Et toi, tu préfères mourir du tabac ou du tabac et du terrorisme en même temps ?

tabac

Suite à une décision du tribunal de Cergy-Pontoise, saisi par des gens, le Ministère de l’Éducation Nationale – avec une vitesse qu’on aimerait lui connaître dans d’autres situations – a décidé d’interdire de fumer dans les établissements scolaires, afin de respecter avec précision la loi anti-tabac, en dépit des risques d’arrosage à la Kalach’ devant les terrasses que sont les abords de certains lycées.

Il y a des situations où la notion d’optimum de Pareto est d’une grande utilité. L’optimum de Pareto, c’est une situation où il est impossible d’améliorer la situation d’un individu sans dégrader celle d’un autre individu. Toute la “théorie du choix social”, dont Amartya Sen est le plus illustre représentant, s’est évertuée à montrer les limites de ce critère de justice sociale. Avec pertinence. Pourtant, quand une situation où ce critère est l’alpha et l’omega de la décision se présente, l’économiste de base se marre bien quand la décision collective va dans un autre sens.

Prenons un exemple vaguement formalisé. Nous avons deux objectifs. Le premier est d’empêcher l’évènement A. Le second est d’empêcher l’évènement B. Une solution, appelée 1, permet d’empêcher l’évènement A mais pas l’évènement B. L’autre solution, la solution 2, n’empêche ni l’évènement A, ni l’évènement B. Il n’y a pas d’autre décisions possibles. Vous retiendriez quelle solution, vous ?

Après un “long” moment de réflexion, vous avez probablement retenu la solution 1. Elle est Pareto-optimale. Vous avez la fibre d’un économiste. Ou, plus prosaïquement, vous n’êtes pas trop crétin.

Concrétisons ce cas d’école. Imaginons que l’évènement A est que des lycéens se fassent tirer dessus devant leur établissement par des terroristes, ce qui est mauvais pour leur santé.
L’évènement B est que les lycéens fument, ce qui est mauvais pour leur santé.
La solution 1 consiste à autoriser de fumer dans un lycée pendant un temps indéfini, mais non infini (un temps dérogatoire qui sied fort bien à l’état d’urgence).
La solution 2 consiste à interdire de fumer dans le lycée, comme la loi usuelle le requiert. Mais à autoriser les lycéens à sortir fumer sur le trottoir.

Interdire le tabac dans un lycée et autoriser les lycéens à fumer sur le trottoir ne réduit pas le tabagisme, mais expose, en plus, les jeunes à se faire tirer comme au ball trap, le cas échéant, c’est-à-dire, compte tenu de l’air du temps, “avec une probabilité non nulle”. Pour tous ceux qui estiment que cette probabilité est si faible qu’elle ne compte pas, je les invite à la multiplier par le nombre de lycées en France (ou au moins ceux qui donnent directement sur une rue)… Eh ouai… on pense pas seulement au lycée de vos gamins à vous, les gars.

Les intégrismes – tous – ont le vent en poupe et se renforcent les uns les autres. Penser en économiste permet parfois de le mesurer avec encore plus d’acuité et d’être moins con. Vraiment.
Quand, par ailleurs, on constate que ceux qui sont les figures de proue de ce mouvement hygiéniste et moraliste sont aussi des gens pétés de thunes, qui ont dû adopter tout au long de leur vie des stratégies très rationnelles (1), on a envie de… disons d’être au moins aussi irrationnels qu’eux et de foutre tout ça en terrasse. Mais, au nom de valeurs morales, hein…

EDIT : un billet complète celui-ci.

(1) Ça me fait penser à tous les fans de Pierre Rabhi qui, pour l’essentiel, ont passé 15 ans de leur vie dans la finance ou dans des emplois bien calés et trouvent que cette petite ferme dans le sud ouest, à 80K€, elle est donnée…

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16 Commentaires

  1. On pourrait répondre que le but est d’éviter le tabagisme passif, mais je suis pas sûr que ce soit une excuse suffisante en espace ouvert. Les non-fumeurs peuvent toujours fuir à quelques mètres.

    Les associations anti-tabac ont clairement fait campagne en disant que c’était une bonne occasion pour forcer à se retenir de fumer l’ensemble de la journée scolaire. Donc, encore un exemple de “les adultes font ce qu’ils veulent, les jeunes auront des interdictions, c’est pour leur bien”.

