Dominique Albertini nous explique pourquoi Le contrat de travail unique n’est pas pour demain, dans un article qui pourrait en gros se résumer à « Presque personne ne trouve cela convaincant ou intéressant ». Admettons. Je conçois que le MEDEF aime bien les CDD et que les syndicats aient peur d’un dispositif qui par nature amènerait à moins de protection de l’emploi (l’emploi étant par définition occupé par un salarié, donc la cible syndicale naturelle). J’ai déjà évoqué ces questions récemment. J’ai néanmoins relevé une citation de Liem Hoang Ngoc :
« Il n’y a pas de relations entre le degré de protection de l’emploi dans un pays et les performances en matière de croissance et d’emploi, insiste le secrétaire national adjoint à l’économie au Parti socialiste, Liem Hoang Ngoc. Les réformes dites structurelles sont en fait des politiques d’austérité. Vous pouvez en faire autant que vous voulez, si les besoins d’emplois n’augmentent pas, la file d’attente ne diminuera pas. »
Absolument, il n’y a pas de lien entre taux de chômage et protection de l’emploi, c’est un fait incontestable et incontesté. Mais il y a un lien entre durée du chômage et protection de l’emploi, entre protection de l’emploi et envie de se jeter par la fenêtre parce qu’on occupe un CDI qu’on n’ose pas quitter de peur de ne pas en retrouver un. Qu’un eurodéputé de gauche, ne tienne pas compte de cet aspect me surprend un peu.
On ne peut pas toujours tout résumer à une tuyauterie circuitiste où seul le niveau des flux qui s’écoule compte.
Ce n’est pas comme si M. Hoang Ngoc était docteur en sciences économiques, en plus d’être eurodéputé de gauche…
Les chances de passer d’un CDD à un CDI en France sont passées de 45 % au milieu des années 90 à 12,8 % en 2010 contre une moyenne européenne de 26 %, mais non, nous n’aurions pas de problèmes structurels. Une bonne relance, et le CDI pour tous est à portée de main?
Cette incapacité, ou cette absence de volonté d’envisager le marché du travail de façon plus dynamique et le fait de préférer protéger le salarié stable contre les opportunités pour les précaires est très préocuppante…
Les responsabilités sur ce dossier sont partagées. Vous dites que c’est un fait incontestable et incontesté. Je ne suis qu’à moitié d’accord — pour le coté incontestable.
Les défenseurs audibles d’un marché de l’emploi plus fexible (éditorialistes, think tank, certaines organisations internationales…) nous le vendent pour les mauvaises raisons: cela va "libérer la croissance" et autres poncifs du genre.
Il est alors aisé pour ses opposants de le rejeter en se contentant de réfuter ces arguments creux.
Réponse de Stéphane Ménia
Chais pas, vous avez des études qui concluent à un lien significatif entre le niveau de protection et le taux de chômage ? Moi non. Donc, j’en conclus que c’est incontestable et d’ailleurs, c’est incontesté, du coup. Peut-être pas pour toujours, mais en l’état actuel des choses, voilà quoi.
Un eurodéputé de gauche se soucie normalement plus de la souffrance quotidienne des gens qui vivent que de l’angoisse des salariés trop privilégiés.
Un eurodéputé de gauche s’intéresse davantage à fournir à chacun assez pour vivre plutôt qu’à la durée du chômage, et de considère pas le travail salarié comme l’objectif de l’existence. Et parvenir à ce résultat ne s’obtient guère en manipulant le droit du travail, invariablement au profit des rentiers et de leurs agents, mais même autrement.
Des propos que ne renierait certainement pas Christine Lagarde, comme quoi, les clivages ne sont pas forcément ceux qu’on pense.
Mais maintenant qu’on a invité les lobbyistes de Bruxelles à diriger l’europe, je ne suis pas inquiet : le tragique destin des titulaires des meilleurs CDIs et autres trop enviables statuts connaitra bientôt la fin que lui souhaitent tous les hommes de progrès en Tergal.
Réponse de Stéphane Ménia
J’ai rien compris.
Il y a bien le nouveau modèle du libéralisme sauvage que serait l’Allemagne.
Pour ce qui est du licenciement dans le contrat à durée indéterminée en Allemagne, voilà :
de.wikipedia.org/wiki/K%C…
Citation:
‘Der Arbeitgeber (…) muss in sehr vielen Fällen den allgemeinen oder besonderen Kündigungsschutz beachten.
(L’employeur doit dans la grande majorité des cas respecter les protections générales ou particulière – il est indiqué plus loin que depuis 2004 la protection générale dispose que dans les entreprises de plus de 10 salariés un licenciement n’est effectif (‘wirksam’) que s’il est ‘justifié socialement’, c’est à dire en gros si l’employé a fauté ou si l’employeur est dans le pétrin. En d’autres termes, les licenciements boursiers sont illégaux en Allemagne.
