Travailler moins pour gagner plus

Notre président a des intentions claires pour réformer la fiscalité française. Supprimer l’Impôt sur la Fortune et le remplacer par :

un nouvel impôt sur le patrimoine dont l’idée est la suivante : l’erreur faite dans les années passées, c’était de taxer le patrimoine alors qu’il vaut mieux taxer les revenus du patrimoine et les plus-values du patrimoine”. “C’est l’axe de la réforme que nous allons engager

Un petit rappel. L’impôt sur la fortune est un impôt dont le principe est efficace. Considérons, comme le faisait F. Meunier, un individu qui détient un patrimoine de 100 millions d’euros. Il peut gérer son patrimoine de trois façons. Il peut faire des efforts, et celui-ci lui rapportera 6% annuels. Il peut modérer ses efforts, et gagner seulement 3% annuels. Ou alors, il peut être paresseux et dispendieux, auquel cas son patrimoine ne lui rapporte aucun intérêt annuel.

Introduisons maintenant un impôt sur le capital, correspondant à 1% du patrimoine total détenu. Chacune des stratégies-ci dessus implique le même montant d’impôt payé : un million d’euros annuels. La stratégie de l’effort intense rapporte désormais 5 millions d’euros. Celle de l’effort modéré, 2 millions d’euros. La stratégie dispendieuse, quant à elle, conduira l’individu à perdre un million d’euros par an. Les finances publiques reçoivent trois millions d’euros (en comptant trois individus appliquant chacune des différentes stratégies).

Remplaçons maintenant cet impôt sur le capital par un impôt sur les revenus du capital. Pour que ce remplacement soit neutre pour les finances publiques, chacun pourra vérifier qu’il faut un impôt de 33% des revenus du patrimoine. Dans cette situation, la stratégie courageuse rapporte désormais 4 millions d’euros. La stratégie de l’effort modéré laisse un gain inchangé, de deux millions d’euros. Le dispendieux paresseux, quant à lui, ne paiera aucun impôt. Le total collecté par l’Etat sera toujours de trois millions d’euros.

Mais vous le voyez tout de suite : les conséquences distributives de l’opération ne sont pas du tout neutres. En effet, celui qui dans cette situation paie le plus d’impôts est celui qui fait le plus d’efforts pour rendre son patrimoine productif. Celui qui à l’inverse le laisse en jachère, est le grand bénéficiaire de cette transformation.

Ce résultat est on ne peut plus connu en économie de la fiscalité. Un impôt sur le patrimoine peut être assimilé à un impôt forfaitaire, qui est déterminé indépendamment de l’usage fait du capital : Le propriétaire de capital est donc incité à le rentabiliser. Un impôt proportionnel sur les revenus du capital sera moins incitatif. Si l’effort à fournir pour rentabiliser le capital à hauteur de 6% est important, notre capitaliste se dira qu’il vaut mieux pour lui fournir l’effort limité. Alors qu’avec l’impôt sur le patrimoine le fils à papa dispendieux constatait que sa vie dissolue conduisait son patrimoine à diminuer, ce qui pouvait l’inciter à passer sa licence faire des efforts, désormais, cette pression n’existe plus.

Cette efficacité économique apportée par l’ISF avait déjà été sérieusement rognée par le bouclier fiscal et les multiples et abondantes niches fiscales. On peut noter également que l’analyse ci-dessus est trop simple. Elle devrait inclure d’autres effets incitatifs : l’incitation à l’expatriation ou l’évasion fiscale, qui n’est sans doute pas très grand, contrairement aux idées reçues); le fait que des techniques d’optimisation fiscale (par exemple en versant un peu moins de dividendes) permettent de corriger cet effet. Pour ces raisons, F. Meunier en concluait qu’il vaudrait mieux supprimer et bouclier fiscal et ISF, quitte à attendre qu’un gouvernement de l’autre bord le remplace “par une façon plus intelligente de faire payer le patrimoine”.

Il n’en reste pas moins que cette réforme, si elle est mise en place, reviendra premièrement à favoriser une tare typiquement française : encourager le capitalisme d’héritiers, cette conception très 19ième siècle dans laquelle les manants entreprenants ne doivent pas s’enrichir : seuls ceux qui disposent d’un gros capital et l’accumulent (ou en héritent) sont dignes d’être considérés comme des élites nationales. Il ne sera plus nécessaire, pour entretenir le manoir familial, de le louer à quelques périodes de l’année à un prix dérisoire pour acquitter l’impôt. Il faut dire que cela risquait de faire venir des gens pas convenables.

