D’où sort-il ça?

Dans le Monde d’aujourd’hui, une opinion de N. Sarkozy sur la carte scolaire. Sans revenir sur le fond (ceux qui veulent en débattre peuvent toujours le faire chez Optimum) ce passage m’a fait lever un sourcil incrédule :

Toutes les études sérieuses le démontrent : les principaux facteurs de réussite des élèves sont, dans l’ordre, la qualité pédagogique des enseignants et la mixité sociale, loin devant le nombre d’élèves par classe.

Et là, franchement, j’ai des doutes.

D’abord je ne connais pas d’étude “sérieuse” liant qualité pédagogique des enseignants et réussite des élèves. Dans la mesure ou la “qualité pédagogique” me paraît une variable très difficile à mesurer, qui dépend du contexte (on ne fait pas le même type de cours à différents types d’élèves, et un même prof n’est pas forcément bon pour tous les types d’élèves), ce genre d’étude me semble même en pratique impossible à réaliser. Il est certain que les caractéristiques et les efforts des enseignants comptent pour la réussite de leurs élèves; mais comment et dans quelle mesure, je doute qu’on puisse l’évaluer de façon claire.

Ensuite, la mixité sociale : a priori, ce qu’il suggère sur le sujet me semble faux. Après tout, pour un élève d’une catégorie favorisée, mieux vaut pour sa réussite personnelle être à Henri 4 avec ses pairs plutôt qu’au CES Maurice Thorez de Loos-les-Lille… Dans sun tel cas, la mixité ne serait pas franchement un facteur de réussite. En matières de travaux académiques, il y a Eric Maurin sur ce sujet; mais s’il montre que les élèves défavorisés bénéficient de se trouver au milieu de pairs favorisés, et que la présence d’une faible proportion de défavorisés dans une classe d’élèves favorisés ne pénalise pas énormément ces derniers, il n’en conclut pas que ce genre de mixité sociale soit un facteur primordial de réussite des élèves.

Reste la taille des classes : et sur le sujet, il existe une étude, effectuée par Piketty; celle-ci démontre justement que la taille des classes, pour les élèves de ZEP, a un effet considérable sur les performances scolaires des élèves. Mieux, même : son étude montre que l’effet de la taille des classes est supérieur à celui de la mixité sociale. D’après ses mesures, réduire de deux élèves la taille de la classe d’un élève défavorisé a plus d’impact sur sa réussite que de le placer dans une classe composée à 100% de camarades favorisés.

Il y a donc deux possibilités :
– soit Sarkozy, ou le conseiller qui a rédigé pour lui cet article, a tout inventé, et “toutes les études sérieuses le démontrent” est un argument d’autorité destiné à dissuader le lecteur de se poser des questions.
– Soit effectivement de telles études hiérarchisant les facteurs de réussite des élèves existent et parviennent à cette conclusion; dans ce cas, si quelqu’un pouvait m’indiquer ou les trouver, je lui serai très reconnaissant.

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Alexandre Delaigue

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13 Commentaires

  1. Même si ça risque de faire rire les lecteurs, je suis totalement d’accord avec ton analyse sceptique. Ce que dit Sarkozy mériterait d’être étayé, car l’état des savoirs donne des résultats diférents. "Différents", non seulement parce que les variables pointées par Nicolas Sarkozy ne sont pas, dans l’ordre, celles qui sont retenues. Mais "différents" surtout, parce que, comme tu le suggères en conclusion, où sont les études en question ?
    Le point le plus marquant à mon sens ici, est cet amlagame généraliste sur les facteurs de succès. Parle-t-on d’enfants de CSP+, de gamins issus de milieux modestes, ou des jeunes scolarisés en général ?
    or, en différenciant, les études existent à l’étranger et si elles montrent des choses, ce n’est pas sur le système d’enseignement en général.
    Finalement, si Bayrou avait dit cela, je n’aurais pas été surpris. C’est un "catch all" qu’on envisage bien de la part d’un centriste. En admettant que l’on ne taxe pas le centrisme de mollesse, mais de synthèse, c’est audible. Mais quand c’est l’homme de la "rupture" qui tient de tels propos, on a de quoi s’interroger.

