J-P. Raffarin s’est soudainement montré très négatif dans son attitude. Il annonçait hier dans un entretien pour Nice Matin que son engagement de réduire le chômage de 10% (soit quelques 250 000 chômeurs de moins) en 2005 ne serait pas atteint, et « décalé » de quelques mois. Pour expliquer et excuser ce contre-temps, le Premier ministre a appelé au banc des accusés le prix du pétrole et évoqué un taux de croissance annuel qui devrait de ce fait osciller entre 2 et 2,5%, contre les 2,5% fermes prévus initialement par le gouvernement.
Le pétrole, évidemment ! Une hausse du prix du pétrole est récessive par plusieurs biais. Tout d’abord, dans la mesure où sa demande est inélastique aux prix à court et moyen terme (on continue à faire le plein, même quand le prix de l’essence augmente), on admet en général qu’elle transfère du pouvoir d’achat des pays consommateurs vers les pays producteurs. Ce qui est dépensé en plus pour payer le pétrole ne l’est pas pour autre chose. Ce qui est une mauvaise nouvelle pour la consommation. Côté entreprises, à l’effet keynésien d’une stagnation de la demande peut venir s’ajouter une réduction des marges, s’il est difficile de répercuter la hausse des prix de l’énergie sur les prix de vente. On notera au passage que selon le degré de concurrence des marchés, ce sont les consommateurs ou les entreprises qui paient la facture. En cas de baisse des marges, ce sont les entreprises qui supportent (au moins pour partie) les conséquences de la hausse du prix du baril. Dans tous les cas, quel que soit le partage entre les différents effets, le climat économique s’en ressent : consommateurs tendent à reporter leurs achats et les entreprises rechignent à investir et embaucher.
Il est indéniable qu’une hausse du prix du pétrole, telle qu’on la constate à l’heure actuelle n’est guère propice à une reprise de l’activité, tant elle crée d’incertitudes pour les agents économiques.
Sans parler des risques d’accélération de l’inflation – alternative à une récession, via une hausse des salaires – que la BCE aurait certainement tôt fait de juguler, la hausse des taux d’intérêt ramenant sur une pente récessioniste, plutôt qu’inflationniste.
Mais quel est l’impact chiffré d’un baril à 50 dollars ? Si l’on se fie aux prévisions de l’OFCE et d’autres organismes en la matière, on doit considérer qu’un baril durablement à 50 dollars auraient un impact récessif non négligeable en France, de l’ordre de -0,3 à -0,5% en rythme annuel. On tombe donc exactement sur les nouvelles prévisions du gouvernement en matière de croissance, autour de 2%.
Pour autant, le pétrole est-il une excuse vraiment valable ? Au sujet des Etats Unis, où la croissance a été de 4,4% en 2004 et les prévisions pour 2005 tablent initialement sur 3,3%, l’OCDE écrit en février 2005 que « L’économie devrait continuer de connaître un rythme de croissance supérieur au potentiel, mais une nouvelle augmentation durable des prix de l’énergie, un accès de faiblesse du marché du travail ou une hausse plus forte que prévu des taux d’intérêt à long terme compromettraient ces prévisions ». Là aussi, donc, un prix élevé de l’énergie est craint. Mais, nul ne semble s’alarmer outre mesure. Puisqu’on en est aux chiffres, rappelons le 2,4% de croissance de 2004 en France, qui a débouché in fine sur une hausse du chômage. Comme quoi, rien n’est acquis…
La situation des Etats Unis à l’égard du pétrole est contrastée : très dépendant de cette énergie, ils produisent néanmoins une part non négligeable de ce qu’ils consomment (40%). Globalement, la dépendance américaine est plus élevée qu’en France (notamment du fait de la politique énergétique orientée nucléaire). Ajoutons au passage que la hausse de la facture pétrolière française est quelque peu atténuée ces temps-ci par un euro fort (elle est en tout cas moins douloureuse que ce qu’elle eut été il y a cinq ou six ans). Et, même si on peut discuter des retombées réelles sur l’économie française de cet aspect des choses, la hausse des revenus des pays pétroliers se traduit par une demande adressée aux pays consommateurs elle aussi en hausse. Même Greenspan a considéré en mars dernier que cette hausse n’était à son sens qu’un souci mineur. De fait, en termes réels, il n’est pas sérieux de comparer le « choc » actuel à ceux des années 1973 ou 1979.
