Allumer les feux ?

Pour ceux qui l’ignoreraient, il est depuis le début du mois recommandé par la Sécurité Routière d’allumer ses feux de croisement de jour, hors agglomération. La mesure est pour l’instant expérimentale, mais pourrait être étendue voire être rendue obligatoire si elle a du succès. Par curiosité, je suis allé voir ce que la sécurité routière explique sur cette question. J’y ai trouvé une présentation coût-bénéfice pour justifier la mesure. De quoi aiguiser un appétit d’économiste.

Allumer les feux? 24 Pour ceux qui l’ignoreraient, il est depuis le début du mois recommandé par la Sécurité Routière d’allumer ses feux de croisement de jour, hors agglomération. La mesure est pour l’instant expérimentale, mais pourrait être étendue voire être rendue obligatoire si elle a du succès. Par curiosité, je suis allé voir ce que la sécurité routière explique sur cette question. J’y ai trouvé une présentation coût-bénéfice pour justifier la mesure. De quoi aiguiser un appétit d’économiste.

Pour ceux qui l’ignoreraient, il est depuis le début du mois recommandé par la Sécurité Routière d’allumer ses feux de croisement de jour, hors agglomération. La mesure est pour l’instant expérimentale, mais pourrait être étendue voire être rendue obligatoire si elle a du succès. Par curiosité, je suis allé voir ce que la sécurité routière explique sur cette question. J’y ai trouvé une présentation coût-bénéfice pour justifier la mesure. De quoi aiguiser un appétit d’économiste.

J’avais quelques préjugés défavorables sur cette mesure d’allumage des feux, j’en ai encore, mais moins : ce qui signifie que la Sécurité routière fait bien son travail dans son dossier. Voici mes interrogations et les réponses :
– Pourquoi faut-il allumer les feux de croisement en plein jour? Parce qu’un véhicule allumant ses feux devient plus visible pour les autres automobilistes et tous les usagers de la route, même en plein jour. C’est bien possible, mais la différence est-elle vraiment si grande? Après tout, les pays qui utilisent cette mesure sont pour l’essentiel des pays à climat continental, soit d’Europe centrale et nordique, soitd’Amérique du Nord. Or ces pays sont plus sujets à intempéries réduisant la visibilité qu’un pays à climat tempéré comme la France. Il semble qu’il y ait quand même un effet positif sur la visibilité des véhicules et rend donc la conduite plus sûre.
Les motocyclistes, qui ont manifesté contre cette mesure, ont affirmé qu’elle leur faisait courir des risques supplémentaires, en les rendant moins identifiables par les automobilistes (pour l’instant, ils sont en effet les seuls à devoir allumer leurs feux de jour).
– Je veux donc bien admettre que la visibilité des véhicules augmente avec l’allumage des feux. Cependant, un économiste dans ces conditions se doit de dire que cette mesure n’est pas forcément une bonne chose, parce qu’elle risque d’augmenter le nombre d’accidents. Paradoxal? Pas du tout, car les gens réagissent aux incitations. Si mon véhicule est plus visible, je vais avoir tendance à adopter un comportement plus imprudent, puisque je sais que les autres usagers de la route ont plus de chances de me voir. Au total, l’effet de la mesure sur le nombre de victimes de la route est a priori indéterminé : d’un côté, les automobilistes sont plus visibles; de l’autre, ils risquent d’adopter un comportement plus imprudent.
Ce genre de remarque a tendance à générer du scepticisme. La majorité des gens a du mal à admettre qu’augmenter le niveau de sécurité des véhicules tend à augmenter, non à réduire, le risque d’accident. Pourtant cette même majorité des gens tend à rouler lentement sur route enneigée ou par temps de brouillard, et à réaccélerer lorsque les conditions météorologiques s’améliorent : c’est exactement le même principe qui est à l’oeuvre, adapter sa vitesse et sa prudence de conduite au niveau de risque subi.