  2. en fait, de telles études existent bien en sociologie: on parle maintenant de plus en plus "d’effet établissement" voir "d’effet classe" (et d’effet maître, mais c’est un peu différent) pour expliquer la réussite scolaire. Je ne suis pas (du tout) spécialiste du domaine, mais je crois que ces concepts sont avancés par Duru Bellat et Felouzis, entre autre. Je ne suis pas sûr ceci dit, car c’est pas mon domaine (mais les gens qui travaillent ces questions autour de moi emploient souvent ce genre de termes.) Au fond, je crois que c’est assez logique: une équipe impliquée et des enseignants qui se concertent les uns les autres sont plus efficaces que des enseignants qui sont pas contents d’être là voir rêvent de partir. Pour des raisons pas très difficiles à comprendre, ces effets sont plus fréquents dans les établissements où les élèves sont déjà bons. Mais il n’empêche qu’en neutralisant l’origine sociale ou le niveau des élèves à l’entrée dans un lycée, on peut calculer un indicateur de la "valeur ajoutée" que le lycée apporte, voir: ça je suis presque sûr que c’est un travail de Felouzis qui montrait que certains lycée très côtés obtenaient des résultats entièrement dus aux effets de sélection, tandis que des lycées qui recevaient des élèves très médiocres arrivaient à leur faire obtenir de moins mauvais résultats que ce qu’on pouvait attendre. Bon courage pour la recherche bibliographique, vu le flou de mes indications.

  3. L’étude de Picketty est intéressante. A mon avis, elle conforte (ou a servi à?) ce que dit le rapport Pébereau à ce sujet: plutôt que baisser le nombre d’élèves par classe partout comme cela a été fait entre 1990 et 2004, il aurait mieux valu diminuer fortement l’effectif par classe dans les ZEP et le laisser constant ailleurs.
    A noter que les orphelins d’Auteuil avec des jeunes en moyenne plus difficiles que dans les ZEP ont des classes de 10 élèves
    Par ailleurs, un cadre de l’Education Nationale (dont je garantis le sérieux) m’a dit que les études faites sur le CP montrait que les résultats obtenus dépendaient de l’enseignant et non de la méthode utilisée. Mais que ce genre d’études étaient trop explosif pour être publié. Maintenant, une fois qu’on a dit cela, que fait on?
    A mon sens 2 choses:
    1)sortir ceux dont on constate qu’ils ne font pas l’affaire dans les 2 ans de leurs débuts d’enseignements et les aider à trouver un autre job (cela parait possible à 25 ans et un bac +5, et je ne vois pas l’intérêt que quelqu’un non seulement fasse des dégâts mais en plus soit malheureux dans son travail pendant 40 ans ). On commence d’ailleurs à le faire et à recaler des profs en fin de stage CAPES ce qu’on ne faisait pas avant
    2) rapprocher l’animation pédagogique du prof , en clair, donner la responsabilité managériale au chef d’établissement

  4. J’ai lu pas mal de choses sur le sujet et, sans avoir en tête les références, certaines études parlent quand même de l’effet "professeur", tout particulièrement dans le primaire, comme une variable non négligeable.
    L’étude n’est pas si compliquée que cela à faire : il suffit de regarder sur plusieurs années les résultats (objectivés par des tests externes) des élèves d’un professeur et de comparer à ceux des autres.

    Les effets de la mixité ont été testés à de nombreuses reprises dans des collèges (toujours avec des test externes), même si la mixité n’était mise en avant. En fait ce sont des tests sur l’hétérogénéité et l’homogénéité (classes de niveau qui en fait recoupent presque systématiquement les catégories sociales).
    Les classes hétérogènes donnent des résultats moyens meilleurs que les classes homogènes (toutes choses égales par ailleurs). Il y a pas mal de littérature là-dessus en sociologie ou en sciences de l’éducation.

    Quand au nombre d’élèves par classe, le test de Piketty, ce n’est pas tout à fait comme ça qu’il faut le lire. Ce n’est pas 2 élèves par classe qui change la donne, c’est le fait qu’à deux élèves près il y a une classe de plus, donc beaucoup moins d’élèves par classe. En effet, il y a des seuils dans l’éducation nationale. Je n’ai pas en tête les nombres exacts, mais c’est en gros de la manière suivante que cela fonctionne : si l’école a 90 élèves ou moins, 3 classes (donc jusqu’à 30 par classe), s’il y en a 91 ou plus, 4 classes (donc cela peut faire d’un coup passer les classes à 22/23 élèves quand on est juste au-dessus du seuil).

    Mais il me semble que c’est la première étude qui témoigne d’un effet positif sur la baisse du nombre d’élèves par classe. J’avais eu vent d’autres études qui indiquaient que des classes à faible effectif favorisait d’avantage les meilleurs (classes sup) mais que les enfants des classes populaires s’en sortaient mieux dans les classes plus nombreuses.

