Zimbabwe 2007; Venezuela 20.. ?

Cette semaine, le Zimbabwe était officiellement en fête, pour célébrer le 83ème anniversaire du président Mugabe, en place depuis 1980. Les festivités resteront pourtant bien limitées par l’incroyable effondrement économique que connaît le pays. Le record du monde de l’inflation, de l’ordre actuellement de 1600% par an, et prévue à 5000% d’ici la fin de l’année. Une population vivant au bord de la famine, dont le nombre d’habitants a baissé d’un tiers en une décennie. Le “modèle Zimbabwéen” illustre assez bien ce que les économistes savent en matière de développement et de croissance : S’ils ne savent pas très bien comment le gouvernement peut favoriser la croissance, ils ont par contre une assez bonne idée de la façon dont un gouvernement peut détruire définitivement celle-ci.

En 1997, dans the accidental theorist, Paul Krugman utilisait l’exemple du Zimbabwe pour montrer comment la mondialisation pouvait favoriser la croissance et le développement dans les pays très pauvres. Et il est vrai qu’à l’époque, le cas du Zimbabwe montrait que l’abaissement des coûts de transport et des barrières douanières favorisait des échanges bénéficiant aux pays pauvres. Du fait de sa position dans l’hémisphère Sud, le Zimbabwe était devenu un important fournisseur de fruits et légumes hors saison pour la Grande-Bretagne. Chaque jour, des avions-cargos chargeaient des produits frais depuis l’aéroport d’Harare, qui étaient vendus peu après sur les marchés londoniens. Au Zimbabwe, l’essor de cette activité avait accru les salaires des ouvriers agricoles et créé de nombreux emplois dans les activités logistiques. Ces activités bénéficiaient aussi largement aux propriétaires des terres agricoles, souvent des fermiers blancs ayant conservé leur patrimoine issu de l’ex-Rodhésie au moment ou le pouvoir politique avait été redistribué en faveur des noirs. En élevant les bas salaires, la mondialisation offrait la possibilité pour les pauvres de bénéficier de la croissance.

Mais cette situation ne devait pas durer. En 1999, le gouvernement Zimbabwéen, rompant le modus vivendi avec les propriétaires terriens, entreprenait une “réforme agraire” de grande ampleur visant à chasser, par la force éventuellement, les propriétaires de leurs terres. Celles-ci ont été redistribuées à des proches du pouvoir sans compétences, provoquant un effondrement de la productivité. Dès lors, allait se mettre en place le nouveau modèle économique Zimbabwéen.

S’intégrer dans l’économie mondiale a ses exigences; pour le président Mugabe, ces exigences revenaient à laisser les “forces aveugles du marché” mener un “assaut frontal et vicieux contre les pauvres” en “réduisant le pouvoir de l’état dans la sphère publique, pour le bénéfice des grandes entreprises”. Contre l’orthodoxie dominante qui exige des gouvernements des pays pauvres des finances équilibrées, le Zimbabwe s’est mis à connaître des déficits publics supérieurs à 10% du PIB. Joint à la chute de la productivité agricole, cela a provoqué une inflation considérable, contre laquelle le gouvernement a mis en place un contrôle des prix.

Dès sa première année de formation, un étudiant en économie connaît l’effet de l’établissement de prix plafonds : des magasins vides et un effondrement de la production; et le développement d’un marché noir sur lequel des prix largement supérieurs aux prix officiels sont pratiqués. Les commerçants du pays ont cherché par tous les moyens à échapper au système de contrôle des prix (par exemple, en mettant des grains de raisin dans le pain, pour vendre du “pain au raisin” plus cher). Le gouvernement, condamnant les “spéculateurs” s’est mis à les menacer de peines de prison, à envoyer des milices pour les punir, et a imposé des prix plafonnés dans tous les secteurs d’activité. Résultat : la seule chose que l’on pouvait trouver dans les magasins au Zimbabwe était… le papier-toilette.