Im Übrigen darf eine Kündigung nicht sittenwidrig (§ 138 BGB), keine Maßregelung und nicht diskriminierend sein.’
Du reste un licenciement ne doit pas être ‘sittenwidrig’, ne doit pas être contraire aux réglements ni discriminatoire.
Sittenwidrig est assez difficile à traduire: immoral ? Je crois que ça doit être lié à la tradition juridique allemande qui considère que dans un contrat s’il y a un gros et un petit le gros ne doit pas abuser de la situation, concept qui est parfaitement étranger à la tradition française. En tout cas ça laisse un aléa juridique kolossal à l’employeur allemand qui veut licencier.
Voilà les contrats à durée déterminée en Allemagne:
de.wikipedia.org/wiki/Bef…
Comme vous le verrez c’est tellement court que même si on ne comprend pas l’allemand on se doute bien que les employeurs allemands ont une vie de rêve par rapport aux français.
Réponse de Stéphane Ménia
D’après l’indice de protection de l’emploi de l’OCDE, l’Allemagne a un indice à 2,65 alors que celui de la France est de 3. Les données sont de 2008. Si l’indice est pertinent, alors la protection de l’emploi est assez similaire dans les deux pays. A titre de comparaison, l’indice est de 1,09 en Grande Bretagne. Les données détaillées sont disponibles ici. Vous noterez que la facilité de licenciement est estimée plus élevée en France. Rapport aux contrats atypiques, je présume.
La protection des insiders est la pente naturelle de la societe Francaise. Au niveau de l’emploi comme au niveau du logement ce qui fait que chacun hesite a bouger car le changement est couteux.
Il me semblait d’ailleurs avoir lu que les difficultes de logement avaient un impact important sur les problemes d’emploi (Wasmer je crois).
Ceci dit, voila 40 ans que cette politique est poursuivi a droite comme a gauche et "il est difficile de changer une formule qui gagne".
Qui se souvient que durant les 30 glorieuses, le CDI etait le contrat le plus precaire (par definition)?
Juste pour rebondir sur votre réponse au commentaire numéro 4, on peut raisonner par inégalités en matière de protection de l’emploi plutôt qu’en moyenne.
Ce qui est déroutant en France, c’est que ce sont les emplois les plus qualifiés qui semblent les mieux protégés. Ce qui est encore plus troublant est de constater que ceux qui y accèdent sont ceux qui maîtrisent des codes culturels enseignés par leurs parents.
Il faudra alors qu’on m’explique en quoi raisonner "globalement" à l’échelle d’un pays aurait quelque sens que ce soit. Le problème n’est pas de trouver un costard taille unique pour tout le monde : le problème est de trouver qui a besoin de protection sociale (pécuniaire !) dans une économie qui revendique la course à la compétitivité, et donc, exclut de l’employabilité une part croissante de sa population.
Et pour ma part, je vois bien plus de bienveillance dans les propositions de revenu universel (et incontionnel) que dans les débats d’arrière garde entre rentiers du corps social.
@Gérard:
Le taux de chômage en Allemagne est à moins de 8%, son taux d’activité à plus de 70%. Ce n’est peut-être pas un si mauvais modèle, finalement…
Personnellement, je trouve tout de même ce rappel utile. Parce qu’il souligne que croire qu’on va résoudre le chômage en réformant le Pôle Emploi est une illusion. Entre autres. Je veux dire, très franchement, votre rappel est utile, mais celui de M. Liem l’est aussi, pour dissiper des illusions encore plus stupides.
Concernant le commentaire de Delouté : je pense que Delouté veut dire que la gauche ne voit pas forcément l’emploi comme un objectif en soi. C’est-à-dire que pour la gauche, on peut aussi bien résoudre le problème en améliorant les conditions de vie des chômeurs qu’en leur donnant du travail.
C’est comme ça que je comprend ce que dit velouté, mais ce n’est pas mon avis. Pour moi, c’est un devoir dans un monde civilisé de maintenir les chômeurs dans des conditions de vie décentes. Après, sauf pour quelques cas aberrants dus au système de calcul des allocations, il y a peu de chances qu’on indemnise tellement les chômeurs qu’ils finissent par préférer leur condition à celle de salarié. Sauf si on fixe le SMIC débilement bas !
@alcecondoc, je ne maitrise pas la definition du chomage en allemagne, donc je ne sais pas comment sont compte les exclus (je suppose que c est pour cette raison que vous mentionnez le taux d activite), mais peut on deduire de ce seul indicateur la validite d un modele economique?