    • Le tabagisme passif dans des espaces totalement ouverts… ça n’a jamais été le sujet, même pour les anti-tabac.
      Le fait est que leur branlette, ça marche pas. Les gosses étaient rerentrés et fumaient bien plus en sécurité, dans des endroits ciblés et ouverts.
      ils sont ressortis fumer sur le trottoir. Les instructions sont de les inciter à ne pas se regrouper. Pure pitrerie administrative.
      “Reality is that which, when you stop believing in it, doesn’t go away.”.

      • “Le tabagisme passif dans des espaces totalement ouverts… ça n’a jamais été le sujet, même pour les anti-tabac.”
        Je trouve que vous évacuez le sujet un peu vite, pour dire les choses poliment. Je me souviens suffisamment bien de mes années de lycée pour me rappeler que les jours de pluie, on était tous entassés dans le préau, et le nombre de fumeurs aurait été bien suffisant pour asphyxier tous les non-fumeurs, espace ouvert ou pas…

        D’un point de vue mathématique aussi, je trouve que vous concluez très vite concernant :

        – le fait qu’autoriser à fumer en intérieur n’a aucun impact: outre le tabagisme passif, il est probable que cela augmente la consommation de tabac : aucun risque de se faire gauler par ses parents, fumer en intérieur devient un signe d’émanciaption, etc… probablement pas un impact énorme, mais certainement pas nul.

        – le fait que des lycéens fument dehors est un grand risque: combien de lycéens tués pour avoir fumé devant leur établissement ? Zéro à ma connaissance.

        – le fait que les lycéens rentrent réduise le risque terroriste : si un terroriste veut faire un carton facile, il reste toutes les files d’attente à rallonge devant les musées et autres (causées par les fouilles “de sécurité”…), où la densité est encore bien plus forte que devant les lycées. En clair, on déplace le risque : si un terroriste abandonne son projet de canarder des lycéens faute de cibles, on aura probablement encore plus de victimes, ailleurs. Le seul gain, c’est que ce sera probablement en majorité des touristes chinois, au lieu d’une majorité de lycéens.

        – la comparaison des deux risques A et B : le nombre de morts du tabac est énorme face à celui des lycéens victimes de terrorisme. De ce fait, même si en pourcentage la hausse du nombre de fumeurs (actifs ou passifs) est infime, il est probable que son impact reste significativement plus élevé que le nombre de victimes du terrorisme (“A augmente de 0,02%, donc on simplifie en disant que A n’augmente pas” n’est pas valable si le risque A représente 100.000 victimes et le risque B 10 : au final la hausse de A reste 2 fois plus forte que le risque B. Pour moi, c’est exactement la simplification que vous faites en disant qu’autoriser à fumer en intérieur n’a aucun impact.)

  2. Alors qu’en réalité, il serait beaucoup plus efficace de ne pas laisser sortir les étudiants de chez eux afin de leur éviter toute sorte de dangers, comme par exemple les prêtres pédophiles.

    • Enfin plus sérieusement, cette affaire de cigarette est quand même très drôle. Sachant que la cigarette tue 1 fumeur sur 2, et 70 000 personnes par an, ce qui leur fait peur a ces jeunes gens, … c’est le terrorisme ! Comme quoi, BFMTV fait bien son boulot.

      Peut être que justement, on pourrait utiliser cette peur irrationnelle, contre le tabagisme: “si tu sors du lycée, une horde de terroristes va venir te tuer ! Je serais toi, je resterais sagement ici”

  3. Mouais… Pour le coup je ne suis pas sûr d’être d’accord.

    Etant moi même fumeur invétéré j’ai souvent comme réaction première (et primaire), de dire que “qu’est-ce qu’ils m’emmerdent ces non- fumeurs. Je les force à fumer moi ? Non ? Bon bah qu’ils arrêtent d’essayer de me forcer à non-fumer”. Mais il faut tout de même se rendre à l’évidence que ce sont les propos d’un cerveau noyé dans la nicotine depuis plus de 10 ans, qu’en toute objectivité fumer c’est crétin, et que compte tenu du coût social de mon futur cancer du poumon ils ont le droit de me forcer à me sauver la vie, ne serait-ce que pour sauver leur portefeuille.

    Pour le problème à l’étude, je ne suis pas d’accord avec l’article sur trois points.

