Attendre

beckett

On attend. On attend. Avec un peu de chance, dans pas longtemps, on ne fera plus qu’attendre. Attendre que ça aille mieux, parce que c’est ce qu’il y a de plus probable au fur et à mesure que cela va plus mal. Attendre en silence, ou presque. Après avoir manifesté la volonté d’aller chercher l’inversion de la courbe avec les dents, l’heure pourrait être à sa “Godotisation”.

Le nombre de demandeurs d’emplois a augmenté en janvier. Il aurait pu baisser. Ou ne pas varier. On ne modifie pas le chômage structurel en un mois. Les annonces qu’on aime désormais les riches peuvent être efficaces, mais il y a des limites. On ne modifie pas le chômage conjoncturel quand on appartient à la zone euro et que tous les indicateurs sont morne plaine de ce point de vue. Bref, les chiffres du chômage de janvier ne sont  pas une surprise. Une baisse n’aurait pas constitué non plus un choc. Pour mémoire, hors politiques de l’emploi, il faut 1,5% de croissance en rythme annuel en France pour réduire le chômage (ce chiffre est le dernier mis en avant par l’OFCE, en 2013).

C’est l’enseignement de la loi d’Okun, référence quand on veut mesurer à court terme l’évolution du chômage selon le taux de croissance. Cette loi évalue le taux de variation du chômage pour un taux de variation du PIB (le taux de croissance). Au dessus de 1,5% de croissance du PIB, le taux de chômage baisse, en dessous, il augmente.  Ce chiffre dépend des gains de productivité et de la croissance de la population active. Plus les gains de productivité sont élevés, moins on a besoin de bras pour produire la même chose et plus il faut de croissance pour faire bouger le taux de chômage (ou, dit autrement, on peut produire plus avec autant de bras, ce qui nécessite d’autant plus de croissance pour utiliser de nouveaux bras ; des jambes aussi, éventuellement). En ce qui concerne la population active, sa hausse a le même effet : plus il faut accueillir de bras, plus il faut de croissance. Et, pour compliquer cela, puisque, je le répète, ceci n’est valable qu’à court terme seulement, si les comportements des uns et des autres connaissent une forme d’inertie (les entreprises attendent pour embaucher que la reprise se confirme, par exemple) ou, au contraire, une forme de réactivité contre-intuitive (les chômeurs sans droits, lassés de pointer, se retirent du marché du travail, mais reviennent vite fait quand ça va mieux), alors la relation est modifiée et ne dépend plus seulement de la croissance de la productivité et de la ppopulation active. On parle de taux de “flexion” du marché du travail pour estimer cet écart entre ce que productivité et croissance naturelle de la population active laisseraient présager et ce qu’il se passe vraiment en termes d’emplois nets créés (ou détruits).

A long terme, outre que nous serons tous morts, la structure de l’économie change et ce qui créait des emplois à un certain rythme peut en créer moins ou plus, c’est selon. Un des facteurs qui agit sur ce taux pivot est le fonctionnement du marché du travail. Si les appariements (les rencontres fructueuses) entre demandeurs et offreurs d’emplois se font plus vite (ce qui peut dépendre de la “flexibilité” du marché du travail, de la vitesse d’adaptation des qualifications, de la mobilité des travailleurs, etc.), une hausse du taux de croissance réduira plus vite le chômage et une baisse l’accroîtra plus vite. Un autre facteur parfois évoqué est la structure par secteurs de l’économie. Si des secteurs intenses en main d’oeuvre sont les bénéficiaires de la croissance plus qu’avant (ou prennent une importance supérieure dans l’économie), de facto l’emploi créé pour une hausse donnée du taux de croissance sera plus élevé. Inversement en cas de baisse de l’activité.

Et tout cela n’est vrai que sans tenir compte de certaines politiques publiques sur le marché du travail. Si l’État crée 3 millions d’emplois publics, on est au plein emploi. Jusqu’à ce que, du moins, on s’aperçoive que c’était un peu abuser… De ce point de vue, les contrats aidés ont probablement eu un impact, quoique limité. Le chômage des jeunes baisse un peu. Peut-être peut-on dire merci aux contrats d’avenir. Le contrat de génération semble moins porteur, même si après tout, on ne sait pas trop. En fait, on sait à peu près, mais 11 000, ça fait quand même a priori dans les 3 500 séniors maintenus en emploi grâce à la mesure (on estime qu’environ 2/3 des contrats aidés de ce genre sont signés alors qu’ils l’auraient été quand même, sans la mesure ; il en reste donc 1/3 d’utiles). Il n’y a pas de petites économies.