Le taux de change officiel a été bloqué à un niveau artificiellement haut, les changeurs officieux traités officiellement de “saboteurs” (et traités comme tels) pour simplement adopter un taux de change plus réaliste. Le taux de change artificiellement haut a servi à voler les exportateurs, obligés de changer les devises étrangères issues de leurs ventes au taux officiel totalement fantaisiste. Les banques du pays ont été obligées d’acheter la dette publique à un taux préférentiel, les poussant à la ruine. Les récoltes sont confisquées et revendues via un monopole public des grains. La dernière idée du gouvernement a été de nationaliser les dernières mines de diamant du pays. Le tout dans une corruption généralisée, qui bénéficie à quelques proches du régime pendant que la population survit à peine. Un adulte sur cinq est touché par le Sida, et 500 par jour meurent de cette maladie.

Fuyant ces conditions économiques et la répression d’un gouvernement qui, craignant l’opposition, détruit des logements par centaines de milliers dans les villes pour chasser les habitants vers des campagnes encore plus misérables, voire détruit des communautés entières, 4 millions d’habitants du pays ont fui vers l’étranger (l’Afrique du Sud le plus souvent), pour l’essentiel la population active; le pays contient désormais surtout des femmes, des enfants et des vieillards que ceux qui sont partis cherchent à aider en envoyant de l’argent par des canaux informels. Comme le gouvernement a besoin de devises, tous les bureaux de change ont été fermés, le seul circuit officiel possible est la banque centrale qui dérobe au passage l’essentiel de l’argent envoyé. A chaque problème, le gouvernement a une solution contraignante qui amplifie le mal. Il y a des pénuries alimentaires? On saisit les récoltes pour en obliger la vente à prix cassé par un monopole public, encourageant la corruption et décourageant les fermiers. La production agricole s’effondre faute de ressources? Le gouvernement vend aux fermiers de l’essence en dessous de son coût, que ces derniers s’empressent de revendre au marché noir. La population tente de survivre avec un salaire mensuel moyen dont le pouvoir d’achat s’effondre du fait de l’inflation : il permet à peine d’acheter une paire de chaussures. Ce salaire reste de toute façon théorique, dans la mesure où les trois quarts des habitants sont sans emploi. La répression politique fait qu’il n’y a guère d’espoir de voir les circonstances changer. Depuis 2000, le PIB du pays a été divisé par 5, soit autant qu’en France entre 1940 et 1945.

La catastrophe économique du Zimbabwe n’a rien de surprenant, étant le résultat direct de politiques dont les effets sont connus. Lorsqu’une telle catastrophe survient, on espère en général que des leçons en seront tirées; mais c’est hélas fort douteux. Les mauvaises politiques ont ceci de déprimant qu’elles exercent un attrait éternel sur les démagogues de tout poil.

Par exemple, au Venezuela. Comme Mugabe, son président Hugo Chavez ne manque jamais une occasion de lancer une diatribe contre les odieuses multinationales, la mondialisation et les marchés. Et lui aussi, après avoir consolidé son pouvoir, a la possibilité de mettre ses actes en accord avec ses paroles. Un mélange de dutch disease provoquée par la hausse du prix du pétrole jointe à des deficits publics considérables provoque de l’inflation; la réponse du gouvernement est de mettre en place des prix plafonnés.

Les prix plafonnés ont la conséquence qu’ils ont toujours : une pénurie de produits de base, jointe à l’apparition d’un marché noir. Bien évidemment, le gouvernement blâme les “spéculateurs” qui dissimulent des stocks, met en place des numéros de téléphone pour les dénoncer. Le président menace même de nationaliser les supermarchés, après l’avoir fait pour les télécommunications et la production d’énergie.