Au début des années 70, suite à la publication de “unsafe at any speed” de Ralph Nader, le gouvernement américain avait obligé les constructeurs automobiles à installer de nombreux équipements de sécurité dans les véhicules (ceintures de sécurité, parce-chocs déformables, etc). L’économiste Sam Peltzman, en 1975, avait cherché à analyser l’effet sur les accidents de voiture de ces mesures. Il en était sorti un article dans le Journal of Political Economy, démontrant que ces mesures n’avaient eu en pratique aucun effet sur la mortalité routière. D’un côté, elles avaient réduit la mortalité en cas d’accident; de l’autre, elles avaient augmenté le nombre d’accidents. Au total, le gain d’un côté compensait la perte de l’autre. Par contre, la proportion de piétons dans les victimes d’accident de la route avaient augmenté : après tout, eux ne bénéficient pas de l’avantage apporté par une ceinture de sécurité. Face à de multiples résultats de ce style, l’économiste A. Alchian avait déclaré qu’un très bon équipement de sécurité pour voitures serait de placer une pointe de lance dépassant du volant et braquée sur le sternum du conducteur. Rien de tel pour inciter les gens à la prudence.
L’effet de l’allumage des feux est donc a priori indéterminé, car il peut être une baisse ou une hausse du nombre d’accidents, selon l’effet qui l’emporte, visibilité accrue ou comportement moins prudent. Il convient de noter que cet argument s’applique également à l’encontre des motocyclistes selon lesquels leur moindre visibilité accroît leur risque d’accident : Il est possible au contraire que puisqu’ils ne sont désormais pas plus visibles que les autres voitures, ils modifient leur comportement et adoptent une attitude plus prudente, aboutissant à réduire, et non augmenter, leur risque.
Or si l’on en croit la brochure de la Sécurité Routière, cet effet a été pris en compte et globalement, le comportement des automobilistes n’est pas modifié par la mesure. Je dois avouer un peu de scepticisme car peu d’explications sont fournies pour expliquer ce résultat. Après tout, lorsqu’on demande aux automobilistes sur la base du volontariat d’allumer leur feux pour tester leur comportement, il est probable que ce soient plutôt les automobilistes sensibles aux arguments de la Sécurité Routière qui le fassent; or ces automobilistes ont le plus souvent déjà un comportement plus prudent que la moyenne sur route.
Par ailleurs, quand je compare la proportion de véhicules roulant avec feux allumés sur les routes que j’emprunte au taux annoncé par la Sécurité routière de conducteurs qui affirment vouloir allumer leurs feux, mon scepticisme croît encore : je vois un gros tiers de véhicules avec feux allumés, et certainement pas les 62% de conducteurs ayant annoncé “avoir l’intention d’allumer leur feux”.
Il semble en tout cas que, même en tenant compte de l’effet sur la conduite des automobilistes de la mesure, elle puisse réduire globalement le nombre d’accidents. Voilà du côté des bénéfices. Maintenant, qu’en est-il des coûts de la mesure? Ces coûts sont une consommation des véhicules accrue de 1%, si l’on en croit là encore la Sécurité Routière. Pas beaucoup, pourrait-on dire. Voire : cela représente environ 400 000 mètres cubes de carburant, soit 400 millions de litres à peu près; à un euro le litre de carburant, cela représente quand même un coût total de 400 millions d’euros pour les automobilistes. NB :  Je laisse de côté dans ce calcul les effets externes de la consommation de carburant sur la population, comme la pollution atmosphérique que cela engendre : je considère en fait que le coût externe est internalisé par les taxes, d’où mon prix d’un euro le litre. Mais on pourrait constater aussi que cette hausse de consommation risque de pousser les automobilistes vers le diesel, et d’accroître la quantité de particules nuisibles aux voies respiratoires dans les villes. Je n’ai pas non plus pris en compte la fréquence accrue de remplacement des ampoules des phares.
La question est donc, la réduction de la mortalité routière que la mesure est supposée entraîner vaut-elle le surcoût qu’elle entraîne? Posée sous cette forme, cette question suscite en général l’indignation, et est de celle qui vaut à l’économie sa réputation de science lugubre. Comment peut-on oser mettre sur le même plan des vies sauvées et des coûts financiers? Tout le monde sait qu’une vie n’a pas de prix. Refuser une mesure qui sauve des vies sous prétexte qu’elle coûte trop cher paraît profondément immoral.
