’alors, et vous risqueriez de considérer votre ""petit" 55% ou 60%" minuscule, et sans guillemet ironisant. 😉

    Réponse de Stéphane Ménia
    Allez, je crois qu’il est temps de fermer les commentaires sur ce billet, les trolls débarquent. En plus, ils sont bourrés, on comprend rien à leurs élucubrations, si ce n’est qu’ils sont… trolls.

  10. À ces niveaux de revenu (et ce taux va sans doute porter essentiellement sur les revenus d’activités) on parle essentiellement de très grands cadres de multinationales. Je pense que dans ce cas, étant donné la concurrence internationale, c’est le salaire net qui détermine le brut, et non l’inverse. Il s’agit donc de forcer les entreprises qui peuvent se permettre de payer ce genre de rémunération à contribuer, tant qu’elles y sont, au budget de l’État.

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