Reste, me direz vous, les faits : au voisinage de 2% de croissance, une baisse de 0,4 ou 0,5 points est ennuyeuse pour l’emploi (dans une optique de loi d’Okun, c’est dans ce voisinage que se stabilise le chômage).
Actuellement, les nouvelles prévisions du gouvernement ne sont pas connues, Raffarin et Copé s’étant contentés de signaler que la baise de 10% ne serait pas atteinte, mais qu’il resterait une baisse « significative ». Selon les ASSEDIC, le nombre de demandeurs d’emploi devrait baisser de 120 000 en 2005 (mon chiffre est sujet à caution, je cite de mémoire). Ce qui signifie que le pétrole serait responsable d’un déficit net d’environ 130 000 emplois. Ce chiffre a un caractère dérisoire, car au fond, si une hausse du prix du pétrole, aussi importante soit-elle, peut mettre à mal la stratégie du gouvernement, pendant que de nombreux autres pays semblent ne pas s’en émouvoir plus que ça, c’est qu’il y a un problème.
Ce problème est simple : le prix du pétrole n’est qu’un des éléments macroéconomiques qui influent sur l’emploi. Comme le mentionne par exemple cet article de Libération en se limitant à des aspects très conjocnturels, « L’environnement international est peu porteur : le reste du monde, et en particulier les Etats-Unis, devrait connaître une année moins faste qu’en 2004. Le PIB de l’Allemagne et de l’Italie, où la consommation est en panne, pourrait ne croître que de 1,5 %. L’Insee prédit aussi l’essoufflement des dispositifs de soutien à la consommation. En 2004, Sarkozy avait injecté près de 15 milliards d’euros dans l’économie. L’effet du déblocage de la participation annoncé par Thierry Breton et Jean-Pierre Raffarin ne sera pas aussi important ».
En résumé, il est légitime de se demander si lorsque le Premier ministre s’est engagé à réduire le chômage de 10% en 2005, il ne s’est tout simplement pas engagé à tirer à pile ou face sur les prévisions de l’époque. Le résultat est regrettable. En premier lieu, il laisse supposer que la politique de l’emploi du gouvernement n’est que paroles. Que l’on croit ou non à la portée des mesures structurelles envisagées par le gouvernement, on doit s’accorder sur au moins un point : des mesures structurelles, bonnes ou mauvaises, ne peuvent se juger en un an. Pourquoi se réfugier derrière le pétrole ? Probablement parce qu’en matière de chômage, le gouvernement a déjà tout essayé… pour faire croire qu’il fallait attendre. Et après trois ans d’attente, il devient compliqué de demander encore de la patience. Pour le coup, c’est une mauvaise excuse. D’autant que ce « c’est la faute du pétrole » ne manquera pas de rappeler un « c’est à cause de Bruxelles » si souvent répété et qui doit être momentanément oublié, pour cause de référendum. L’autre aspect détestable de ces déclarations réside dans le signal fortement négatif qu’il adresse au public. Certes, personne n’a attendu le 10 ou 11 avril pour constater que le carburant coûte plus cher. Mais quid d’une telle annonce sur les anticipations des ménages et entreprises ? Autant les gesticulations « positivantes » ont toutes les chances d’être reçues avec la crédibilité qu’elles méritent, autant, dans un contexte peu joyeux, l’officialisation des mauvaises nouvelles en signe d’impuissance peut être prise au sérieux. Bien sûr, nul ne saura si cette sortie aura un impact mesurable sur les anticipations. Mais était-ce bien habile ?