La malédiction des Jeux Olympiques

Il faut se faire à cette terrifiante perspective: dans 6 jours, il est fort probable que Paris obtienne l’organisation des Jeux Olympiques 2012.

Je ne suis pas hostile aux évènements sportifs, bien au contraire. Je suis simplement certain d’une chose : l’organisation de ces jeux olympiques coutera infiniment beaucoup plus qu’elle ne rapportera. En tant que spectateur, le spectacle sportif me réjouit : en tant que contribuable, je pense que l’on va à cette occasion dépenser mon argent d’une manière parfaitement ruineuse.
En voici la raison. Que rapporte aux organisateurs le fait d’organiser des Jeux Olympiques? La réponse est “on ne sait pas”. La plupart du temps, les jeux ont coûté énormément plus qu’ils n’ont rapporté. Cet article du dernier Time Magazine nous offre quelques exemples : les stades à moitié vides des JO d’Athènes ont considérablement ponctionné les budgets publics, contribuant largement au déficit public grec, égal à 6% du PIB. Et une bonne partie des équipements construits à cette occasion ne seront jamais plus utilisés. L’exemple le plus frappant est probablement celui des Québécois, qui paient encore (près de 30 ans après) l’organisation des JO de Montreal en 1976.
Malgré cela, les villes continuent de se bousculer et de rivaliser de programmes somptuaires pour obtenir l’organisation des Jeux… et se retrouvent finalement lourdement endettées pour des gains dérisoires. L’analyse économique dispose de moyens pour comprendre ce phénomène : il s’appelle la malédiction du vainqueur.
Supposez que vous participiez à une vente aux enchères. Il existe un prix maximum que vous êtes prêt à payer pour obtenir un objet vendu. Dans ce cas, le comportement rationnel consiste à surenchérir jusqueà ce que votre disposition à payer soit atteinte. Si vous êtes le dernier enchérisseur, tant mieux pour vous : si quelqu’un surenchérit sur vous, il avait probablement plus envie que vous de cet objet et vous n’avez aucun regret à avoir.
Mais supposez maintenant que les enchérisseurs n’aient pas la moindre idée de la valeur intrinsèque de l’objet vendu. Quel comportement doivent-ils tenir? Tant que quelqu’un enchérit, j’ai intérêt à surenchérir : en effet, si mon voisin annonce qu’il est prêt à payer 100 pour obtenir cet objet, je sais que sa disposition à payer est supérieure ou égale à 100 : cela m’apporte une information sur la valeur de revente potentielle de l’objet. J’ai donc intérêt à surenchérir. Mais si l’on suit ce raisonnement, quand personne ne me surenchérira dessus, je me retrouverais avec un objet pour lequel personne n’est disposé à payer plus que ce que j’ai payé. Je vais donc me retrouver avec un objet qui vaut moins que ce que j’ai payé. C’est ce que les économistes appellent la malédiction du vainqueur.

Or le processus pour l’obtention de l’organisation des JO est fait pour générer la malédiction du vainqueur. Tant que je sais qu’une ville concurrente est prête à faire plus d’efforts que ma ville pour obtenir les jeux, je dois supposer que ce concurrent dispose d’une information qui lui laisse à penser que le fait d’organiser les jeux lui rapportera plus que ce qu’il dépense; je dois donc surenchérir. Sauf qu’en réalité, mon concurrent n’a pas plus d’informations que moi sur ce que rapporterait l’organisation des Jeux : Me voyant surenchérir, il va penser que c’est moi qui sait mieux que lui ce que les Jeux peuvent rapporter : il va donc surenchérir. Nous allons donc nous lancer dans une spirale d’enchères et de surenchères, qui ne s’arrêtera que lorsqu’il sera évident pour tout le monde – sauf pour le gagnant – que le prix est trop élevé. Constatant que plus personne ne surenchérit sur lui, le pays organisateur saura alors qu’il a gagné une organisation des Jeux à un tel prix que plus personne d’autre n’en voulait. Et qu’il paie donc trop cher.
Il faut noter que le CIO joue à merveille de ce mécanisme pour obtenir des avantages des villes organisatrices : alors par exemple que la candidature de Pékin pour 2008 était largement acquise, le CIO a fait durer le suspens, multiplié les annonces ambigues, pour inciter d’autres villes candidates à redoubler de promesses et ainsi obtenir plus de dépenses de Pékin. Pour l’organisation des jeux de 2012, il n’y avait pas de favori clairement prédéfini : cela a poussé les enchères à des niveaux sans équivalent. A New York, des économistes ont même signé une pétition demandant à la ville de renoncer à sa candidature : eux connaissent l’analyse économique des enchères et de la malédiction du vainqueur.

On va me dire que j’exagère : pourtant, comment expliquer autrement que toutes les organisations de Jeux Olympiques, à une exception près, aient coûté plus qu’elles ne rapportaient aux organisateurs? Il y a une seule exception : Les JO de Los Angeles, mais l’explication est simple : comme Los Angeles était la seule ville en lice pour l’organisation des jeux de 1984, la ville a pu obtenir du CIO des avantages léonins. Instruit par cette expérience, le CIO sait désormais très bien user de la procédure d’obtention pour faire payer le prix fort aux villes organisatrices. On pourra me dire aussi que l’organisation des Jeux a toute une série d’avantages indirects. C’est exact : dans le cas d’Athènes, par exemple, cela a été l’occasion de lancer des programmes de travaux publics d’infrastructures qui resteront, et n’auraient pas été fait sans cela (c’est un avantage indirect dont a également bénéficié Barcelone en son temps). Pour certaines villes, l’organisation des Jeux est un facteur de notoriété (Sydney a bénéficié de tels avantages indirects). Il n’est pas certain cependant que ces avantages contrebalancent les coûts. Dans le cas de Paris ou de Londres, on ne peut pas dire que ces villes manquent de notoriété ou d’infrastructures sportives. Celle de ces villes qui l’emportera (et il y a hélas de grosses chances pour que ce soit Paris) ne l’emportera pas au paradis.
Mais allons, me dira-t-on : ça crée des emplois. Je ne peux que répéter le théorême de base du discours économique : toute phrase justifiant une dépense quelconque par “ça crée des emplois” est une ânerie. En la matière, les “emplois” créés seront détruits ailleurs en France par les impôts lourds qu’il faudra supporter pour “l’amour des jeux”.

La France fait en ce moment la preuve d’un authentique génie pour remporter des “victoires” se traduisant en malédiction du vainqueur. Les JO arrivent coup sur coup après la grande victoire d’ITER, qui étant données les contraintes léonines qu’il a fallu consentir aux japonais laisse supposer que nous avons consenti jusqu’au point ou nous avons plus à perdre qu’à gagner dans l’affaire. Le fait que dans cette situation nous avions à enchérir pour un gain aléatoire (personne ne sait ce que cette technologie peut rapporter) et que nous y tenions beaucoup pour des raisons prestigieuses était le scénario idéal pour une enchère à malédiction du vainqueur. Le grec n’est plus à la mode dans l’éducation nationale; il serait pourtant bon de méditer cette phrase du roi Pyrrhus : encore quelques victoires comme celle-là, et nous sommes tous morts.

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Alexandre Delaigue

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