La seconde conséquence de cette réforme, ce serait une bien curieuse inversion de la formule qui a fait tout le succès de l’élection présidentielle de 2007 : travailler plus pour gagner plus. Il est vrai que les moyens de politique économique utilisés pour cela ont largement échoué. La défiscalisation des heures supplémentaires est un échec tout aussi coûteux que retentissant; Le RSA, censé lui inciter les pauvres à travailler plutôt qu’à rester dans une culture d’assistanat, est entré de plein fouet dans le mur d’une crise économique qui restreint considérablement les possibilités de travailler tout court. Il va falloir songer à d’autres modes d’indemnisation (à ce propos, un petit lien pour les geeks).

Bref donc, “travailler plus pour gagner plus” est sérieusement écorné par le remplacement d’un mécanisme incitant au travail par un mécanisme qui récompense la paresse. Le nouveau slogan, promis à n’en pas douter à un bel avenir, est désormais “travailler moins pour gagner plus”.

Alexandre Delaigue

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50 Commentaires

  1. Bravo pour cette analyse.
    Il est malheureusement trop rare que l’ISF ne soit pas présenté comme un impôt dont le but est de contraindre le capital à être investi.
    Pour autant, comment contrer l’élément de langage bien classique de la grand-mère de l’île de Ré ? (celle qui a travaillé comme couturière sur l’île)

  2. Je ne comprends pas les calculs.

    Dans le premier cas, les finances publiques gagnent 1 million

    Dans le cas 2, c’est, avec 33%, 2 ou 1 ou 0, donc 1 aussi en moyenne.

    Pour le reste, croyez vous vraiment qu’on peut ne pas faire croitre un patrimoine de qq millions d’euros ??

  3. Ah c’est bon, ça. Cela dit, pour reprendre le comm du dessus, le seul patrimoine "non productif" était forcément l’immobilier, pour le reste une fois que c’est placé en bourse, hein, ça monte ou ça descend, mais ça finit tjs par payer. Par contre, ce qui manque ici, c’est peut etre ce détail : les revenus du patrimoine sont des revenus, jusqu’à preuve du contraire, donc déjà taxés par l’IR. Veut on augmenter leur taxation ? Ou c’est juste du flan pour faire voter les beaufs ?

  4. Ça fait tellement plaisir à lire… J’entends tellement de bêtises à ce sujet, autant de politiques que je soupçonne fortement de corruption intellectuelle que de citoyens se complaisant dans une fable personnelle, que ça en devient lassant. Il est pourtant évident en France que nous avons une société d’héritiers, tous les chiffres le montrent ! (il n’y a qu’à voir les taux d’imposition…)

    Sur ce, je vais m’en retourner à mes moulins…

  5. "Pour autant, comment contrer l’élément de langage bien classique de la grand-mère de l’île de Ré ? (celle qui a travaillé comme couturière sur l’île)"

    Ben, justement, la grand mère de l’ile de Ré est typiquement dans le cas 3 ; Elle est assise sur un tas d’or qu’elle n’exploite pas. Grâce à l’ISF elle est obligé de vendre son terrain à un parisien qui l’exploitera bien mieux en construisant une villa. Et elle pourra placer son argent sur son livret A (ou en emprunt d’état) qui lui permettront de payer l’impôt.

    Mais c’est ce genre de mécanisme que personne n’accepte ;

  6. Peut-etre la richesse n’est-elle pas exogene?
    i.e. peut-etre doit-on s’interroger sur les incitations a accumuler du patrimoine dont on sait qu’il sera taxé?
    l’ISF ne parait pas bien forfaitaire de ce point de vue…

    Le vrai probleme est je pense qu’on va taxer les revenus d’epargne plus du fait de la reforme.

  7. @Guillermo : les revenus du patrimoines ne sont pas vraiment taxés par l’impôt sur le revenu, vu que dans la plupart des cas on paie le prélèvement forfaitaire libératoire de 18%, qui évite de voir ces sommes comptabilisées dans le revenu imposable.

