Dépression hivernale

La médecine est formelle : pendant l’hiver, on manque de lumière et ça tape clairement sur le système. Et voilà, je crois que je souffre d’une forme atypique de dépression hivernale. Oui, oui, j’ai tous les signes… J’ai trop méchamment envie de dormir 15 heures par jour, je bouffe comme quatre et, surtout, surtout, je partirais volontiers vivre au Canada ou en Suède s’il n’y faisait pas si froid. C’est peut-être sur ce dernier point que je ne présente pas les symptomes communs du syndrome en question.
Oui, parce que, au fond, mon souci, c’est bien cette anxiété quand je regarde le pays qui m’entoure. C’est bien simple, l’analyse économique me laisse froid en ce moment.

Comment ? Comment ?! Si, si. Enfin, pas vraiment. Mais bon, un peu aussi. Je m’explique. Je vais faire un détour par un épisode auto-biographique pour vous exposer en deux mots le principe. Quand j’ai passé l’entretien d’embauche du concours d’entrée de l’ENS Cachan, il y a de cela un certain temps déjà, j’ai été interrogé sur un texte d’un “certain” Stefan Zweig (oui, désolé, ma culture étant ce qu’elle était à l’époque, c’est-à-dire latinement biaisée, ce monsieur m’avait échappé). Il y évoquait l’hyperinflation de l’entre-deux guerres et la joie de vivre qui néanmoins continuait, malgré tout, d’habiter les autrichiens de l’époque, évoquant leur soif de profiter de ce qu’ils pouvaient encore obtenir comme réjouissance, intellectuelles par exemple. J’en avais déduit que le thème in-con-tournable du texte était la complémentarité des institutions dans une société humaine. J’ignore si c’est ce qu’il fallait y voir, mais j’avais largement axé mon interprétation sur l’idée que quand une institution allait mal (la monnaie en l’occurrence), il existait une tendance naturelle des sociétés à s’appuyer sur les autres pour perdurer (ici, si je me rappelle bien, la culture, la convivialité et d’autres institutions non matérielles jouaient un rôle remarquable dans cette persistance d’un certain “vouloir vivre ensemble”). Ouai, rien d’extraordinaire, mais cette dialectique institutionnelle me semble critique ces derniers temps.
AUjourd’hui, dans le climat social et politique détestable qui règne en France, j’en viens à me dire que les mécanismes économiques sont certes pris dans des institutions qu’on pourrait qualifier d’économiques qui ne sont pas les plus optimales (pensons à la structure des marchés, au système fiscal etc.), mais qu’il y a probablement bien pire, même quand on garde un point de vue économiciste…
Comment décrire ce gros problème ? En fait, pour résumer, j’ai le sentiment qu’un certain nombre de forces sont en train de travailler pour radicalement durcir notre démocratie, la rendre plus intolérante quand elle aurait besoin d’ouverture, plus hostile quand elle aurait besoin de gérer des conflits. Et, in fine, la boucle se boucle sur le caractère tout simplement très douteux du bienfait d’une telle évolution pour l’économie dans son ensemble, même en adoptant une perspective purement utilitariste (le plus grand bonheur, pour le plus grand nombre). Bref, l’urgence n’est peut-être pas dans les pitreries de Breton, même si à y regarder de plus près, plusieurs comités d’urgence travaillant en osomose sont peut-être nécessaires…
J’ai bien conscience que tout ceci est vague. Mais mon trouble d’économiste de formation provient d’une question simple : peut-on encore analyser la France comme une économie de marché développée de la même façon quand arrive tout ce qui arrive ces derniers temps ?

C’est quoi “tout ce qui arrive” ? Ce qui suit…
– Un ministre de l’intérieur qui signe des similitudes incontournables et profondes avec les thèses antidémocratiques de l’extrême droite (racisme ; thèse du complot, même quand les RG démentent ; langage populiste ; tout est en train d’y passer point par point) ;
– Le même ministre de l’intérieur qui veut “déposer le bilan des ZEP”
– Un député lui aussi “décomplexé” qui évoque en pleine Assemblée Nationale, après avoir parlé laconiquement de “racisme antiblanc”, les “youyous” envahissant sa mairie ;
– La reconnaissance des bienfaits de la colonisation par un texte de loi et le développement concommitent de l’affirmation communautariste d’une certaine forme de négritude (une forme inquiétante de revendication, car des Dieudonné ne peuvent pas être les acteurs d’un débat historique riche et salutaire). Et comme Sarkozy est dans tous les coups foireux, il confond droite “décomplexée” et droite totalitaire. Car, c’est une chose de défendre le point de vue d’un rôle positif de la colonisation, c’en est une autre de l’imposer dans une loi et dans des manuels, à la nord-coréenne. La “repentence permanente”, évoquée à contre-sens par Sarko, façon sanglot de l’homme blanc n’est pas ma tasse de thé. Lire un Bairoch vous vaccine définitivement contre le simplisme en la matière. Mais quand la combattre va jusqu’à dire légalement ce que doit être l’histoire, on marche sur la tronche. Ah… elle est belle la droite “libérale” française. Au passage, magnifique stupidité de Villiers, entendue ce jour sur France Info : “vous voyez bien que la colonisation a eu du bon, puisque quand Bouteflika est malade, il vient se faire soigner en France”. Oui, stupidité car je ne sais pas si l’absence en Algérie d’hôpitaux considérés comme dignes de confiance par le président est une marque de bienfait de la colonisation. Mais bon… C’est probablement que les bons mots de Villiers ont du mal à me toucher, pas vrai ?
– Une gauche incapable de donner autre chose en écho que la lutte contre le “plombier polonais”
Et rendons à l’économie ce qui lui appartient plus directement :
– Des salariés SDF qui gagnent presque une fois et demi le SMIC. Y compris des fonctionnaires (bonne nouvelle dans la voie vers plus d’équité en France et la fin des privilèges, n’est-ce pas ?). Un beau marché que celui du logement.
“Une factrice, titularisée après 229 CDD, récupère 15 ans d’ancienneté”. Ca me laisse rêveur, un brin poête. Notez au passage le crétinisme de la remarque du lecteur du Monde (à droite). C’est marrant, mais cette assez récente possibilité de réagir aux articles du journal attire une majorité de gueulards contents d’eux-mêmes qui devrait inspirer une décision aux responsables de l’édition en ligne : rendre possible de couper les commentaires pour ceux qui, comme moi, ne souhaitent pas voir leur écran envahi par ce parasitage des articles. En plus, c’est franchement mauvais pour la notoriété du journal, qui n’a pas besoin de cela.
– Les assurances refusent de payer pour les émeutes en banlieue. C’est à l’Etat de le faire. A la lecture de ceci, il convient de reconnaître que la question se pose. L’autre question qu’on peut se poser est de savoir s’il existe des situations où les assureurs jouent effectivement le rôle qui leur est dévolu. Entre les émeutes, les catastrophes naturelles et les autres situations que j’ignore (ah, si, celle où il n’y a pas eu effraction…), j’ai bien envie de faire mon Michael Moore et demander à Bébéar : “excusez moi Monsieur Bébéar, mais, un assureur, c’est quoi son métier au juste ?”.

