La tâche semblait irréalisable : New York est une ville immense contenant une quantité énorme de points de rendez-vous potentiels. Pourtant elle a été très aisément résolue : une large majorité des étudiants a déclaré qu’ils se rendraient à la gare centrale, au guichet d’information. Schelling corsa alors un peu la difficulté, en indiquant aux élèves qu’en plus, ils ne connaissent pas l’heure à laquelle ils sont sensés se rencontrer. Cela ne les troubla pas, au contraire : pratiquement tous déclarèrent alors qu’ils iraient au guichet d’information de la gare centrale à midi. Alors que la tâche de se coordonner semblait insoluble, ces étudiants adoptaient par réflexe des conventions très efficaces : Si l’on avait déposé deux d’entre eux, sans téléphone, aux deux extrémités de New York avec pour objectif de se rencontrer, ils auraient eu de très bonnes chances de se retrouver pour déjeuner.
Cette forme de coordination par des conventions intuitives se retrouve très souvent, et Schelling a identifié de nombreuses conventions de ce type (que les économistes appellent depuis “points focaux de Schelling”). Par exemple, lorsqu’il disposait 16 boîtes dans un carré de 4 boîtes de côté, demandait aux étudiants d’en ouvrir une, en leur indiquant qu’ils seraient payés s’ils ouvraient tous la même, la majorité d’entre eux ouvrait la boîte située en haut à gauche du carré. Augmenter le nombre de boîtes et compliquer l’exercice n’empêchait pas les étudiants de se coordonner de façon remarquable. Cette forme de coordination se retrouve dans la vie de tous les jours : supposez que vous êtes au téléphone avec un interlocuteur, que la ligne est brutalement coupée. Qui doit rappeler?
Si les deux rappellent, la ligne sera occupée. Si aucun des deux ne rappelle, vous risquez d’attendre longtemps avant de reprendre la conversation. Il faut qu’un des deux interlocuteurs rappelle et que l’autre attende. Le plus souvent, les gens se coordonnent de la façon suivante : celui qui a appelé initialement rappelle, l’autre attend. On n’apprend jamais cette règle : pourtant elle est remarquablement appliquée.
Quel rapport avec le sujet de ce message, les voeux et résolutions de début d’année? C’est que voeux et résolutions nécessitent toujours une dose de coordination pour avoir une chance d’atteindre leur objectif. Les voeux que j’enverrais alors que tout le monde envoie des voeux auront plus de poids que des voeux de bonheur (qui pourraient être formulés n’importe quand dans l’année, après tout) faits un jour quelconque. Après tout lorsqu’on doit consacrer une ressource rare – le temps – à envoyer des voeux à de nombreux destinataires potentiels, le fait d’avoir utilisé une partie de ce temps pour des voeux à une personne particulière est significatif : quelle valeur accorderait-on à des voeux du type “je n’ai pas le temps de t’envoyer des voeux aujourd’hui, je le ferais en février, quand j’aurais plus de temps disponible”? De la même façon, les résolutions que l’on prend constituent une forme de besoin d’autocontrôle, sujet abordé précédemment ici. ce contrôle aura d’autant plus d’efficacité que les résolutions prises l’auront été à une occasion spéciale durant laquelle d’autres auront eux aussi pris des résolutions. Cela élève l’enjeu et réduit le risque d’échouer : mon échec, en démoralisant les autres preneurs de résolution, a plus de conséquences que les conséquences qu’il pourrait avoir sur moi. Et quelle meilleure date pour se coordonner dans les voeux et résolutions que le début de l’année? A l’époque des druides on savait déjà que le solstice d’hiver était le moment des recommencements, une occasion unique à ne pas manquer.
C’est donc avec la tranquille certitude de me comporter en agent rationnel que je formule pour tous les lecteurs d’Econoclaste, et de son blog, une excellente et heureuse année 2005. Et que je prends la résolution de l’alimenter avecla régularité et le contenu de la meilleure qualité dont je serais capable.