    Le premier c’est qu’il y a toujours l’option d’implémenter simultanément les mesures A et B. Soyons francs, quand j’étais lycéen j’aurais moi même commis un attentat si on était venu m’interdire de fumer ma clope à la récré. Il n’empêche que c’est une solution, coûteuse sur le plan organisationnel (qui a fini sa journée, qui sort juste fumer une clope ?), mais tout de même sérieuse si on part du principe que le risque d’attentat est élevé.

    Le deuxième c’est que je ne suis pas sûr du tout que ce soit optimal en terme de santé publique de laisser fumer dans les lycées. Considérons, pour faire simple, qu’il ne se produira qu’un seul attentat devant un lycée dans les 6 prochains mois et que cet événement est certain. Admettons aussi que les tireurs arriveront à descendre 300 gamins (and we wonder why they call it the dismal science…), toujours avec une probabilité égale à 1, et que l’autorisation de fumer dans les lycées ramène ce nombre à zéro. Alors il suffirait que 600 lycéens se mettent à fumer du fait de la nouvelle autorisation pour que la mesure ait, statistiquement, tué autant de jeunes qu’elle en a sauvé. Et sur les milliers de lycéens français, 600 c’est vite arrivé… Alors certes, le “1 fumeur sur deux meurt du tabac” ne marche peut-être pas pour les jeunes de 16 ans, qui ont toute la vie pour arrêter et qui bénéficieront peut-être des fruits de la recherche contre le cancer, mais l’argument tient toujours : la mesure aurait des conséquences averses en terme de santé publique, et elles peuvent très vite dépasser les bénéfices d’empêcher les attroupements devant les lycées. Après c’est une histoire de choix intertemporels, de savoir si un mort d’attentat c’est pas pire qu’un mort du cancer, ou d’autres joyeusetés, mais c’est pas aussi univoque que l’article le laisse entendre.

    Et enfin le dernier c’est que ce n’est de toutes les façons pas pareto optimal, pour la simple raison que si des gens ont saisi un tribunal pour ça, c’est qu’ils subissent une désutilité…

    • “qu’est-ce qu’ils m’emmerdent ces non- fumeurs.”
      Ce n’est pas du tout mon propos. Je ne remets pas en cause l’objectif de lutte contre le tabagisme.
      “Le premier c’est qu’il y a toujours l’option d’implémenter simultanément les mesures A et B”
      Ce n’est pas ce qui est retenu.
      “il suffirait que 600 lycéens se mettent à fumer du fait de la nouvelle autorisation”
      Ils peuvent le faire sur le trottoir.
      “si des gens ont saisi un tribunal pour ça, c’est qu’ils subissent une désutilité…”
      Comme quand les jeunes fument sur le trottoir.

      • Je sais que ce n’est pas votre propos, je voulais juste souligner que ma réponse était loin d’être de l’anti-tabagisme.

        Quand je disais « il suffirait que 600 lycéens se mettent à fumer du fait de la nouvelle autorisation » j’entendais bien « du fait de la nouvelle autorisation », parce-que les copains fumeurs sont plein d’enthousiasme à l’idée de cette nouvelle autorisation, parce-que la pression sociale est peut-être plus forte dans ces nouvelles circonstances, parce-que c’est fun de fumer dans l’établissement, ou pour je ne sais quelle autre raison. Je n’ai ni chiffres ni théorie précise, mais il ne me semble pas impossible que la mesure entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation du tabagisme.

        Concernant le dernier point, je me suis emmêlé les pinceaux (le danger de manipuler ce genre de concept hors d’un cadre formel et purement économique). Une critique peut-être un peu mieux formulée serait de dire que l’autorisation n’est pas Pareto améliorante (car elle réduit l’utilité de certains agents), mais que d’un autre côté le passage de la situation avec autorisation à la situation d’interdiction ne serait pas non plus Pareto améliorante (elle réduirait l’utilité des fumeurs), et qu’en ce sens le critère d’optimum de Pareto n’est pas d’une grande utilité. Les deux situations sont optimales, mais le critère d’optimalité n’est pas adapté. Le problème n’est pas un problème d’efficacité, mais un problème de choix social et d’équité: quel risque minimiser, et comment pondérer les utilités de chaque agent dans le calcul de l’utilité sociale.