Maintenant, rerentrons pleinement dans l’économie sur un point, celui des ZEP. “Selon M. Sarkozy, “l’effort spécifique en faveur des ZEP représente 1,2% du budget de l’Education nationale. Il se résume à deux élèves de moins par classe et à une prime dérisoire, qui est largement compensée, sur le plan budgétaire, par le fait que les enseignants sont en début de carrière et ne coûtent pas grand chose” “.
Ceux qui ont un oeil un tant soi peu averti sur la question savent que ces propos sont ridicules. J’ai, il y a quelques temps, évoqué un article récent d’Economie et statistiques sur le sujet. Répétons le encore une fois, c’est un thème sur lequel les économistes sont globalement d’accord : une politique d’éducation ciblée (éventuellement sous la forme du dispositif ZEP) peut réussir. Elle le fera d’autant plus que les moyens sont concentrés sur les populations les plus en difficulté et qu’elle s’adresse à un public le plus en bas âge possible. C’est ce que les études montrent (voir les bouquins de Cahuc et Zylberberg, celui-ci ou celui-là pour un résumé). Ce que propose Sarkozy, c’est donc tout simplement de déposer le bilan d’une boîte qui a juste besoin de redéfinir son coeur de métier. A moins qu’il n’y ait là qu’une nième façon de faire du pied à la frange de la population qui voudrait bien se débarasser de ces pauvres non méritants, souvent noirs, bruyants et odorants (au stade où on en est, excusez moi, mais on n’en est même plus à parler de faire du pied ; mais mettre des mots sur l’attitude du ministre serait inconvenant…). Je dois le reconnaître, si bien souvent les débats politiques et sociaux ramènent à l’économie, ces derniers temps, c’est souvent l’inverse. Notez au passage un petit détail : sauf erreur de ma part, Monsieur Sarkozy n’a absolument aucune référence notable en matière de théorie économique. Ses seules incantations sont une espèce de branlette inconsistante sur le thème de “récompenser le travail”, ce qui nous ramène tout au plus, en version grossière, aux économistes classiques, qui eux ne portaient pas de chemise Vichy (ce qui est tout à leur honneur, surtout quand on voit comment la tenue vestimentaire déteint parfois sur les références historico-géographiques implicites ; comprenne qui voudra). Pendant ce temps là, peuple de France, tu aimes Nicolas. Et les économistes classiques sont morts et enterrés depuis longtemps. Ce qui nous conduit à penser une fois de plus que Keynes avait raison, même si avant de passer l’arme à gauche, la plupart avait bien compris que la vérité était ailleurs (à part peut-être Marx, ce qui a de quoi faire rire dans le contexte)…
Mais, je m’égare quelque peu, en double file qui plus est. Concernant les ZEP, non seulement l’aspect scientifique ne va pas dans le sens des propos du ministre de l’ordre et de la répression sociale et raciale de l’intérieur, mais il existe un enjeu important en termes d’idée qu’on peut se faire de ce que doit être une politique d’aide aux quartiers. Rappelons que Sarkozy se présente comme le chantre de la discrimination positive. Et pourtant, il ne souhaite pas prolonger l’expérience des ZEP. Est-ce que sa conception “libérale” des choses le condamne à se concentrer sur tel ou tel individu, plutôt que sur un groupe ? Qu’est-ce qui peut bien lui poser problème ? Le fait que cela ne correspondrait pas à une ethnicisation du ciblage, par exemple ?
Bref, pour en finir sur ce point, je me range à la position de Ken premier ministre (ou est-ce lui qui se range à la mienne parce qu’elle n’est pas celle de Sarkozy ?) qui a chargé le ministre des autoroutes de l’éducation nationale de “Concentrer les moyens sur les établissements où les difficultés sont les plus lourdes.”. Bonne idée. Il faut juste le faire effectivement. Au passage, deux sites à visiter : l’Observatoire des zones prioritares et, sur Melchior, cette présentation de la discrimination positive.

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