L’histoire du DRH qui était nul en économie

110 euros en Roumanie, vous vous rappelez ?

[27/04/2005] STRASBOURG (AP) – “Le chômage ou un poste en Roumanie payé 110 euros brut par mois pour 40 heures de travail hebdomadaire, c’est ce qu’une entreprise alsacienne propose à neuf de ses salariés.”
Tous les détails ici.

La théorie du commerce international peut-elle prédire que la concurrence enverra des salariés non qualifiés français en Roumanie ? Pas du tout. Oui, mais pourtant, allez vous répondre, elle prévoit bien que les salaires des deux pays peuvent se rapprocher du fait de l’ouverture de l’économie. Absolument. Sauf que le mécanisme est extrêmement différent.

Dans la version d’origine de la construction HOS, hors de question d’envoyer un salarié qui gagne beaucoup dans un pays où il gagnera peu. Evident d’après le bon sens, ça l’est tout autant dans le modèle, puisque son hypothèse de base est que les facteurs (capital et travail) sont immobiles… Ce sont les biens qui se déplacent, pas les facteurs. Rappelons que ce modèle date de 1941.

Dans cette logique, si les salaires des travailleurs non qualifiés baissent en France, c’est parce que le bien qu’ils fabriquent est moins produit en France du fait de la spécialisation dans les biens à fort contenu en travail qualifié. La demande de travail non qualifié est plus faible, ce qui réduit le salaire à offre de travail constante (pour être exact, la spécialisation n’est pas complète, la production subsiste). Simultanément, comme la demande de biens contenant du travail non qualifié croît en Roumanie, la demande de travail non qualifié croît en Roumanie. Le salaire des travailleurs non qualifiés croît en Roumanie, toute choses égales par ailleurs. Ce qui de fait conduit à un rapprochement des salaires.

Que se passe-t-il en cas de délocalisation du capital dans le secteur à fort contenu en travail peu qualifié ? La même chose que précédemment pour les salariés non qualifiés en France. La demande qui s’adresse à eux baisse. Leur salaire aussi.

Les salariés français ont-ils intérêt à partir en Roumanie pour suivre leur usine ? C’est possible. Si le rendement du capital est extrêmement plus élevé en Roumanie (du fait par exemple d’une taxation du capital très élevée en France), que les possibilités de substitution du capital au travail sont faibles en Roumanie et que la hausse de la demande de travail non qualifié en Roumanie est telle que le salaire roumain augmente au point de devenir supérieur au salaire français, alors il est intéressant de partir travailler en Roumanie.

Cela pose un problème d’approche théorique : on n’est plus du tout dans les hypothèses standard du modèle auquel on se référait, concernant notamment la substituabilité du travail non qualifié et du capital. Passons. Quand on envisage une complémentarité entre facteurs, on suppose en général que le capital est complémentaire avec le travail qualifié et substituable avec le travail non qualifié. Ici, on suppose que travail non qualifié et capital serait complémentaire. Dur à tenir.

Ensuite, empiriquement, le rendement du capital n’est pas à ce point élevé en Roumanie pour qu’une entreprise française s’installe en Roumanie, y paie les salariés plus qu’en France et dégage un profit supérieur en produisant en Roumanie.

Bien sûr, une hypothèse qui a été conservée jusqu’ici est que les salaires sont flexibles en France et qu’on est donc toujours au plein emploi. Or, le chômage est justement le problème qui se pose au travailleur français que l’on veut reclasser en Roumanie. Incapable de trouver un emploi à un salaire suffisamment faible pour travailler en France, le salarié pourrait partir en Roumanie. Il ne le fera pas si en France, il bénéficie dans un premier temps des allocations-chômage, puis du RMI et que ces revenus de substitution sont supérieurs au salaire proposé en Roumanie.

Tout ça en correction de pouvoir d’achat. Bien sûr… Mouai, eh ben moi ça me gêne la PPA avec la Roumanie. Dans notre panier, il va manquer un paquet de trucs que le travailleur français pourrait obtenir ici (et sans même parler de ceux qu’il obtient gratuitement ici). Passons…

Mais oui, je sais… 110 euros. J’aurais pu commencé par ça et plier l’affaire. Et, effectivement, c’eût été suffisant. Mais, mettons de côté un instant l’aspect scandaleux de la situation. Si on se demande simplement si une économie où biens et facteurs circulent librement peut aboutir à une situation où un salarié non qualifié français partira en Roumanie pour 110 euros par mois, on aboutit à une conclusion simple : ce n’est pas possible. Et, non, je n’ai pas envisagé la possibilité qu’un travailleur(se) tombant fou (folle) amoureux(se) d’un ressortissant roumain parte par amour. C’est pas mes affaires ça.

Conclusion : en plus de tout, ce DRH était vraiment pas très fort en économie