Economie et autres sciences sociales ( 1 ) : pour la socio, j’ai pas eu à trop me fatiguer…

Cela fait déjà un certain temps que sur notre site nous affirmons la vitalité, pour ainsi dire retrouvée, de la théorie économique. Plus exactement, nous prétendons, que le diagnostic d’impuissance, de stérilité, voire de dogmatisme crétin de la théorie standard est une incompréhension de ce qui se passe depuis quelques années (une dizaine pour situer approximativement le mouvement).

Au coeur de notre argument est l’idée que la théorie néoclassique autorise une remarquable variété de pratiques méthodologiques dérivées et exploratoires. Un terme qui revient souvent à la lecture des documents discutant l’état de la science économique est celui de “foisonnement” des directions de recherche. Il y a de cela quelques temps,j’avais évoqué sur ce blog quelques explorations de nouveaux territoires en économie.J’avais promis d’y revenir pour écrire une petite synthèse sur la question. Ce n’est pas une mince affaire et j’appréhendais quelque peu l’affaire, dans la mesure où beaucoup de notions à aborder me sont à peine familières. Difficile dans ce cas de rédiger un texte de fond sur le sujet. Par chance, je suis tombé très récemment sur un article de Jérôme Gautié (auquel j’ai déjà consacré un billet, à propos d’un article sur la protection de l’emploi). Intitulé “Les développements récents de l’économie standard face à la sociologie : vers un nouvel impérialisme ?”, il correspond exactement à ce que je souhaitais écrire sur le sujet, avec bien évidemment un niveau largement supérieur à ce à quoi j’aurais pu prétendre. Je me propose donc d’en présenter ici quelques grandes lignes et vous encourage vivement à le lire, si les liens entre sociologie et économie vous intéressent. Il couvre un large éventail des nouvelles approches qui sont en cours dans de développpement. Revenant aux origines du débat de façon détaillée, il est abordable par un large public. Sa bibliographie est par ailleurs très riche et propre à ouvrir la voie à des lectures d’approfondissement.

Dans l’introduction de son papier, Gautié résume très bien les deus aspects fondamentaux de ce qui est en train de se passer.
1 – De nouvelles formes de modèles sont développées, recourant à des structures importées d’autres disciplines (théorie des jeux, évidemment ; mais aussi biologie ou physique statistique – voir Durlauf par exemple). De nouveaux concepts apparaissent (voir le “capital social”, initialement utilisé en sociologie). La place de certaines pratiques habituellement peu usitées en économie (enquêtes et expérimentation) va croissante. Les travaux empiriques gagnent en “puissance” au fur et à mesure que des bases de données individuelles se constituent et que l’économétrie raffine ses pratiques. Bref, sur toutes les dimensions de la recherche, la nouveauté est à l’ordre du jour.
2 – En ouvrant ce que Gautié appelle une “boîte de Pandore” (i.e. les insuffisances ou anomalies du paradigme standard), ces travaux ont deux conséquences notables. En premier lieu, en partant un peu dans tous les sens, ils empêchent notoirement de penser cette profusion sous la forme d’un cadre commun évident. En second lieu, si c’est bien dans la mouvance de l’économie néoclassique qu’a lieu la manoeuvre, elle finit par questionner le modèle canonique (c’est-à-dire le modèle Arrow-Debreu) et ses deux piliers, l’homo economicus et le marché.

Avec ces deux constats, longuement illustrés dans la suite de l’article, on peut d’ores et déjà tirer une conclusion forte : l’économie n’est pas la discipline figée, recroquevillée sur elle même et monolithique telle qu’elle est souvent faussement décrite. La lecture de l’article est extrêmement éclairante sur ce point, dans la mesure où, même dans ce moment d’ouverture aux frontières, les débats sont intenses (entre ce que Gautié convient de nommer schématiquement les “post-beckeriens” et les “anti-beckeriens”). Ensuite, comme le titre de l’article le suggère, la question se pose de savoir si ces avancées traduisent une nouvelle dynamique impérialiste de l’économie sur les autres sciences sociales, au premier rang desquelles se situe la sociologie.

Je ne m’étendrai pas plus sur le contenu de l’article. On notera la démarche de l’auteur telle qu’il la présente : “cette revue sera orientée par une question qui nous servira de fil directeur : en quoi ces développements récents de l’économie contribuent-ils à remodeler les frontières, ou du moins les termes du débat, entre cette discipline et les autres sciences sociales, et en premier lieu la sociologie ?”

En dehors de la sociologie, les rapports de la science économique et de la science politique sont un autre thème à aborder. Dans un prochain article, je me pencherai sur le contenu de ce que l’on nomme “nouvelle économie politique” ou simplement “économie politique”. En attendant, bonne lecture.

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