du foot! du foot! du foot! (1)

Allez, cette semaine, c’est spécial football et économie. Aujourd’hui : comment tirer un penalty à l’aide de la théorie des jeux?

Le tir d’un penalty (ou d’un tir au but lors d’une séance éponyme) est typiquement le genre de problème d’interaction stratégique qui intéresse la théorie des jeux. Le tireur a la possibilité de tirer dans diverses directions (gauche, droite, milieu, haut, bas…); un bon penalty étant tiré à une vitesse supérieure à 100 km/h (pour les aspects physiques et mécaniques du football, allez donc lire ce livre), le gardien ne peut espérer détecter la direction du ballon après le tir : il doit donc anticiper. Il doit donc se demander : où mon adversaire va-t-il tirer? mais le tireur, lui-même, doit se demander : sachant que le gardien va se demander ou je vais tirer, ou dois-je tirer pour le tromper? etc, etc.

Un tireur de penalty a en général un côté plus fort que l’autre. Un droitier tirera de meilleurs penaltys vers la gauche. On pourrait donc penser qu’il doit tirer souvent dans cette direction, pour améliorer ses chances; mais s’il tire trop souvent dans cette direction, les gardiens de but vont avoir tendance à anticiper cela, et plonger sur le côté fort du tireur : le tireur doit donc, de manière aléatoire et imprévisible, tirer de temps en temps de son mauvais côté.

Mais avec quelle fréquence? Tirer une fois sur deux en moyenne à gauche, et une fois sur deux à droite (en simplifiant et en considérant qu’il n’y a que deux directions possibles) n’est pas forcément optimal : le tireur perd l’avantage qu’il a sur un côté. Il se trouve que le théorème de Von Neumann et Morgenstern permet de calculer cette fréquence optimale. La fréquence optimale est définie par le fait que chaque choix de direction de tir doit avoir autant de chances de réussite qu’un autre. De même, il existe une fréquence optimale pour aller à gauche et à droite pour le gardien de but.

J’entends d’ici les ricanements : ha ha, vous supposez que les joueurs de football, qui en général arrêtent leurs études à l’orée du brevet des collèges, vont bien entendu calculer des fréquences d’équilibre en stratégie mixte à l’aide de mathématiques sophistiquées. Encore ces économistes qui font des modèles irréalistes et qui oublient de mettre l’homme au coeur de leurs modèles!

Eh bien, il se trouve que non contents d’avoir déterminé la stratégie optimale du tireur de penalty, les économistes se sont penchés sur la validation empirique. Les bons footballeurs suivent-ils, sans le savoir, l’axiomatique de Von Neumann et Morgenstern? Pour le tester, il suffit d’observer un échantillon conséquent de tirs de penaltys. Supposons que pour un joueur donné, la proportion optimale soit 2/3 à droite, 1/3 à gauche. Suit-il ces proportions? Ses tirs sont-ils vraiment aléatoires (ou au contraire, utilise-t-il une alternance aisément décelable)? Se sont collés à cette délicate mesure l’inévitable Steven Levitt (avec Chiappori et Groseclose), et, cité récemment par Tim Harford, Ignacio Palacios-Huerta.

Leur conclusion est sans équivoque : les grands joueurs sont aussi de magnifiques théoriciens des jeux, qui intuitivement, appliquent exactement les stratégies optimales. Un joueur comme Zidane, ou un gardien comme l’italien Buffon, sont exactement à l’équilibre que prédit la théorie. Il apparaît que les footballeurs professionnels sont en général très proches du modèle, à une exception près, signalée par Steven Levitt dans son blog : les tirs au milieu des cages. Les tireurs tirent bien moins souvent au milieu du but adverse qu’ils ne devraient le faire. Pour une raison simple apparemment : si le tireur tire d’un côté et que le gardien anticipe correctement, le joueur a une excuse. Mais tirer au milieu du but, et voir son penalty arrêté par le gardien, c’est passer pour un bleu, et subir une forte humiliation.

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Alexandre Delaigue

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6 Commentaires

  1. J’avais survolé le papier de Chiappori aussi, et hésité à en faire un commentaire, mais je me suis douté que ca n’échapperait pas à l’un de nos écono-blogueurs préférés 🙂

    "It is generally believed that the kicker must also decide on the side of his kick before he can see the keeper move" (p.3 du papier de Chiappori) : il y a pourtant quantité de tireurs de penalties qui jouent le contre-pied (j’avoue ne pas avoir bien compris le test effectué p.8 pour valider leur hypothèse). Un test qui me semblerait plus concluant consisterait à discriminer selon la vitesse du ballon lors de la frappe …

    Les limitations formulées p.9 me semblent importantes, concernant la robustesse à l’"agrégation" (il y a un terme francais équivalent ?).
    Les tirs sont tellement étalés dans le temps (a fortiori puisqu’il s’agit de matchs de championnat, donc non terminés par des tirs au but – dommage qu’on n’ait pas de stats sur les matchs à élimination directe des Cd et ch. d’Europe …) qu’il me semble peu probable, "psychologiquement" parlant, qu’un joueur soit influencé par le résultat de sa dernière tentative (cf note 20 pied de p.10, lue plus tard)

    Enfin bon, j’ai du mal à ne pas sourire quand je lis la conclusion de l’article : je suis persuadé qu’un test effectué avec des gamins de 10 ans donnerait des résultats comparables (modulo leur capacité à tirer le penalty là ou ils le souhaitent réellement). Nul besoin, amha, de s’appeler Zidane ou Buffon pour choisir une stratégie qui puisse passer pour optimale dans ce contexte.

  2. jouer le contrepied n’est possible que si le gardien bouge avant le tir, ce qui serait un mouvement particulièrement stupide de sa part; le test page 8 sert à montrer qu’effectivement, tireur et gardien décident en même temps, qu’il n’est pas possible pour l’un des deux, le plus souvent (car des erreurs arrivent bien entendu…) de connaître au moment de sa décision la décision de l’adversaire.
    Pour le reste, il n’est pas rare de voir les journalistes se souvenir des penaltys ratés des joueurs, même après de longues périodes (voir par exemple le match argentine-allemagne, et le souvenir du duel précédent Lehmann-Riquelme). Les joueurs s’en souviennent, soyez-en sûr.
    Quant au reste, vous avez tort de rire, parce que la stratégie mixte optimale n’a rien d’instinctif. A la limite, on peut comprendre qu’il faut lisser ses avantages, mais le simple fait qu’il faut tirer moins souvent de son bon côté que de son mauvais côté n’a rien d’intuitif; la détermination de la fréquence optimale précise non plus. Le fait qu’elle soient appliquées sans calcul est donc en soi une performance.

  3. Bonjour, après avoir lu tout ceci qui est fort intéréssant, pensez vous pas que certaines techniques existent et permettent aux gardiens de pouvoir anticiper un côté?

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