Contreparties?

Ainsi donc, le président souhaite “une nouvelle intervention” assortie de “contreparties” pour les banques françaises. Les contreparties sont les suivantes : financer certains projets, réduire voire supprimer les dividendes, et de renoncer à verser des bonus aux cadres dirigeants. On peut comprendre ce genre de contreparties; si l’objectif est de limiter le credit crunch, assortir les aides d’obligations d’octroi de crédits supplémentaires est assez logique (même si “financer des projets précis” fleure bon le gosplan à la française). Et sur le plan moral, il semblerait aberrant que les dirigeants des banques s’octroient des bonus après avoir bénéficié d’aides publiques, pour prix de leur incompétence; et que les actionnaires qui les ont désignés reçoivent des dividendes élevés.

Donc l’idée est cohérente, mais risque d’installer dans les plans d’aides aux banques françaises le même genre de défauts majeurs que les plans allemands, dénoncés récemment par Hans-Werner Sinn. Les difficultés des banques viennent de ce qu’elles ont accordé des prêts, sous forme d’achats de produits titrisés, et qu’une fraction significative de ceux-ci ne seront pas remboursés. Elles vont donc devoir absorber ces pertes avec leurs capitaux propres, ce qui réduira ceux-ci; du coup, elles ont un encours de crédit trop important par rapport à leurs capitaux.

Il y a deux façons de résoudre ce problème : soit augmenter son capital pour pouvoir maintenir son encours de crédits; soit absorber les pertes, et réduire l’encours de crédit en proportion des pertes subies. L’argent public vise à les inciter à choisir la première solution, plutôt que la seconde qui a pour inconvénient d’aggraver le credit crunch. Mais avec ce genre de contraintes, le choix de la première solution revient à demander aux dirigeants des banques de réduire volontairement leur rémunération, de réduire celle des actionnaires qui les ont nommés; et d’accorder des prêts à des secteurs qu’ils n’auraient pas forcément choisi. C’est imaginer que les dirigeants des banques vont accepter volontairement de se punir eux-mêmes. Et puisque comme tout le monde, ils réagissent aux incitations, c’est une façon de les pousser à refuser l’argent public, et à choisir d’absorber leurs pertes en réduisant l’octroi de crédits; très exactement ce que l’on cherche à éviter.

Ceci n’est pas certain : tout cela va faire l’objet d’une négociation entre l’Etat et les banques (ou, dans la tradition nationale, entre anciens de l’inspection des finances). Et on peut imaginer que l’Etat finisse par obliger les banques à accepter les interventions et les contreparties. Mais à force de vouloir ménager la chèvre libérale et le chou interventionniste, de vouloir satisfaire la morale, les appétits interventionnistes, et les problèmes économiques, on finit par n’avoir que les inconvénients.

EDIT : voir aussi Willem Buiter, pour lequel il faut nationaliser les banques.

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Alexandre Delaigue

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4 Commentaires

  1. Il me semble que le problème vient tout simplement de ce que la recapitalisation est optionnelle. Cela ne me semble pas avoir été le cas en UK.

  2. Pas sûr que les banques aient vraiment le choix de se passer du soutien de l’Etat. En l’absence de soutien, le risque de faillite est fort et dans ce cas, non seulement il n’y a plus de bonus et dividendes mais carrément plus de salaires ni d’actions.

    On est dans un cas d’écolde de théorie des jeux avec 3 possibilités :

    A. L’Etat ne soutient pas,
    B. L’Etat soutient avec contreparties,
    C. L’Etat soutient sans contrepartie

    Les banques essaient d’obtenir le résultat C. Pour cela, elles essaient de faire croire que A ne serait pas si mal pour eux (mais terrible pour l’économie) ; par ailleurs B serait très moyen pour l’économie et tellement initéressant pour elles qu’elles risqueraient d’y préférer A (le pire pour l’économie).