    En effet, pour les gros montants, l’imposition sur le revenu est de 40%, mais pour les revenu du capital on peut se contenter de payer 18% à la place. ( +11% de CSG/CRDS dans les deux cas )

    Si c’est associé à l’ISF, c’est normal : on taxe moins les gains obtenu en faisant fructifier le capital, mais on taxe le capital lui-même, pour stimuler les investisseurs, comme expliqué dans le billet.

    Donc en supprimant l’ISF, le gouvernement a deux options : supprimer le prélèvement libératoire avec, ce qui serait équitable à défaut d’être intéressant pour l’économie. Ou garder ce prélèvement libératoire, et là ce serait vraiment un gros cadeau aux rentiers.

  8. Guillermo:

    1) que la conservation de la propriété individuelle, du patrimoine, soit un service rendu par la collectivité est un choix public raisonnable : que la taxe effectivement payée pour l’entretien de ce droit de propriété soit forfaitaire et indépendante de la durée de conservation est un autre choix, opposé, comme le montre Pr Delaigue, à celui de la croissance, et donc, de la soutenabilité de la dette publique et de la mobilité sociale : faites votre choix.

    2) Quid du patrimoine hérité ?

  9. Bonjour
    On pourrait appliquer le même raisonnement aux revenus
    l’État peut imaginer deux stratégies
    La première consiste à taxer tout le monde de la même manière, par exemple en demandant tous les ans 1000 euros à tout le monde
    La seconde consiste à faire payer un impôt proportionnel aux revenus
    Peut on considérer que la seconde est économiquement moins efficace, et que doit on penser de celle consistant à augmenter le taux d’impôt avec le revenu ?
    Me serais je trompé quelque part?
    Sinon, comment doit on considérer le rôle des déductions faites à la fortune imposée, pour les tableaux de maître et la valeur des entreprises dirigées au regard du raisonnement fait dans cet article?

  10. Désolé, moi pas connaître l’anecdote de la grand-mère de l’Ile de Ré. Pour avoir l’air comme tout le monde, je vais interpeller mon copain : "dis, Google, tu connais, toi , la grand-mère de l’Ile de Ré ?" . Sympa, Google, il me répond toujours. Cette fois,mais oui ! ma grand-mère adorait l’opéra et chantait "Connais-tu l’Ile de ré et son phare cette étoile du monde…". Sinon, "Nous louons pour 5 personnes la maison de notre arrière-grand-mère Noémie qui…".Non ? Ah, voilà : "Nos confitures sont une histoire de maison de famille : notre arrière-grand-mère, en 1920, achète une maison…"
    Pas encore ? Ah, tu m’avais pas dit qu’elle était couturière ! Alors …
    Bon, ça va Google.Tu es gentil,mais je vais demander au postier du blog : il aura peut-être bien une minute pour m’expliquer…

  11. Pas du tout d’accord avec l’analyse de cet article.

    La question n’est pas de savoir si l’ISF est "efficace" ou non mais plutôt quelles conséquences il a sur les comportements des agents économiques.

    Cet impôt est perçu comme inquisitoire et injuste par ceux qui doivent le payer, même s’ils en ont largement les moyens.

    Cela conduit à des réactions disproportionnées, nuisibles à notre pays (vote avec les pieds, organisation patrimoniale incohérente uniquement destinée à éluder l’impôt), avec en face des raisonnements plus idéologiques qu’autre chose, comme celui défendu dans cet article.

    Si le principe de l’impôt sur la fortune est si parfait, pourquoi des gouvernements de gauche l’ont supprimé chez nos partenaire européens ?

  12. Oui, mais le paresseux perd 1 million par an qui est sûrement capté par des gens qui font des efforts et eux vont faire fructifier l’argent.

  13. Verel: Plus fondamentalement, on peut se poser la question de savoir pour quelle raison les impôts existent.

    La principale raison, me semble-t-il, est la concrétisation des droits de propriété : sans état, pas de propriété, ou plutôt, personne pour faire exister et respecter la propriété hormis le propriétaire.

    Et puisque cela coûte, il faut que cela se paie, chaque jour qui passe. Et, à défaut, ne bien vouloir consacrer à la défense de la propriété que les budgets que les propriétaires consentent à investir pour sa défense.