    Maintenant faire une hiérarchie…

  5. Je n’ai pas connaissance d’études sur la mixité sociale, mais les expériences ont été peu concluantes (busing aux US). Quant aux qualités pédagogiques des enseignants, elle ont évidemment un impact positif sur les résultats des élèves : "un bon pédagogue, c’est un prof dont les élèves apprennent bien", c’est une tautologie!

    Le dossier de T.Piketty sur la taille des classe comprend peut-être une faille. Les progrès sont observés juste après une année en classe de CE1 à faible effectif. Je crains que cet effet positif soit de très faible durée (Piketty p.15, études sur Head Start, etc.). Mais est-ce que les petites classes ont un effet positif et durable sur le comportement des élèves?

    D’après E.Maurin, les résultats scolaires ne s’améliorent pas beaucoup quand un enfant défavorisé est placé dans une classe favorisée. Mais qu’en est-il de son comportement social? Le "peer effect" fait l’objet de recherches intéressantes. C’est un candidat possible pour combler une partie de la "variance inconnue" de différents comportements (non-shared environmental effects).

    Dans leurs considérations sur la carte scolaire, les candidats se focalisent sur les résultats scolaires, mais ils négligent l’apprentissage des comportements sociaux. Quid des études sérieuses dans ce domaine?

  6. >> "je ne connais pas d’étude "sérieuse" liant qualité pédagogique des enseignants et réussite des élèves." Il est vrai que si vous attendez de tomber sur des études en Français, effectués par des Français, pour évaluer le travail des enseignants Français et leur lien avec la résussite des éléves, vous risquez d’attendre encore longtemps. Par contre, si vous pointez votre nez hors des frontières françaises, il y a une multitude d’études – et de pratiques – effectuées et mises en place.

    Vous pouvez par exemple jeter un oeil ici :
    http://www.educationnext.org/200...

  7. Etudes sérieuses, je dirais qu’il faut regarder du côté de l’OCDE. Par exemple celle-ci:
    http://www.oecd.org/document/52/...

    En gros, ce que disent les études c’est que le facteur numéro un dans la réussite des élèves c’est le bagage à l’entrée de l’école (la capacité des élèves mais aussi le milieu social, les parents). Ensuite le rapport dit que si on regarde les variables sur lesquelles les décideurs publics peuvent agir, la qualité des enseignants est la variable principale qui influe sur les résultats des élèves.

  8. Tous : Merci pour des commentaires très pertinents. Pour la question de la qualité pédagogique des enseignants, je n’ai pas été assez précis. Oui, celle-ci compte; mais mon problème vient précisément de ce que la qualité pédagogique des enseignants est mesurée PAR les performances spécifiques de ses classes. En d’autres termes on montre que untel est un bon enseignant par le fait que ses classes réussissent mieux que d’autres toutes choses plus ou moins égales par ailleurs. Or ici la causalité est inversée, puisqu’on parle d’études démontrant que la qualité pédagogique des enseignants est l’un des facteurs principaux de réussite des élèves, et même le premier. C’est là que j’ai un doute.

    De façon générale, c’est sur cette hiérarchisation des facteurs que j’ai un doute : Que la qualité des profs et la mixité aient un effet, OK; mais de là à dire que ce sont les premiers facteurs, devant la taille des classes, je n’y crois pas.

    Sinon :

    Clic : merci, effectivement en cherchant du côté de Duru-Bellat, on doit pouvoir trouver des choses.

    Verel : Oui, Piketty a servi pour le rapport Pébereau, qui a en fait cumulé les résultats de toute une série d’autres travaux qui tournent depuis longtemps (Cahuc, Piketty, notamment). Sinon, pour le 1, mes connaissances d’exemples de gens recalés au stage du Capes ne m’incitent pas à penser que cette technique serait très efficace. Je suis frappé par contre du fait que les profs fassent partie de ces professions dans lesquelles on est sensé tout savoir de son métier en début de carrière, sans remise en question sérieuse ensuite. D’autre part, comme je le disais, il est parfois possible qu’un prof mauvais dans un contexte soit bon dans un autre (exemple : un prof de maths très "technique" mais peu pédagogue pourra faire merveille dans une classe camif en terminale scientifique, mais sera très mauvais dans un collège zep). Sur le point 2, je suis d’accord : j’ajouterai que sur le principe, les propositions sarkozyennes (autonomie, évaluation, aides spécifiques) ne sont pas déplaisantes. C’est la référence scientifique pour les justifier qui me paraît douteuse.