Et pourtant. Les mêmes personnes qui trouvent immoral de comparer des coûts financiers et des vies sauvées prennent leur voiture tous les matins pour aller travailler, mais ne font pas un contrôle technique complet tous les matins, et ne vérifient pas tous les jours la pression de leurs pneus ou l’état de leurs plaquettes de freins. Pourquoi? Parce qu’ils considèrent que le gain qu’ils retireraient de ces opérations, sous forme de réduction de leur risque de mortalité routière ne vaut pas l’effort qu’elles demandent. De même, tout le monde n’achète pas une voiture munie d’ABS et remplie à craquer d’airbags. C’est d’ailleurs en prenant en compte cela qu’il est possible de calculer la “valeur” d’une vie humaine sauvée : en considérant la valeur que les gens accordent à leur propre vie, c’est à dire ce qu’ils sont prêts à payer pour réduire leur risque de mortalité. Supposons par exemple qu’on constate que les individus soient disposés à payer 10 000 euros, mais pas un euro de plus, pour acheter un équipement de sécurité réduisant leur risque de décès de 1%; dans ce cas, on considérera qu’ils évaluent leur propre vie à 10 000 x 100 = un million d’euros (le calcul réel est plus compliqué que cela, mais c’est l’idée). Si ce prix est juste, alors une mesure qui sauverait des vies pour 10 millions d’euros l’unité ne devrait pas être adoptée : non pas parce qu’une personne “vaut” moins que cette somme, mais parce que cette somme correspond à un niveau de sécurité largement supérieur à celui que la population souhaite, et qu’il vaudrait mieux consacrer l’argent des contribuables à des tâches plus utiles.
A partir des chiffres de la Sécurité Routière (mortalité réduite, consommation de carburant accrue, etc) je suis arrivé à un résultat d’environ 1,3 millions d’euros par vie sauvée par l’allumage des feux de croisement le jour. Cela en fait une mesure assez peu coûteuse, ceci d’autant plus que je n’ai pas cpris en compte les blessés. Aux USA, on estime le prix d’une vie à plus de 5 millions de dollars pour avoir un ordre de comparaison : la mesure est largement en dessous de ces coûts. Une question intéressante serait alors de comparer cette mesure avec d’autres mesures, type efficacité accrue des contrôles de vitesse ou tests d’alcoolémie plus fréquents.

Une petite voix, cependant – celle de ma conscience d’automobiliste latin paranoiaque – me serine que ce n’est pas tellement ce type de calcul qui est à la base de cette mesure. Quand on lit les papiers de la Sécurité Routière, on trouve beaucoup de “changeons” et autres “faire prendre conscience aux automobilistes”, en bref, plus une volonté d’exercer un contrôle accru sur les automobilistes qu’autre chose. Je constate aussi que les pays nordiques qui ont rendu cette mesure obligatoire sont aussi des pays dans lesquels s’exerce un degré de contrôle social sur les individus extrêmement désagréable; et je me demande s’il n’y a pas dans cette mesure une petite volonté de domestication supplémentaire de la population. Après tout, c’est la nouvelle mode en France que de répondre aux demandes d’un Etat efficace par des mesures de contrôle social accru sur les individus. L’Etat n’en devient pas plus efficace mais donne ainsi l’illusion d’agir. N’y a t’il pas dans cette mesure une volonté d’exercer un contrôle encore plus grand sur les gens par la culpabilisation et le discours moralisateur, histoire de leur faire oublier au passage que le gouvernement est lui incapable de contrôler la croissance de la dépense publique autrement que par des artifices comptables?
J’avais quelques préjugés défavorables sur cette mesure d’allumage des feux, j’en ai encore, mais moins : ce qui signifie que la Sécurité routière fait bien son travail dans son dossier. Voici mes interrogations et les réponses :
– Pourquoi faut-il allumer les feux de croisement en plein jour? Parce qu’un véhicule allumant ses feux devient plus visible pour les autres automobilistes et tous les usagers de la route, même en plein jour. C’est bien possible, mais la différence est-elle vraiment si grande? Après tout, les pays qui utilisent cette mesure sont pour l’essentiel des pays à climat continental, soit d’Europe centrale et nordique, soitd’Amérique du Nord. Or ces pays sont plus sujets à intempéries réduisant la visibilité qu’un pays à climat tempéré comme la France. Il semble qu’il y ait quand même un effet positif sur la visibilité des véhicules et rend donc la conduite plus sûre.
Les motocyclistes, qui ont manifesté contre cette mesure, ont affirmé qu’elle leur faisait courir des risques supplémentaires, en les rendant moins identifiables par les automobilistes (pour l’instant, ils sont en effet les seuls à devoir allumer leurs feux de jour).