  14. @Vic : cet article est justement une analyse des conséquences de l’ISF sur les agents économiques…

    Quand aux réactions "disproportionnées", du style investir massivement dans des dispositifs défiscalisés pourtant pas si rentables, ce sont justement elles qui sont idéologiques. Et elles sont plus causées par la présence des innombrables niches fiscales que par l’ISF en lui-même.

    Enfin, réfléchir uniquement en termes de "nos voisins l’ont fait, pourquoi pas nous", est assez simpliste. Comme expliqué dans mon premier commentaire, suivant les autres évolutions fiscales, la suppression de l’ISF peut être un choix de réorientation de la fiscalité, ou un cadeau aux plus riches suite à un actif lobbyisme, etc. A moins bien sûr que vous ne connaissiez les raisons de sa suppression chez chacun de nos voisins ?

    @A l’ouest : la grand mère de l’ile de Ré, c’est l’exemple présenté comme typique par TF1 lors de la création du bouclier fiscal : une mamie qui a une toute petite retraite, a toujours vécu à l’ile de Ré, y possède une maison qui ne valait rien et coute aujourd’hui une fortune à cause de la montée des prix sur l’île, et doit donc payer l’ISF.

    C’est l’une des plus grosses arnaques de ces dernières années à mon sens, car même avec le bouclier fiscal à 50%, si la mamie gagne 600€ par mois elle doit payer 300€ d’impôt, donc ça ne résoud pas son problème. Il aurait mieux valu dans son cas enlever la résidence principale du calcul de l’ISF, mais ce cadeau-là aurait été beaucoup moins juteux pour les plus riches…

  15. 1/ j’ai du mal à comprendre l’introduction de la notion de Paresse… Il y a un sous entendu moralisateur assez bizarre qui est introduit (sans compter toute la discussion que l’on pourrait avoir derrière : la paresse, c’est le bien ou le mal ? Et qui s’arroge le droit de le dire ? Et sur quels indicateurs… etc…)

    2/ vous dites : "En effet, celui qui dans cette situation paie le plus d’impôts est celui qui fait le plus d’efforts pour rendre son patrimoine productif. Celui qui à l’inverse le laisse en jachère, est le grand bénéficiaire de cette transformation."

    D’un coté, on a qq qui se bouge et qui voit son courage payer à hauteur de 4 M (quand avant c’était 5, certes, et alors ?), et l’autre de passer de -1 à 0 et vous continuez vraiment de penser que le grand gagnant, c’est celui qui passe de 0 à -1 ?

    Moi, je vois surtout qu’à patrimoine égal, l’un fait désormais 0, l’autre 4 (et je me fous un peu que l’an dernier, je gagnais 4.1, 4.5, 5 etc…).

    J’ai un peu du mal à comprendre quels sont les principes sur lesquels vous raisonnez économiquement.

    Connaissez vous cette bonne blague : C’est un belge qui est dans le TGV Paris Marseille et qui est totalement hilare. Au bout d’une heure, son passager lui demande ce qui le fait rire autant. Et notre belge de répondre : "C’est la SNCF, je l’ai bien baisé : je lui ai acheté un Aller-Retour Paris Marseille, et je ne fais que l’aller !!!!".

    Voyez vous où je veux en venir ?

  16. @henriparisien

    "Ben, justement, la grand mère de l’ile de Ré est typiquement dans le cas 3 ; Elle est assise sur un tas d’or qu’elle n’exploite pas. Grâce à l’ISF elle est obligé de vendre son terrain à un parisien qui l’exploitera bien mieux en construisant une villa. Et elle pourra placer son argent sur son livret A (ou en emprunt d’état) qui lui permettront de payer l’impôt."

    C’est assez contraignant, tout de même, de devoir abandonner sa résidence principale. C’est presqu’à la limite de l’expropriation 🙂
    Plus sérieusement, cela pose le problème de la volatilité du prix du patrimoine immobilier. Acheter une maison pour s’établir, reflète d’abord le souhait de s’installer dans une zone, et pas la volonté de spéculer sur le prix de la propriété. Pourquoi dès lors contraindre les gens à partir ?

    A mon sens, c’est toute la différence entre plus-value latente et réalisée.
    Autant, je comprends l’intérêt de taxer les plus-values réalisées – et le pouvoir actuel a beau jeu de faire croire qu’il s’intéresse à ces questions, lui qui a exhonéré l’héritage et al… – autant je trouve scandaleux de considérer que la personne qui est propriétaire détient effectivement un capital liquide valorisé à sa "juste valeur".