    Nathanael : merci de la précision sur Piketty, effectivement j’avais mal présenté la chose.

    Gu si fang : effectivement, l’étude de Piketty est parcellaire, néanmoins c’est l’une des rares sur le sujet qui soit fondée sur cette technique expérimentale, d’où son intérêt; sa pertinence est accrue aussi du fait qu’elle compare l’effet de la mixité et celui de la taille des classes. Sinon, sur le peer effect, ne manquez pas de lire le second livre de J.Rich Harris (no two alike) qui est pile dans vos préoccupations :-).

    Nico : merci pour le lien. Néanmoins vous êtes sévère envers les scientifiques français, qui ne sont pas tous inféodés à la bureaucratie de l’éducation nationale ;-). Mais il est vrai qu’il est bien difficile, en France, d’étudier la question de l’éducation de façon dépassionnée.

    Jean Dubois : Merci! c’est en effet peut-être là qu’il faut aller chercher les études évoquées dans l’article.

  9. "Après tout, pour un élève d’une catégorie favorisée, mieux vaut pour sa réussite personnelle être à Henri 4 avec ses pairs plutôt qu’au CES Maurice Thorez de Loos-les-Lille… Dans sun tel cas, la mixité ne serait pas franchement un facteur de réussite."

    Il me semble logique de ne considérer l’intéret de la mixité qu’en _moyenne_. Il est évident qu’un éleve originellement "favorisé" en souffrira, mais il n’est pas absurde de penser qu’un élève initialement défavorisé en profitera plus que le premier n’en souffrira. Le bilan pourrait donc tout à fait etre finalement positif … (et intuitivement j’ai tendance à le croire, mais je sais ce que vaut mon intuition)

    Quant à l’effet relevé par Piketty, heureusement que Nathanael m’a évité la lecture du papier, les résultats annoncés m’ayant fait bondir. Dire, tout simplement, qu’une diminution de l’effectif moyen de 2 eleves est plus efficace qu’une immersion complète dans une école top niveau me paraissait non seulement absurde, mais revenait surtout à nier complètement l’influence de la mixité.

  10. Les chiffres disponibles sur les résultats ne permettent que des croisements avec la taille des classes, donc on mesure l’influence de la taille des classes.

    Il serait sans doute possible de mesurer la qualité des enseignants, par exemple en fonction des notes. Et votre argument de l’inadaptation ne tient pas : quand on est inadapté à son public, on n’est pas un ‘bon’ enseignant. Bien sur, on pourrait l’être en changeant de contexte, mais du point de vue opérationnel ça revient au même que de faire faire la classe par un chimpanzé. Le seul vrai problème est que ces données ne sont pas accessibles.

    On ne peut pas mesurer non plus l’influence de l’age des enseignants (données non disponibles), à ma connaissance on n’a même pas de données sur la taille des établissements. Pourtant l’age des enseignants a son importance, spécialement dans le secondaire où les profs s’usent à se mesurer à des classes de jeunes en pleine crise d’ado; et la taille des établissements est souvent citée comme un problème pour la discipline (qui a aussi une grosse importance pour le secondaire). J’aurai tendance à penser que la taille des établissements pourrait être plus grande dans les zones pauvres, pour mon petit échantillonage personnel d’abord (non significatif), mais aussi pour des raisons sociologiques : les parents des zones ‘riches’ ont plus de moyens de se faire entendre de collectivités locales elles-meme plus riches, et les parents savent bien que les petits établissements ‘marchent’ mieux (à preuve le fait que les établissements sont beaucoup plus petits dans le secondaire privé que dans le public). En plus les établissements publics réputés sont souvent dans des bâtiments historiques classés dans lesquels aucune possibilité d’extension n’existe.

  11. Je tombe seulement maintenant sur cette discussion qui m’intéresse au plus haut point.

    Déjà un grand merci pour les liens que j’ai trouvé.

    J’ai eu connaissance d’une expérience aux Etats Unis, où l’on testait des Noirs et des Blancs et la conclusion était que les facteurs qui influençaient les résultats scolaires étaient autres, par exemple le degré l’implication des parents.

    Mon expérience me montre que, s’il est vrai qu’en moyenne, les élèves de milieu défavorisé réussissent moins bien il y une disparité importante et que certains réussissent beaucoup mieux que d’autres de milieu dits favorisés.

    Identifier les facteurs réellement explicatifs, permettrait d’améliorer les résultats de tous, enfants "favorisés" ou non

    Xavier

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