Du tiers-payant intégral à la nationalisation (partielle) du système de santé ?

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Les médecins libéraux ne sont pas contents. Ils nous annoncent la mort de la médecine libérale si la loi Santé de Marisol Touraine passe. En apparence, les discussions concernant cette loi lui donnent des allures de loi show-biz. Un genre de loi Macron de la santé. Paquets de clopes neutres, interdiction des mannequins anorexiques (un amendement va être déposé), interdiction de fumer en voiture avec un gosse à bord d’une voiture, interdiction partielle des e-cigarettes dans les lieux publics et tiers payant généralisé en sont les éléments les plus souvent mis en avant. Aux côtés de ces points, d’autres attirent davantage l’attention des spécialistes (autour de la réorganisation du parcours de soin). Mais ces dernières sont peu commentées (peut-être parce qu’elles ne sont pas révolutionnaires ?). Alors, la généralisation du tiers payant est devenu le symbole de la loi et de la crainte des libéraux d’être “fonctionnarisés”.

Pourquoi les médecins craignent-ils le tiers payant généralisé ? Basiquement et incontestablement, cela signifie que l’on transfère aux médecins les coûts de la gestion de trésorerie du décalage entre acte et remboursement. Financièrement, cela représente une charge, probablement modeste, si tout fonctionne bien. Plus problématique si ce n’est pas le cas. Mais ce sont également eux qui devront gérer les problèmes d’impayés avec la sécu et les mutuelles. On peut considérer qu’après tout, ce sont les patients qui le supportaient jusqu’ici et que c’est un progrès pour ceux-ci. En même temps, un raisonnement basiquement utilitariste permet de constater qu’on passe d’une situation où plein de gens devaient occasionnellement subir quelques désagréments à une situation où un petit nombre supportera ce coût régulièrement. Chacun évaluera la situation comme il le souhaite. L’ennui, du point de vue des médecins, c’est qu’avec le tiers-payant vient la possibilité de refuser des remboursements aux médecins qui ne suivraient pas certaines règles souhaitées par la sécurité sociale, en matière de prescriptions par exemple. De là à crier à la fin de la médecine libérale telle qu’on la connaît en France, il y a un pas qu’il n’est pas interdit de franchir, dans une logique prospective. Paranoïa ? A vrai dire, pas vraiment. C’est dans l’air du temps. Pour comprendre pourquoi, il faut faire un petit détour par les enjeux fondamentaux des systèmes de santé, l’état des pratiques internationales et les conclusions que les responsables publics ont pu en tirer pour l’évolution du système français. Des conclusions, du domaine prescriptif, quant à moi, je n’en tirerai guère. Le système de santé est incroyablement complexe (enfin, je trouve). Et, comme vous le savez ou le saurez après ce billet, un système parfait, ça n’existe pas. De sorte qu’une fois qu’on s’intéresse à un système qu’il faut reconnaître comme déjà globalement performant (oui, c’est le cas du système français, on en doit pas s’y tromper), les voies d’amélioration n’ont rien de tracées. Si le bal des revendications des uns et des autres a des airs archi-connus, il est vrai aussi que tous ont des arguments défendables.

En suivant Bruno Palier (en lisant par exemple son très bon ouvrage de synthèse sur le sujet), on peut dire que la performance d’un système de santé se mesure selon quatre critères : l’égalité d’accès aux soins, la qualité des soins et les résultats, le contrôle des dépenses et la liberté laissée aux acteurs. Hélas, un système qui soit capable de maximiser ces objectifs en même temps est impossible à atteindre. Il y a toujours une forme d’arbitrage à réaliser entre ces différents buts et, en fin de compte, l’architecture d’un système de santé ne reflète que la construction plus ou moins historique de préférences sociales qui sans être figées, ont du mal à évoluer, dès qu’il s’agit de renoncer à réaliser un des objectifs parce que l’un des autres objectifs doit être amélioré.