  4. Ah ben voilà la réponse à la question “A quoi servent les économistes ?”…

  5. Mwouai… L’argument Pareto optimal est un peu tiré par les cheveux et est plus que douteux à mon avis.

    Vous raisonnez comme si la situation A ne dégradait le bien être de personne. Or il est raisonnable de penser que fumer à l’intérieur du lycée dégrade si ce n’est la santé au moins le confort des autres lycéens. On fait donc payer aux non-fumeurs (majoritaires) le coût de la sécurité des fumeurs (minoritaires) si on prends la solution B ce qui est une vilaine externalité qui fait frémir mon âme d’économiste sensible !

    On a plutôt à mon sens un beau combo aléa moral + externalité + dépendance au sentier de la cigarette qu’un problème d’optimum de Pareto. Ni la solution A ni la B n’est un optimum de Pareto.

    Conclusion : fumer c’est très vilain.

    PS : Je n’ai jamais vu un seul lycée où le nombre de lycées qui fumaient à la sortie était assez important pour mériter une attention particulière d’un apprenti terroriste.
    Un terroriste qui veut tuer des lycées fera surement plus de victime à la sortie des cours ou par exemple le jour des résultats du bac que en ciblant la dizaine de fumeurs à la récrée… Où il peut aussi simplement entrer dans l’établissement pour tuer les élèves.
    Le raisonnement exposé dans cet article me semble tomber dans la comédie sécuritaire dénoncée quelques mois plus tôt ici même, ce qui est un comble… :p

    • Vous ne connaissez visiblement pas les lycées et les flux d’élèves les concernant. Mais bon…
      Et vous pouvez développer le combo aléa moral + externalités + dépendance au sentier ?
      C’est bien plus intéressant que le reste de votre commentaire.
      Qui ne ressemble pas à celui d’un économiste, mais d’un anti-tabac.
      J’ajoute que, sérieusement, si vous commencez à considérer que des gens qui fument dans un coin de cour de plusieurs centaines de mètres carrés sont une nuisance, alors il faut se rendre à l’évidence, l’existence des gens est une externalité négative insupportable et il faudrait tous vivre dans des grottes. Une idée qui me tente pas mal, à vrai dire.

  6. Bonsoir,
    Pas trop d’accord. Ne pas faire sortir les élèves n’évite pasle risque d’attentats, étant donné qu’il suffira pour le terroriste de tuer le gardien, d’entrer, et hop ! Tous les élèves sont concentrés dans une cour de récréation. On peut même se demander si question sécurité c’est pas’pire que quand ils sont dispersés devant le lycée. On ajoute à ça les gens qui se forçaient à arrêter en restant dans la cour de récréation pour pas être tentés et qui maintenant vont recommencer à fumer, et on aboutit à une belle mesure stupide.

    • Une concentration de gamins pendant 15 minutes sur quelques mètres carrés est un formidable stand de tir. Il me semble qu’on a un précédent avec des terrasses.
      Devant certains lycées, il n’y a même pas à arrêter la voiture pour faire un carton. Ils ne sont pas dispersés, ils sont concentrés pour deux raisons : un, la place ; deux, ils aiment être ensemble agglutinés les uns sur les autres.
      Encore une fois, comme sur une terrasse de café.

  7. Sans être économiste, la probabilité d’un carton devant un lycée concerne quasi exclusivement les très grosses agglomérations, Paris, Lyon, etc… Donc c’est pour le “plaisir” des fils à papa de la finance que l’on “emm…” le reste du pays. Encore une vision centro-parisienne. La province se moque des angoisses terroristes des “élites” parisiennes. Pierre Rabhi et ses potes profitent du soleil et de l’air pur de la campagne. Bon we

  8. Le problème de cet article, c’est que son axiome (seul passage en gras) n’est pas vérifié.

    Il est tout à fait possible qu’obliger les gens à sortir pour fumer les dissuade : ça fait passer un message, ça les éloigne de leurs potes non fumeurs qui ne veulent pas sortir, et en cas de mauvais temps ça peut aussi les dissuader de marcher jusqu’à la sortie de l’établissement.

    Si on veut raisonner correctement, il faut essayer de deviner le nombre de cigarettes non fumées grâce à cette mesure, déterminer son impact sur la santé publique, puis la comparer avec les chances d’une attaque terroriste sur un lycée. Je doute que ça donne le résultat escompté par l’auteur de l’article.

    • On fait pas des maths, on regarde le vrai monde. Celui dans lequel l’interdiction de fumer dans les établissements scolaires, aussi justifiée en termes de volonté ou de symbole soit-elle, a eu un effet nul sur le tabagisme. Maintenant, si le vrai monde vous plaît pas… sachez que moi non plus.

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