Le gouvernement mène sa politique en hypothéquant l’avenir. Pour la première fois depuis 1986, l’investissement direct étranger a été négatif vers le pays, traduisant notamment les réticences des compagnies pétrolières à investir, ce qui risque de réduire à terme la production. Le gouvernement a même pillé les réserves de la banque centrale du pays à hauteur de 580 millions de dollars (via Alea). On me rétorquera que c’est le prix à payer pour une politique de lutte contre la pauvreté; c’est oublier que le Venezuela est un pays pétrolier dont la croissance a toujours été liée au cours du pétrole, et dans lequel il n’est pas nouveau de voir la pauvreté baisser (elle avait baissé de façon plus importante dans les années 90). Les politiques du gouvernement consistent surtout en un vaste clientélisme qui sert à consolider le pouvoir présidentiel.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’économie venezuelienne devrait – sauf changement majeur de politiques qui paraît peu probable – connaître le même genre de destinée que celle du Zimbabwe : un effondrement brutal. Il y aura peut-être des gens pour venir expliquer dans les commentaires ci-dessous que cette fois c’est différent, que l’expérience va fonctionner. Qu’ils se souviennent que “cette fois c’est différent” est la phrase qui en matière économique a toujours eu les conséquences les plus coûteuses.

La seule question qui vaille, c’est pourquoi, alors que les conséquences sont expérimentées et connues ad nauseam, de telles politiques sont toujours menées, sous les applaudissements nourris de l’extérieur. Car le gouvernement Mugabe ne manque pas de soutiens, à commencer par le gouvernement sud-africain dont certains proches souhaiteraient que la politique d’expropriation des blancs soit imitée en Afrique du Sud. Hugo Chavez suscite pour sa part de multiples admirateurs de son anti-américanisme et de ses discours à l’emporte-pièce. Cette fascination toujours renouvelée pour les fauteurs de catastrophes est atterrante.

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Alexandre Delaigue

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7 Commentaires

  1. Il me semble que Mugabe a relancé la politique d’expropriation des fermiers blancs dès 1997. Il faisait face à un mouvement de contestation de plus en plus virulent, et a peut-être tenté de remonter sa cote de popularité par ce moyen. Les résultats sur l’économie sont visibles dès 1998 sur cette animation :
    tools.google.com/gapminde…

    Il faut cliquer sur Zimbabwe et Botswana afin de comparer leur évolution. L’épidémie de Sida a abaissé l’espérance de vie de 60 à 35 ans dans les deux pays, mais l’économie du Botswana continue de croître tandis que celle du Zimbabwe s’effondre à partir de 1998. Que dire…?

  2. Puis-je vous suggérer de publier cet article sur Agoravox ?
    Car 1) il est intérressant et pédagogique.
    2) Sur agoravox le parrallèle des politiques Mugabe/chavez va faire troller (ça peut être drôle) mais surtout donner quelques fondamentaux économiques réels a certains lecteurs qui se laissent avoir par les quelques articles faux qui y passent parfois.

    Merci du compliment et de la suggestion mais je crois que je vais passer. Il fut un temps ou aller provoquer une discussion enflammée attirant les trolls m’aurait amusé, c’est moins le cas maintenant. Et je ne suis pas entièrement convaincu par le principe agoravox.

  3. N’oubliez pas Kirchner en Argentine. Un pays aux banqueroutes récurrentes depuis son indépendance.

    Toute une partie du monde est orpheline de la guerre froide, des rentes qu’elle leur apportait et des beaux combats idéologiques confortables. Alors des intellectuels confortablement installés dans des pays riches encouragent des pauvres a faire le contraire de ce que tout le monde sait nécessaire, juste pour se donner une raison d’espérer que cette fois ci, le Capitalisme ou les Américains, ou le Libéralisme, ou le Nord, ou l’Ouest, ou le Père Noël en prendront plein la gueule. Envoyer les autres se faire tuer avec bonne conscience.

    Je me souviens encore d’une tribune du Monde ou une brave dame dont j’ai heureusement oublié le nom expliquait que l’homme Africain allait sauver le monde du Capitalisme, par imperméabilité culturelle ou quelque chose comme ca. Comme si le Capitalisme se souciait de l’Afrique et tremblait dans ses bottes.

    Tout les jours, malgré mon athéisme, je remercie Dieu de vivre dans un pays que ses anciens ont doté de traditions et d’institutions qui nous préservent de ce genre de stupidité, malgré des tentations fortes de réinventer la roue dans certains quartiers de l’échiquier politique.