La liberté de choix rime souvent avec un accès aux soins inégal (soit en volume, soit en qualité). Les files d’attente sont plus importantes dans les systèmes où les dépenses sont peu élevées. La liberté de choix induit une concurrence entre médecins qui peut conduire à accroître les prescriptions pour satisfaire les patients, à encourager le « nomadisme médical » (difficile à évaluer, néanmoins). Bref, la liberté a un coût, en termes de dépenses. Liberté et qualité des soins coûtent cher ensemble.
En revanche, la corrélation entre haut niveau de dépenses et haut niveau de qualité des soins n’est pas systématique. Passé un certain seuil de dépenses, on a des résultats différents entre des pays aux dépenses (et à l’organisation du système de santé) différents, sans que le budget de la santé ne soit la variable déterminante. Des systèmes très dépensiers obtiennent des résultats proches (et donc décevants) de ceux de systèmes plus économes. La situation n’est d’ailleurs pas figée dans le temps. A partir de là, la France se situant plutôt parmi les premiers pays, il est tentant de tenir le raisonnement suivant : puisque plus de liberté est synonyme de plus de dépenses mais n’est pas toujours gage de résultats, peut-être faudrait-il envisager de réduire cette liberté, réduire les dépenses et conserver un niveau de performance identique, mais à un coût inférieur. On vante l’absence, réelle, de files d’attente dans la médecine française. On la compare souvent à la situation britannique. On peut aussi la comparer à la situation suédoise où, si les files d’attente sont plus longues (mais généralement tolérables), les résultats sanitaires sont légèrement plus performants, pour des dépenses moindres. Expliquer en détail ces différences dépasse ce billet, mais citons simplement l’importance donnée aux soins préventifs dans le système suédois nettement moins libéral que celui de la France, pour ce qui est de la médecine de ville.

En d’autres termes, ce qui se passe actuellement est assez normal. Les gouvernements confrontés au casse tête du financement, ont à peu près tout essayé depuis 30 ans. La hausse des cotisations et le déremboursement. Le premier n’agit nullement sur le rapport qualité-prix de l’assurance maladie. Le second repose sur l’idée qu’on peut discipliner le patient impécunieux avec l’argent des autres, ce qui est loin d’être prouvé. Les accords de limitation des dépenses avec les professionnels de santé se sont heurtés, sans surprise, à tout ce qui fait que les dépenses croissent, y compris la liberté de choix. Au fond, la grande absente – au moins en termes relatifs –  des campagnes de santé chez nous reste l’information du patient-citoyen. Et finalement, aujourd’hui, et au moins depuis la loi Bachelot de 2009, cette idée qu’on peut rationaliser le système de santé en piochant dans les modes d’organisation des Suédois, Britanniques, Italiens ou Canadiens, dans lesquels la Santé est essentiellement considérée comme un service public (y compris au niveau de la médecine de ville), arrive au stade où elle doit aussi impacter la médecine de ville (après s’être occupée de l’Hôpital avec des succès que je laisserai les autres commenter). C’est dans cette perspective, me semble-t-il, qu’il faut comprendre les débats actuels. Aller vers ce genre de régulation signifie moins de liberté de choix, à un degré plus ou moins marqué, avec simplement en ligne de mire un nouvel arbitrage entre objectifs.

Dans cette opposition, dans laquelle je me garderai bien de prendre parti, les arguments se mélangent, entre vérités objectives, mensonges par omission et, parfois, une mauvaise foi remarquable. Les médecins généralistes sont assez mal payés en France par rapport à des pays comparables. Mais ils refusent le principe de la capitation partielle, qui fait que certains de leurs homologues européens sont mieux payés. Ils disent, à juste titre, vouloir une liberté d’exercice en face à face avec les patients. Mais s’agglutinent dans les zones urbaines, très concurrentielles de ce fait, face à une patientèle peu informée et qui juge encore souvent que la longueur de l’ordonnance ou de l’arrêt maladie fait le bon médecin. Dans ces conditions, avec une consultation à l’acte à 23€ pour la grande majorité de ces praticiens et la crainte de retrouver à consulter dans un dispensaire de je ne sais quel trou perdu, on comprend qu’il y a un serpent qui se mord la queue…

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3 Commentaires

  1. Ça serait aussi bien de regarder le système cubain. Assez réputé (la conf’ internationale sur ebola y a été organisée) et performant apparemment (en particulier pour l’aspect préventif). Ce pays a semble-t-il trouvé une niche économique là-dessus au sein de l’amérique latine. Bref, y a une spécificité qui peut-être intéressante, j’ai l’impression.
    (Note : je sais que Cuba est une dictature et un pays du tiers-monde).

  2. Pour ma part j’ai une hypothèse un peu différente par rapport à l’opposition des médecins au tiers-payant. Elle se résume en “Comment justifier auprès des patients qu’on leur demande de l’argent alors qu’on pratique le tiers-payant?”. En effet il y a une part que le tiers-payant ne couvre pas, et qui deviendra alors visible par tous: les dépassements d’honoraires.

  3. Je pense que beaucoup de médecins cesseraient de s’opposer au tiers payant généralisé si celui-ci était géré par la sécu. Il semble que ce qui gène le plus c’est le fait de devoir embaucher quelqu’un pour gérer le recouvrement à CA constant.

    La majorité des médecins est apathique devant la lente fonctionnarisation de la profession.

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