Le nombre de bas revenus definis comme gagnant moins des deux tiers du revenus medians est trois fois plus eleve en allemagne qu en belgique, deux fois plus qu en france et touche plus de 15% de la population selon les stats europeenne.
Par ailleurs l esperance de vie des bas revenus allemand a baisse, pour la premier fois depuis la guerre(je ne sais pas si la definition ds l article du spiegel est la meme, mais ca fait ds tout les cas plusieurs millions de personnes).
Elle a baisse de deux ans en moyenne et quatre en ex allemagne de l est.
Enfin, le taux de chomage allemand est il du a sa politique sociale ou a sa strucuture industrielle, et au developpement des pays ex-emergents, dont la chine?
Il semble qu’il y ait des études, dans "Job Protection, Minimum Wage and
Unemployment", Cahuc et Zylberberg indiquent:
"Our computational exercises suggest that
redundancy transfers and administrative dismissal restrictions have negligeable
unemployment effects when wages are flexible or when the minimum wage is low, but a dramatic positive impact on unemployment when there is a high minimum wage."
Selon eux donc, la protection de l’emploi peut dramatiquement augmenter le chômage si le salaire minimum est trop haut. La question semble donc être: est-ce que le salaire minimum est trop haut en France ?
@alcecondoc:
Ça dépend complètement des critères qu’on retient. Par exemple, ces 10 dernières années le niveau de vie médian a stagné et le taux de pauvreté augmenté, malgré une situation de l’emploi favorable.
On peut faire mieux, non ?
Effectivement, pauvreté et inégalité ont plutôt augmenté en Allemagne, car le gouvernement allemand n’a pas mené de politique volontariste de soutien au bas revenu via un crédit d’impôt, par exemple. On peut supposer que c’est pour des raisons politiques.
Mais sa politique d’emploi est clairement un succès, et valide au passage les approches axées sur l’offre du marché du travail.
@Stéphane Ménia : votre argument sur les gens qui sont dans un CDI qui ne leur plait pas mais qui n’osent pas le quitter me parait quand même bien faiblard : en tant que salarié, c’est une situation que je n’ai jamais rencontrée dans mon entourage, contrairement au stress lié à l’insécurité de l’emploi dans les pays plus "libéraux".
Que ce soit mes amis partis travailler en Angleterre ou aux USA, tous savent bien qu’ils peuvent être virés du jour au lendemain, que ce soit parce qu’ils ne sont pas assez bons, parce que leur secteur économique traverse une mauvaise passe ou même plus simplement parce qu’ils ne s’entendent pas avec leur hiérarchie. Autant dire, de façon plus ou moins aléatoire, même s’ils sont bons et travaillent dur. Et une fois viré, retrouver un boulot payé correctement dans un délai vous permettant de payer vos traites n’est pas facile, même dans un marché fluide.
Du coup, je trouve que si on suit votre raisonnement, fluidifier le marché du travail peut permettre aux quelques-uns qui ne sont pas heureux dans leur CDI de trouver plus rapidement un autre job, mais ça se fait au prix de la sécurité de tous ceux qui sont très content de leur CDI, avec un impact important en termes de stress et aussi sur des éléments plus matériels, comme leur capacité à emprunter…
Et l’effet positif me parait d’autant plus faible que les gens qui ne se plaisent pas dans leur CDI en cherchent toujours un autre ; ils ne se contentent pas de se dire "j’ai peu de chances d’en trouver donc je ne fais rien". Du coup, ceux qui sont vraiment bloqués à leur poste sont ceux qui ne trouvent aucun autre job. Fluidifier le marché du travail permettra au mieux de réduire un peu leur temps de recherche, mais quelqu’un qui bosse dans un secteur sinistré où il faut 2 ans pour trouver un poste aujourd’hui n’en trouvera pas un dans les 2 mois demain, quelles que soient les réformes mises en place…
Réponse de Stéphane Ménia
« votre argument sur les gens qui sont dans un CDI qui ne leur plait pas mais qui n’osent pas le quitter me parait quand même bien faiblard ». Il y a des dizaines de pages écrites sur le sujet par des gens bien plus intelligents que moi. Je préfère être faiblard avec eux que brillant avec vous.
Il me semble que la théorie économique admet qu’on considère la sécurité comme un bien qui a une valeur économique non nulle. Les compagnies d’assurance vendent de la sécurité et achètent du risque.
Si on supprime les CDI on détruit donc de la richesse, puisque la sécurité est un bien économique. Les banques et les compagnies d’assurance ne manqueront pas d’en tirer les conséquences en relevant leurs tarifs et en proposant de nouveaux produits dont les consommateurs n’avaient pas besoin quand ils étaient en CDI, ce qui réduira leur pouvoir d’achat.