    L’Etat britannique a analysé que les banques sont en fait vraiment terrifiées par A et a contraint les banques à choisir entre B et A (un soutien à prix d’or ou rien). Le résultat a été intéressant, certaines banques ont accepté le soutien toxique et ont été volontairement nationalisées. Une autre, Barclays, a été contrainte de trouver une 4e solution en allant trouver un soutien privé (aux Emirats) très cher mais moins cher que celui de l’Etat.

    En France, l’Etat semble s’être rallié à l’argument des banques ce qui peut paraitre sub-optimal.

    A moins que les Français aient ajouté une couche de subtilité à leur raisonnement et se soient alliés (Etat et banques) pour convaincre le reste du monde que les banques françaises seront soutenues à tout prix ce qui réduit leur risque et améliore leur capacité à tirer les marrons du feu.

    Où est Von Neumann quand on a vraiment besoin de lui?

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Oui, mais les banques françaises supportent-elles vraiment un fort risque de faillite? Il est tout à fait possible qu’elles soient assez mal en point pour avoir besoin de fortement réduire leur encours de crédit, mais pas assez pour n’avoir pas d’autre choix que le recours aux aides publiques. Le caractère optionnel des aides était une façon transparente, comme vous le dites, pour convaincre tout le monde que “les banques françaises ne vont pas si mal”. Une forme de politique industrielle consistant à espérer profiter des problèmes des autres. Cela présentait une certaine cohérence, mais à un coût que visiblement le gouvernement commence à trouver élevé; mais si c’est le cas, il faut contraindre, quitte à nationaliser partiellement ou totalement les banques. Les demi-mesures, c’est pas très efficace.

  3. Macro vs. Micro

    Attaquer les choses par le haut en pensant qu’on va pouvoir aligner les interets de l’etat francais et des banques francaises? Il n’est pas interdit de rever. Ce qui est sur, c’est qu’on aide nos champions nationaux. quant au reste…

    Restons simple, mais renversons la perspective et attaquons par le bas.

    Quel est l’objectif? augmenter le credit a l’economie

    Quel est le probleme? ca coute trop cher en fonds propres

    Quelle est la solution? abaisser le cout en fonds propres. Comment? en assurant (partiellement, bien entendu, pour que les preteurs restent responsables). on a un truc qui s’appelle la coface qui fait ca pas si mal pour promouvoir les exportations. Non pas qu’il faille faire comme la coface, mais au moins ca marche.

    Les objections suivantes ne tiennent pas:
    – distortion de la concurrence: toute solution la distort. Au moins dans ce cas on peut gerer le pb (tjs la coface comme exemple)
    – lourdeur / difficulte de mise en place: pipo
    – le pb c’est pas le cout en fonds propres c’est qu’il n’y a plus de fonds propres (en gros on est dans une crise de liquidite, pas de solvabilite): si on etait dans une crise de liquidite uniquement, on n’en serait pas la…

    J’ai rate qqch?

  4. Moi je ne comprends rien…

    – (1) La "pseudo recapitalisation" de l’état en titres hybrides est grosso modo le bénéfice 2008 des banques. Que les banques gardent tout leur bénef 2008 pour s’auto recapitaliser si cela est tant nécessaire et ne versent pas de dividende uniquement cette année. Ça ne serait pas plus simple, plus propre, plus confiant que des emprunts à 8% et des négociations secrètes ?

    – (2) Les banques américaines perdent des centaines de milliard en 2008. Les banques françaises font de léger bénéfices. J’ai l’impression qu’on traite les 2 de la même façon. D’ailleurs la bourse fait baisser les 2 dans les mêmes proportions.

    – (3) En crise, on investit beaucoup moins. Les entreprises n’investissent plus, les particuliers n’achètent pas de maisons. La demande de prêt est en forte baisse. Et cela sans relation avec l’offre potentielle de prêt des banques. POurquoi apporter des fonds propre aux banques pour qu’elles fassent des prêts que moins de gens demandent ?

    – Considérant l’évolution des cours de bourse (2) et la double recapitalisation des banques (une a 8% l’autre en cours) (1) qui m’a l’air bien futile, pour une demande de prêt en forte baisse (3) je me pose une question : les comptes des banques sont méga pipoté et l’état ferme les yeux ???

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