"Ce n’est pas une crise de la dette, mais des compétitivités"

Allons bon, voilà éconoclaste qui nous ressort le couplet sur la dette ? Non, c’est Eric Le Boucher, bien connu pour ses idées laxistes en matière de finances publiques (ironie). “Ils ont cru, nous avons tous cru, que la crise européenne commencée en Grèce était une crise des dettes souveraines”. Le Boucher se base sur un document publié par Bruegel qui est une bonne synthèse sur le sujet. Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette analyse vient d’une réflexion progressive, menée essentiellement outre atlantique mais pas seulement et qui, progressivement, au travers d’articles, billets de blogs, chroniques et livres, a permis de dresser un tableau consistant des causes de la crise.

Le sujet est plein de ramifications, ce qui explique probablement qu’il ait fallu beaucoup de temps pour faire émerger des synthèses. Vous pouvez mettre en cause les déséquilibres mondiaux, insister sur la sévérité de la crise financière, remonter à la création de l’euro pour expliquer la situation actuelle ou chercher à comprendre à quel point tous ces éléments se sont naturellement ou accidentellement conjugué. Et puis, il y a les controverses sur les politiques à mener maintenant (en vrac, et non exhaustif, quelques exemples de textes où nous avions abordé ces sujets : ici, , ici et ). Ce qui fait pas mal de pages à écrire et pas mal de débats qui peuvent difficilement se conclure en quelques jours. Pour prendre un seul exemple, le débat renouvelé sur l’efficacité de le politique budgétaire a déjà connu trois temps depuis 2008 : pro, puis contre et à nouveau pro… Les recherches avancent hélas à un rythme qui n’est pas compatible avec l’urgence. Ce qui, du reste, interroge sur l’agenda scientifique. Il est normal qu’il soit dicté par des préoccupations évolutives et centrées sur les sujets du moment. Mais n’y aurait-il pas un moyen de faire en sorte que certains sujets soient maintenus en permanence dans cet agenda ? Je pose seulement la question car il n’est clairement pas simple d’organiser cela. Et puis, au fond, dire que la politique budgétaire était sortie des préoccupations des économistes n’est probablement pas tout à fait exact. Ce sont des faits nouveaux qui ont conduit à de nouvelles réflexions. Sans les données chiffrées les concernant, les progrès auraient été moindres, voire nuls. Bref, je n’ai pas de solution…

Un autre aspect est que la mécanique politique et le jeu médiatique s’en mêlant, on a laissé de côté ces développements pas forcément simples à présenter, pas très vendeurs politiquement ou simplement incompréhensibles pour certains décideurs… On doit irrémédiablement se souvenir de la blague concernant l’économiste qui a perdu ses clés et les cherche sous un lampadaire, simplement parce qu’il y a de la lumière. Politiciens et journalistes sont généralement restés, pour des raisons différentes, sous le lampadaire. La composante AAA de l’affaire illustre certainement le mieux cette tendance. Il aura fallu sa perte pour qu’enfin l’importance toute relative de cette note soit relevée. Les économistes cherchaient ailleurs pendant ce temps. Et on peut espérer que cet article d’un éditorialiste connu fasse tache d’huile.

En ce qui nous concerne, nous nous sommes posés plusieurs fois la question de la possibilité de pondre une super synthèse. Objectivement, c’était impossible, il aurait fallu nous y consacrer en permanence. Alors, je sais que nous n’avons pas un “vrai travail”, mais quand même… Nous avons donc essayé de publier des éclairages partiels. Avec le recul, c’était trop peu régulier, mais pas si minable. Je dois préparer un cours sur la régulation des crises pour la fin de l’année scolaire. Je serai donc contraint d’opérer une grosse synthèse. Je tenterai de prendre le temps de l’exploiter pour le site si je suis assez satisfait du résultat. Rendez-vous en juillet. Eh oui, décidément, c’est long…

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8 Commentaires

  1. "Compétitivité" : à force d’utiliser ce mot, quelqu’un finira-t-il par lui donner une définition ?

    Réponse de Stéphane Ménia
    Vous êtes rabat-joie, mais je ne vais pas vous jeter la pierre…

  2. Les français sont productifs mais ont un problème de compétitivité. Quelqu’un peut m’expliquer ?

  3. Pour être honnête, j’avais trouvé une définition dans un rapport de la Banque Mondiale : http://www.ecb.int/pub/pdf/scpop...

    The “structural” competitiveness of an economy can be defined as a set of characteristics of an economy which can determine its export performance. These characteristics include amongst others human capital, infrastructure, product market regulations, the legal and institutional framework, and taxes.

    D’où l’on déduit que la petite taille d’un pays fait partie de sa compétitivité, puisqu’elle détermine largement le volume relatif de ses importations et de ses exportations…

    Le même rapport parle aussi de "price competitiveness" mais ne la définit pas (ce qui ne l’empêche pas de la calculer ni de chercher ses facteurs explicatifs…).

    Sinon, le mot ne figure pas dans le New Palgrave.

    Et bien sûr il y a Krugman et bien d’autres qui étrillent ce vocable.

  4. Pierre

    Il se pourrait également qu’être productif mais avoir un marché trop restreint soit une explication.

  5. @tal:
    Les Français ont une productivité horaire élevée, mais travaillent peu d’heures et peu de Français travaillent. Notamment la classe 55+.

    J’avais toujours pensé que le terme de compétitivité ne s’appliquait pas aux pays mais uniquement aux entreprises (Krugman je crois) car les pays ne sont pas en compétition. Il semble qu’il faille réapprendre.

    Cette notion semble être comme la pornographie, on ne sait la définir, mais on la reconnaît lorsqu’on l’a devant soi. Par exemple avec une crise de la balance des paiements.

    Cela doit vouloir dire la capacité a vendre aux autres, a partir du domaine géographique national, des produits ou services qu’ils ont envie d’acheter.

    La meilleure façon me semble t il donc de régler le problème de compétitivité de certains pays semble être de (re)définir les frontières "nationales". Rétablissons l’octroi! Ou annexons l’Allemagne.

  6. Je trouve assez vain et contre-productif de chercher à savoir si la crise est une crise de ceci ou de cela. Chaque évènement historique, dont les crises, résulte d’une multitude de causes concurrentes. En choisir une seule est une façon d’exonérer tous les acteurs sauf un, alors que si on veut éviter le retour des crises, il faut essayer d’éliminer TOUS les facteurs qui les ont provoquées.

  7. @elvin : je pense quand même qu’il est utile d’avoir une narration ("narrative" en anglais) sur la crise. La majorité des gens aujourd’hui mais encore plus demain ont envie de pouvoir la résumer en quelques mots.
    Il fallait quand même d’énorme œillères pour ne pas remarquer que les pays les plus touchés par la crise ne sont pas ceux qui étaient au départ les plus endettés, mis à part la Grèce.
    Toutefois quand on fait la somme dette publique + dette privée, on arrive à un indicateur quand même plus pertinent, c’est bien une dette qui a fait basculer les choses en Irlande et en Espagne, mais celle du privé.
    Par ailleurs la crise a pu révéler des problèmes présents antérieurement, qui restait sous le tapis quand l’économie est en forme mais sortent violemment devant la crise, et différents dans chaque pays.
    Dont celui de la compétitivité. Mais je crois que cela devient à nouveau trop simpliste de tout ramener à la compétitivité. Celle de l’Irlande était plutôt bonne, et s’il y eu une problème partiel en Espagne c’est l’effet richesse de l’immobilier qui l’a apporté.

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