– Je veux donc bien admettre que la visibilité des véhicules augmente avec l’allumage des feux. Cependant, un économiste dans ces conditions se doit de dire que cette mesure n’est pas forcément une bonne chose, parce qu’elle risque d’augmenter le nombre d’accidents. Paradoxal? Pas du tout, car les gens réagissent aux incitations. Si mon véhicule est plus visible, je vais avoir tendance à adopter un comportement plus imprudent, puisque je sais que les autres usagers de la route ont plus de chances de me voir. Au total, l’effet de la mesure sur le nombre de victimes de la route est a priori indéterminé : d’un côté, les automobilistes sont plus visibles; de l’autre, ils risquent d’adopter un comportement plus imprudent.
Ce genre de remarque a tendance à générer du scepticisme. La majorité des gens a du mal à admettre qu’augmenter le niveau de sécurité des véhicules tend à augmenter, non à réduire, le risque d’accident. Pourtant cette même majorité des gens tend à rouler lentement sur route enneigée ou par temps de brouillard, et à réaccélerer lorsque les conditions météorologiques s’améliorent : c’est exactement le même principe qui est à l’oeuvre, adapter sa vitesse et sa prudence de conduite au niveau de risque subi.
Au début des années 70, suite à la publication de “unsafe at any speed” de Ralph Nader, le gouvernement américain avait obligé les constructeurs automobiles à installer de nombreux équipements de sécurité dans les véhicules (ceintures de sécurité, parce-chocs déformables, etc). L’économiste Sam Peltzman, en 1975, avait cherché à analyser l’effet sur les accidents de voiture de ces mesures. Il en était sorti un article dans le Journal of Political Economy, démontrant que ces mesures n’avaient eu en pratique aucun effet sur la mortalité routière. D’un côté, elles avaient réduit la mortalité en cas d’accident; de l’autre, elles avaient augmenté le nombre d’accidents. Au total, le gain d’un côté compensait la perte de l’autre. Par contre, la proportion de piétons dans les victimes d’accident de la route avaient augmenté : après tout, eux ne bénéficient pas de l’avantage apporté par une ceinture de sécurité. Face à de multiples résultats de ce style, l’économiste A. Alchian avait déclaré qu’un très bon équipement de sécurité pour voitures serait de placer une pointe de lance dépassant du volant et braquée sur le sternum du conducteur. Rien de tel pour inciter les gens à la prudence.
L’effet de l’allumage des feux est donc a priori indéterminé, car il peut être une baisse ou une hausse du nombre d’accidents, selon l’effet qui l’emporte, visibilité accrue ou comportement moins prudent. Il convient de noter que cet argument s’applique également à l’encontre des motocyclistes selon lesquels leur moindre visibilité accroît leur risque d’accident : Il est possible au contraire que puisqu’ils ne sont désormais pas plus visibles que les autres voitures, ils modifient leur comportement et adoptent une attitude plus prudente, aboutissant à réduire, et non augmenter, leur risque.
Or si l’on en croit la brochure de la Sécurité Routière, cet effet a été pris en compte et globalement, le comportement des automobilistes n’est pas modifié par la mesure. Je dois avouer un peu de scepticisme car peu d’explications sont fournies pour expliquer ce résultat. Après tout, lorsqu’on demande aux automobilistes sur la base du volontariat d’allumer leur feux pour tester leur comportement, il est probable que ce soient plutôt les automobilistes sensibles aux arguments de la Sécurité Routière qui le fassent; or ces automobilistes ont le plus souvent déjà un comportement plus prudent que la moyenne sur route.
Par ailleurs, quand je compare la proportion de véhicules roulant avec feux allumés sur les routes que j’emprunte au taux annoncé par la Sécurité routière de conducteurs qui affirment vouloir allumer leurs feux, mon scepticisme croît encore : je vois un gros tiers de véhicules avec feux allumés, et certainement pas les 62% de conducteurs ayant annoncé “avoir l’intention d’allumer leur feux”.
Il semble en tout cas que, même en tenant compte de l’effet sur la conduite des automobilistes de la mesure, elle puisse réduire globalement le nombre d’accidents. Voilà du côté des bénéfices. Maintenant, qu’en est-il des coûts de la mesure? Ces coûts sont une consommation des véhicules accrue de 1%, si l’on en croit là encore la Sécurité Routière. Pas beaucoup, pourrait-on dire. Voire : cela représente environ 400 000 mètres cubes de carburant, soit 400 millions de litres à peu près; à un euro le litre de carburant, cela représente quand même un coût total de 400 millions d’euros pour les automobilistes. NB :  Je laisse de côté dans ce calcul les effets externes de la consommation de carburant sur la population, comme la pollution atmosphérique que cela engendre : je considère en fait que le coût externe est internalisé par les taxes, d’où mon prix d’un euro le litre. Mais on pourrait constater aussi que cette hausse de consommation risque de pousser les automobilistes vers le diesel, et d’accroître la quantité de particules nuisibles aux voies respiratoires dans les villes. Je n’ai pas non plus pris en compte la fréquence accrue de remplacement des ampoules des phares.