Les économistes proposent-ils souvent de détruire de la richesse ? Pour l’instant je ne trouve pas d’autre exemple.
Réponse de Stéphane Ménia
La peur du déclassement
La fabrique de la défiance
Bon, d’accord, quand les gens n’ont pas de CDI ils ne sont pas angoissés à l’idée de le perdre, mais franchement ce n’est pas un argument valable contre les CDI, et ceux qui proposent de le remettre en cause ne sont-ils pas les premiers responsables de l’angoisse qu’ils dénoncent ?
Quant à la note de lecture sur La fabrique de la défiance, j’ai eu l’impression que la défiance était vue comme un sentiment objectivement infondé à combattre en tant que phénomène subjectif, jusqu’au moment où je lis que la France est un des pays les plus corrompus de l’OCDE, ce qui change tout.
Toujours au sujet de la défiance, quand on veut bâtir la confiance on commence par ne pas trahir ses promesses. Les fonctionnaires se sont fait voler leurs retraites alors que c’était bien souvent dans l’espoir qu’au moins dans le public cela ne leur arriverait pas qu’ils avaient passé des concours très difficiles. Or l’État le savait, il en a profité, puis il a démantelé les maigres avantages qu’il avait fait miroiter aux candidats pour les convaincre de concourir.
Qui sait combien de temps la confiance entre l’État et ses agents en restera ruinée ? Les trahisons répétées des accords sur le maintien du pouvoir d’achat ont fait aussi beaucoup de mal.
Si on supprime leurs CDI à ceux qui en ont un, comment pourra-t-on jamais regagner leur confiance ?
La protection de l’emploi a de nombreuses externalités positives dont il faudrait peut-être aussi tenir compte. Par exemple un fonctionnaire peut se débarrasser (la plupart du temps) d’un ordre illégal simplement en en demandant la confirmation par écrit.
Si on veut éviter que le chef ordonne de resservir de la nourriture avariée il vaut mieux que les cuisinières de la cantine scolaire soient fonctionnaires municipales titulaires qu’employées en CDD de droit privé dans une société à but lucratif.
Je n’ai pas l’impression qu’Askenazy, pour sa part, soit tout à fait d’accord avec vous sur ce point là et ne semble pas éloigné de la position de Liem Hoang Ngoc :
http://www.rue89.com/rue89-eco/2...
"Créer plus de contrats précaires, diminuer le coût du travail, flexibiliser le marché du travail, abolir le smic… On ne devrait plus avoir de chômage depuis vingt ans qu’on applique les mêmes recettes.
Croire que la politique de l’emploi crée de l’emploi, c’est une erreur. Elle joue simplement sur le type d’emplois qui sont offerts aux personnes."
Pour Askenazy, la priorité n’est pas là, semble-il.
Réponse de Stéphane Ménia
Où ai-je dit que c’était une priorité ? Où ai-je dit que la réforme du marché du travail allait créer le plein emploi ? Tenez, regardez, c’est moi qui ai écrit cela : « Le fait est pour commencer que Philippe Askenazy a raison de souligner qu’il ne faut pas attendre le plein emploi d’une réforme du marché du travail ». Alors bon, hein… voilà, quoi…
En effet.
Au temps pour moi.
Jean Tirole semble lui aussi penser que la protection de l’emploi favorise le chômage, et en particulier celui de longue durée:
"il faudra bien à un moment ou à un autre, contrôler l’endettement et engager des réformes structurelles, par exemple du marché du travail. Globalement, on peut dire que l’Europe du nord est beaucoup plus flexible, elle protège moins l’emploi que la personne alors que l’Europe du sud est dans une logique totalement contraire, ce qui explique les taux de chômage très importants et surtout le chômage de longue durée."
http://www.latribune.fr/actualit...
J’imagine qu’un économiste de sa trempe doit se baser sur des études existantes, et pas sur son petit doigt.
Réponse de Stéphane Ménia
Mouai. Il y a beaucoup à dire sur votre interprétation du passage et éventuellement sur la retranscription des propos de Tirole. A mon humble avis, ce qu’il dit correspond exactement à ce que je dis. Ce qui n’est guère étonnant, puisque je fais référence à ce qu’il disait dans son rapport avec Blanchard… Ensuite, il ne faut pas confondre protection de l’emploi et flexisécurité. L’une n’est que l’un des éléments de l’autre. Et si des corrélations négatives existent entre flexisécurité et chômage, ce n’est a priori pas le cas entre protection de l’emploi et chômage.