Allez… débranche moi…

Emmanuel de Ceteris Paribus, dans un billet d’une violence inouïe à notre encontre, relève ce qu’on peut appeler le “cas Landsburg” (dont un des livres est chroniqué ici). Celui-ci, dans un article de Slate, évoque l’histoire d’une jeune fille de 27 ans atteinte d’un cancer en phase terminale. N’ayant pas les moyens de payer les soins, la famille s’est vue signifié un ultimatum de 10 jours, après quoi, l’appareil respiratoire qui la maintenait en vie a été purement et simplement débranché.

Dans ce genre de situation, il y a probablement trois types de réactions génériques :
– la révolte
– le fatalisme
– la rationalisation.

Comme Landsburg fait de l’économie (et comme c’est son job de le faire sur les aventures de la vie de tous les jours), il s’est senti obligé de prendre le parti de la troisième solution pour expliquer en quoi la situation n’avait rien de scandaleux ou, du moins, de contraire à la “compassion”. Terrain glissant, très glissant…
Je vais prendre le parti d’être froid et calculateur sur le cas Landsburg, sans quoi, on s’en sortira pas. Il y a surement beaucoup de choses à dire sur la nature d’un système d’assurances sociales et sur le fait que Landsburg, quand il évoque “une assurance appareil respiratoire” nous décrit vraisemblablement un contrat un peu trop complet pour être honnête. On pourrait facilement le suspecter, en saucissonant la protection sociale d’en exclure petit à petit les pauvres. D’assurances “non indispensables” – car non choisies – en “assurances qui ne valent pas de sacrifier une sortie au ciné”, on donne facilement une image rêvée du choix dans la pauvreté… Si je ne suis pas assuré contre telle chose, c’est que j’ai jugé préférable de consacrer mes ressources à autre chose. Cool ! Le jour où j’arrête de bouffer, c’est que j’ai fait exprès… Sa conception de la compassion est également un peu limitée. Ce sont là des aspects évoqués par Ezra Klein dans le billet cité par Emmanuel.

Je vais me limiter à la remarque que m’inspire spontanément le texte, à la première lecture.
Je considère que Landsburg fait une erreur économique classique, celle des libertariens de base. Il t’explique pendant une heure que l’économie est simplement la science du choix. Que chaque individu est en grande partie libre de faire ce qu’il souhaite de ses ressources et que c’est comme ceci qu’une société fonctionne le mieux. Pourquoi pas ? Sauf que, juste après, il y a ce je ne sais quoi (mais si, en fait, je sais très bien) de “je sais ce qu’est la nature humaine”, je sais comment pensent les autres et, donc, je sais à peu près ce que seront les choix de tous. Verdict : pas d’assurance appareil respiratoire.
C’est typiquement ce qu’il fait ici. Tout le long, il essaie de faire passer, ce qui n’est pas conceptuellement un crime, l’idée qu’on peut faire le choix de s’assurer ou non contre le débranchement. Mais tout aussi régulièrement, c’est là qu’on n’a plus à le suivre conceptuellement, il suggère que personne ne le fera. Où est le choix alors ? Ce qui me gêne donc, ce n’est pas qu’on puisse mettre en balance un choix économique et la mort. Je suis habitué à envisager intellectuellement ces choses là, pour voir jusqu’où on peut aller avec et, juste après, jusqu’où, moi, je ne souhaite pas aller, en dépit de tous les résultats que le raisonnement économique peut me donner. Donc, ce qui m’ennuie, ce n’est pas que la question soit posée, c’est que la réponse soit imposée, sans aucune précaution à part un pathétique “ouai, ok, j’ai pas fait de sondage, mais franchement…”. Eh, Steven… Il n’est pas question de paris sur le futur vainqeur du Superbowl ou sur l’intérêt d’engager oui ou non des sociétés privées pour ramasser les crottes de chien dans les rues…

Soyons gauchiste un moment (pardon “liberal”). Et si on ne souhaitait pas une assurance appareil respiratoire pour soi en particulier, mais qu’on souhaitait une assurance ventilo pour tous (et soi-même au cas où) ? Pas envisagé… Pourtant, ça peut évidemment tout à fait coller à un modèle néoclassique…
Bien sûr, on ne manquera pas de lui faire paternalistement remarquer, au surplus, que si les gens ne sont pas assez prévoyants pour s’assurer contre le débranchement des appareils d’assistance respiratoire (j’en connais un qui aurait du le faire pour celui de son portableNda : appareil respiratoire se dit “ventilator” en anglais, ce qui irrémédiablement, rappelle ce que l’on appelle “fan”, toujours en anglais…), alors il faut peut-être envisager pour eux de le faire, vu qu’une fois devant l’appareil, ils seront bien contents, après coup, d’avoir eu l’obligation de le faire. Discussion classique et toujours aussi difficile…

Bon, j’en retiens en tout cas qu’il arrive probablement un moment où jouer le “Armchair Economist” déconnecte de certaines réalités. Mais, pourtant, je ne suis pas convaincu que ce soit le coeur du problème. On peut également préférer penser que, compte tenu du sujet qui y est traité, ce texte est mauvais. Il y a probablement des thèmes qui demandent un talent pointu pour les aborder en économiste. Sur ce coup là, Landsburg repassera…

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