La question est donc, la réduction de la mortalité routière que la mesure est supposée entraîner vaut-elle le surcoût qu’elle entraîne? Posée sous cette forme, cette question suscite en général l’indignation, et est de celle qui vaut à l’économie sa réputation de science lugubre. Comment peut-on oser mettre sur le même plan des vies sauvées et des coûts financiers? Tout le monde sait qu’une vie n’a pas de prix. Refuser une mesure qui sauve des vies sous prétexte qu’elle coûte trop cher paraît profondément immoral.
Et pourtant. Les mêmes personnes qui trouvent immoral de comparer des coûts financiers et des vies sauvées prennent leur voiture tous les matins pour aller travailler, mais ne font pas un contrôle technique complet tous les matins, et ne vérifient pas tous les jours la pression de leurs pneus ou l’état de leurs plaquettes de freins. Pourquoi? Parce qu’ils considèrent que le gain qu’ils retireraient de ces opérations, sous forme de réduction de leur risque de mortalité routière ne vaut pas l’effort qu’elles demandent. De même, tout le monde n’achète pas une voiture munie d’ABS et remplie à craquer d’airbags. C’est d’ailleurs en prenant en compte cela qu’il est possible de calculer la “valeur” d’une vie humaine sauvée : en considérant la valeur que les gens accordent à leur propre vie, c’est à dire ce qu’ils sont prêts à payer pour réduire leur risque de mortalité. Supposons par exemple qu’on constate que les individus soient disposés à payer 10 000 euros, mais pas un euro de plus, pour acheter un équipement de sécurité réduisant leur risque de décès de 1%; dans ce cas, on considérera qu’ils évaluent leur propre vie à 10 000 x 100 = un million d’euros (le calcul réel est plus compliqué que cela, mais c’est l’idée). Si ce prix est juste, alors une mesure qui sauverait des vies pour 10 millions d’euros l’unité ne devrait pas être adoptée : non pas parce qu’une personne “vaut” moins que cette somme, mais parce que cette somme correspond à un niveau de sécurité largement supérieur à celui que la population souhaite, et qu’il vaudrait mieux consacrer l’argent des contribuables à des tâches plus utiles.
A partir des chiffres de la Sécurité Routière (mortalité réduite, consommation de carburant accrue, etc) je suis arrivé à un résultat d’environ 1,3 millions d’euros par vie sauvée par l’allumage des feux de croisement le jour. Cela en fait une mesure assez peu coûteuse, ceci d’autant plus que je n’ai pas cpris en compte les blessés. Aux USA, on estime le prix d’une vie à plus de 5 millions de dollars pour avoir un ordre de comparaison : la mesure est largement en dessous de ces coûts. Une question intéressante serait alors de comparer cette mesure avec d’autres mesures, type efficacité accrue des contrôles de vitesse ou tests d’alcoolémie plus fréquents.

Une petite voix, cependant – celle de ma conscience d’automobiliste latin paranoiaque – me serine que ce n’est pas tellement ce type de calcul qui est à la base de cette mesure. Quand on lit les papiers de la Sécurité Routière, on trouve beaucoup de “changeons” et autres “faire prendre conscience aux automobilistes”, en bref, plus une volonté d’exercer un contrôle accru sur les automobilistes qu’autre chose. Je constate aussi que les pays nordiques qui ont rendu cette mesure obligatoire sont aussi des pays dans lesquels s’exerce un degré de contrôle social sur les individus extrêmement désagréable; et je me demande s’il n’y a pas dans cette mesure une petite volonté de domestication supplémentaire de la population. Après tout, c’est la nouvelle mode en France que de répondre aux demandes d’un Etat efficace par des mesures de contrôle social accru sur les individus. L’Etat n’en devient pas plus efficace mais donne ainsi l’illusion d’agir. N’y a t’il pas dans cette mesure une volonté d’exercer un contrôle encore plus grand sur les gens par la culpabilisation et le discours moralisateur, histoire de leur faire oublier au passage que le gouvernement est lui incapable de contrôler la croissance de la dépense publique autrement que par des artifices comptables?

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Alexandre Delaigue

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