Le CICE ou bientôt le pacte de responsabilité aideront-ils ? Pas impossible. Après tout, avec les baisses de charges, le problème n’est pas de savoir combien d’emplois cela crée, mais combien cela coûte par emploi créé. Il y a forcément quelque part quelques emplois nets qui ont été ou seront créés ou sauvegardés grâce à ces dispositifs, sauf à nier que la productivité de certains travailleurs est inférieure à ce que les entreprises sont prêtes à payer pour les employer. Encore une fois, si on peut gratter un peu, ça aide pour inverser la courbe. Admettons toutefois que le coût pour les finances publiques n’a pas d’importance dans une économie soudainement tirée par l’offre, comme notre président l’a décrété en janvier, retrouvant la page d’un vieux manuel d’histoire de la pensée économique bookmarkée manuellement à l’entrée Jean-Baptiste Say (je me moque… pas parce que l’idée que l’offre ait une importance est fausse, mais car les mots employés pour l’occasion avait un côté tellement cours de l’ENA années 1970 que c’en était amusant). Bref, oublions ce menu détail qu’est le financement et demandons-nous jusqu’à quel point réduire le coût de l’emploi peut avoir un impact global sur le marché du travail. On en revient toujours au même problème : dans un contexte où les anticipations des entrepreneurs sont mauvaises, le coût d’un emploi, même réduit, est toujours exorbitant. On peut toujours espérer que le discours présidentiel rehausse le moral des troupes entrepreneuriales et modifie la perception de l’avenir, conduisant à la réalisation impulsive de projets restés dans les cartons sinon. C’est certain, cela arrivera en quelques endroits (aux dernières nouvelles, c’était Pierre Gattaz qui devait s’en charger ; mais finalement, non ou, du moins, on sait plus très bien). Néanmoins, que peuvent-ils peser face à un contexte d’ensemble très morose ?

Alors, on fait quoi ? Il y avait cette pub de Stimorol à une époque, dont je ne me souviens plus les détails, mais dans laquelle un type et une nana s’ennuient fermement sur un lit en mâchant leurs chewing-gum (en fait, je crois qu’elle devait être drôle parce que, normalement, ils auraient dû faire des galipettes, mais non… à cause de Stimorol qui occupe la dame ; je suis pas sûr en réalité, mais je crois bien). Le bonhomme dit à la nana quelque chose comme “Et on fait quoi ?”. Elle lui répond “On attend, Machin (j’ai oublié son prénom), on attend”.

Alors, même si d’aucuns ont émis l’hypothèse (pas stupide théoriquement et politiquement) que la majorité nous réserve une ruse stimulo-budgétaire planquée derrière la devanture “l’offre crée sa demande”, il n’est pas idiot de croire puisque la célèbre courbe n’a pas été inversée en 2013, puisque le bouillon a été copieusement pris et assumé devant tous, que l’heure est à l’attente d’un retour de l’activité. Toute seule, comme ça : sans les dents. Je connais même quelqu’un qui vous dira que ce serait le scénario le plus salutaire pour notre économie :

“L’inaction politique, reprochée à tour de bras par les fanatiques de la “réforme structurelle” aux divers gouvernements français, a aussi été un atout pour l’économie française. On ne le rappellera jamais assez : dans cette crise, il y  a une prime à l’inaction. En particulier, les pays qui ont évité de se lancer dans l’austérité budgétaire, cherchant à consolider leurs finances publiques au plus fort de la crise, se portent plutôt mieux que les autres.”

Plus ça va mal, plus la probabilité que ça aille mieux augmente. Enfin, en moyenne. De sorte que “souhaiter”, comme Michel Sapin l’a fait, qu’il y ait moins de chômeurs fin 2014 n’est pas forcément un voeu pieux. A vrai dire, même si les prévisions ne vont pas dans ce sens, on ne peut l’exclure, tant les prévisions sont conçues pour être révisées. Il suffirait finalement de quelques milliers de chômeurs en moins. Et les mesurettes du gouvernement pourraient bien nous faire basculer du bon côté de la courbe à l’heure du bilan. Ce qu’il espérait déjà en 2013.

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