Deux remarques sur la conclusion du procès "Da Vinci Code"

Les auteurs qui accusaient Dan Brown de plagiat ont été aujourd’hui déboutés par le tribunal britannique devant lequel ils avaient porté l’affaire. Etrangement, cette affaire n’aura suscité que peu de réactions touchant au coeur du problème. On a vu une bonne dose de shadenfreude face au spectacle de cet auteur à succès obligé de décrire les ficelles de son écriture : le succès commercial tend à provoquer ce genre de réactions. Les commentateurs évoquent maintenant le fait que le film sortira à temps (entre nous soit dit, quelle importance?) et que ce verdict protège le secteur de l’édition de procès en chaîne. Néanmoins, deux aspects importants de l’affaire sont négligés : le développement de la concurrence en matière de systèmes juridiques; et le fait que la protection de la propriété intellectuelle en matière de plagiat n’est pas pas passé loin de devenir complètement folle.

John Kay avait récemment abordé la question de la concurrence en matière de système légal. Il y montrait que si la concurrence entre systèmes juridiques est une bonne chose a priori, en permettant aux gens de choisir a priori le système leur permettant de contracter de la façon qui correspond le mieux à leur besoin, le “shopping juridique”, consistant à choisir a posteriori un tribunal spécifique parce que sa façon de juger est différente d’ailleurs (et qu’on espère bénéficier de cette différence) est pratiquement toujours une mauvaise chose. Si les affaires d’amiante sont jugées au tribunal de Jefferson County dans le Mississippi, c’estuniquement parce que ce tribunal a eu tendance à être très favorables aux plaignants. Et ce tribunal continue d’être favorable aux plaignants, car cette “spécialisation” favorise le développement local, en soutenant hôtellerie et restauration (pour les avocats) dans une région économiquement sinistrée.

De même, si l’Angleterre a été choisie par les plaignants dans le procès Dan Brown, alors que plaignants et auteur sont américains, c’est qu’un tribunal américain n’aurait pas donné raison aux plaignants, qui ne reprochent pas à l’auteur une copie au sens strict, mais simplement d’avoir pris certaines de leurs idées (notamment celle d’une descendance de Jesus Christ et Marie-Madeleine). Ce procès est d’autant plus ridicule que le succès du livre de Dan Brown a rapporté aux auteurs une fortune, puisque leur livre paru en 1983 serait resté confidentiel sans la publicité que “Da Vinci Code” leur a fait. Elle était l’occasion de rappeler en tout cas que si la concurrence juridique est une bonne chose, faire en sorte qu’elle soit cantonnée à la concurrence a priori, décourageant le shopping juridique a priori, est à recommander.

L’autre aspect, c’est le constat de ce que la défense de la propriété intellectuelle finit par prendre des proportions nuisibles à la créativité artistique. Dans une France ou il est un peu trop souvent nécessaire d’être rébarbatif, ignoré du grand public et subventionné pour être labellisé artiste, défendre la créativité artistique à partir d’un Dan Brown peut paraître incongru. Néanmoins, dans cette affaire, c’est toute forme de création qui est en jeu. Car sans inspiration à partir des concepts et des idées des autres, il n’y a tout simplement aucune création possible. A titre d’exemple, comparons “le loup et l’agneau” écrit par Esope et la beaucoup plus célèbre fable de la Fontaine éponyme. La copie intégrale du concept, le plagiat de toutes les idées, sont flagrants. On dira que le temps existant entre les deux auteurs aurait empêché Esope d’attaquer La Fontaine pour plagiat; mais le problème aurait-il été si différent si les deux oeuvres n’avaient été séparées que de quelques années? Protéger les “concepts et idées” d’Esope aurait alors privé la littérature française de l’une de ses plus belles oeuvres.

Il y a deux ans, Malcolm Gladwell avait consacré un intéressant article à cette question du plagiat, montrant à quel point les oeuvres passent d’un auteur à l’autre, sont modifiées et améliorées au passage, et qu’un excès de loi contre le plagiat peut, en imaginant que toute création sort ex nihilo du cerveau d’un auteur, nuire à la création; et que beaucoup d’oeuvres ne sont que la modification marginale de quelque chose d’existant. Dans ce sens, il y a de très bonnes raisons de se réjouir de l’issue du procès Dan Brown. Ce n’était pas “le secteur de l’édition” qui y était menacé, mais toute forme de création artistique.

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Alexandre Delaigue

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