    Et je Le remercie aussi de nous avoir donné les Anglais, Allemands, Danois, et autres peuples a la démocratie ancienne et/ou mieux affirmée que la notre comme voisins.

  4. Il y a une forme d’africanisation de l’Amérique latine qui me laisse pantois. La virée tout à (l’extême) gauche ( quel qu’en soit les moteurs) d’une bonne part des pays latino-américains risque de les ramener au moyen age. Le problème avec le populisme c’est qu’il laisse des traces bien après son passage… D’ici à ce que le Chavezland n’ai plus de pétrole les dégâts seront faramineux. Entre populisme de droite et de gauche, il ne sont pas sorti de l’auberge…

    Je vois ce que vous voulez dire par là mais je n’aime pas la généralisation que sous-entend le terme “d’africanisation”. Parce que de la même façon qu’il y a des réalités multiples en Amérique Latine (tout le monde n’y suit pas, loin de là, le modèle vénézuelien), l’Afrique n’est pas seulement ce continent de despotes ineptes, de massacres ethniques et de misère que les journalistes et les commentateurs aiment tant regarder avec commisération.
    L’Afrique est aussi un continent contenant les pays ayant connu depuis des années les plus fortes croissances du monde; dans lequel la fin des liens post-coloniaux, l’arrivée des investisseurs asiatiques (qui n’ont pas les préventions européennes et américaines vis à vis des africains et ne les considèrent pas comme d’incorrigibles improductifs) offrent de grandes perspectives. L’Afrique change, et cela rend d’autant plus insupportables des gens comme Mugabe.

  5. >Les politiques du gouvernement consistent surtout en un vaste clientélisme…

    C’est sur que celui d’avant Chavez etait un modèle de démocratie transparente, participative et reditributeur de richesse. Et qui, surtout, offrait aux médias une indépendance totale… ("ad nauseum" dites-vous ? hum…)

    Oui. On pourrait noter aussi que le régime raciste et policier de Ian Smith qui prévalait en Rodhésie avant Mugabe n’avait rien de particulièrement attrayant. En quoi, exactement, cela constitue-t-il une excuse pour ravager l’économie et la société?

  6. Juste un mot pour signaler un article du dernier numéro de Courrier International (n°851 / p.23 / la VANGUARDIA) : "En attendant la révolution, la pénurie". Le journaliste Joaquim Ibarz termine ainsi : "Après trois ans de contrôle des prix, deux ans sans changer le taux du dollar et l’instauration de la distribution d’aliments subventionnés, le Venezuela a terminé 2006 avec une inflation de 17 %, la plus élevée de toute l’Amérique latine. Le prix des aliments échappe à tout contrôle : il a augmenté de 4 % en janvier, et de 31,1 % en un an".
    En bref, Mugabe et Chavez agissent en Europe et en Amérique du nord comme des produits de substitution pour des ex-drogués, inconsolables de la disparition du bloc soviétique… Mais – pour être volontairement provocateur – les deux hommes ne jouent-ils pas "franc-jeu", au contraire de hiérarques hypocrites de Pékin ou de Hanoï ?

  7. rédiger c’est trahir un peu la pensée…
    Je souscris complètement à votre correction. J’ai voulu mettre en peu de mots ce qui aurai mérité plus de temps et de place. Mea maxima culpa
    Dès lors: ‘Lorsque je regarde l’évolution des pays sud-américain ayant lorgné vers des lendemains révolutionnaires, je me dis qu’il me rappelle l’avènement de dictateurs dans certain pays d’Afrique.Ces pays seront ensuite pris dans une spirale de la misère difficile à enrayer ‘
    En tout état de cause, loin de moi l’envie de stigmatiser l’Afrique comme un tout homogène et vitrine des maux de la terre. Le centre de mon propos aurait du être l’existence de richesses naturelles énorme dans les deux cas et de l’utilisation douteuse qui en est faite. Un élargissement de la malédiction pétrolière…
    Pour Mugabe, les grande fêtes sont souvent un signe de fin de règne.

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