    Une méthode plus raffinée, ce serait d’imaginer que posseder une maison/un appartement fournit un loyer virtuel (celui que vous n’avez pas à payer), moins éventuellement les frais d’équipement/d’entretien/d’amortissement du bien (crédit?). Dès lors, cette taxation semblerait être mieux fondée d’un point de vue financier et comptable, et lisserait la volatilité que le patrimoine peut subir.
    Cela reviendrait à taxer la somme acquise au titre du revenu que produit le bien détenu. A tout le moins, pour la résidence principale. Pour tout autre type de biens (liquide/illiquide/actions/oblgations/etc…), cela me semble être un autre débat.
    Autre bombe: quand donc supprimerons-nous les paradis fiscaux ? C’est en effet quelque chose de simple à réaliser, et cela éviterait de faire semblant de s’intéresser à un problème (l’état dégradé de nos finances publiques) alors qu’une des sources majeures du mauvais financement de nos économies réside dans l’opacité totale des conduits financiers.

    Fabrice

  17. Je n’ai pas fait d’études d’économie, mais j’essaie de comprendre et c’est pour ça que je suis votre blog. Je vais donc poser une question un peu naïve : Toute votre explication tient sur le fait qu’on voudrait encourage un individu à placer à 6% plutôt qu’à 3% ou pire à dilapider son héritage.. mais d’où vient cette idée ? N’est-ce pas un problème quand les investisseurs cherchent un trop fort taux de rentabilité ? N’a-t’on pas interet, mais c’est un peu annexe par rapport à votre billet, à ce que les gens qui ont de l’argent le dépense pour que l’argent circule ?

    Certe, celà n’encouragerait pas à faire de l’argent avec de l’argent, mais ça resterait possible dans une moindre mesure. Peut-être qu’il me faudrait reprendre le calcul avec des patrimoines initialement différents pour comprendre votre paragraphe sur le manant et l’héritier 🙂

  18. @Eve la fée

    Lorsqu’on investit son patrimoine dans un produit financier, on récupère des intérêts parce qu’avec l’argent ainsi déposé à la banque, la banque a pu le prêter à des entreprises qui souhaitaient investir.
    C’est tout le principe du prêt à intérêt : de façon très simplifiée (l’intermédiaire qu’est la banque et les différents contrats qu’elle propose complexifient tout ça), l’idée c’est qu’on prête de l’argent à des entrepreneurs dont on suppose que leur projet va réussir avec une certaine probabilité, et on évalue le taux d’intérêt qu’on demande en échange pour compenser :
    1. la gêne liée au fait d’avoir son argent bloqué pendant un certain temps (ce qu’on appelle la perte de liquidité)
    2. le fait qu’il existe une probabilité de ne pas revoir une partie de son argent si le projet capote.

    Investir dans un projet à haut taux d’intérêt, c’est investir dans des projets risqués (grossièrement). C’est permettre à des entrepreneurs de monter des projets, c’est faire fonctionner l’économie. En gros, l’idée ici c’est que l’ISF est aussi là pour éviter que l’argent détenu par les français se contente de dormir plutôt que de servir à booster l’économie.

    Bien sûr, le riche peut aussi se décider à monter lui-même une boîte à l’aide de son patrimoine, auquel cas on n’a pas l’intermédiaire de la banque et on voit de façon encore plus claire en quoi investir c’est travailler pour l’économie.

    J’espère vous avoir éclairée !

  19. Le raisonnement de F. Meunier qui constitue le socle de ce billet est très… léger.

    Il suppose que le taux de rendement qu’on obtient sur son capital ne dépend que du travail fourni par l’investisseur. C’est une hypothèse à la fois extrêmement simpliste (autant que celle qui dirait que la rémunération du travail ne dépend que du travail) et extrêmement fausse (on parle de rémunération du capital, pas du travail).

    Les principaux éléments constitutifs du rendement d’un investissement sont le risque, la liquidité et l’évolution du marché.

    Quelqu’un qui achète des bons du trésor grecs à 11% n’a pas plus travaillé que celui qui achète des bons français à 3%. Il a pris plus de risque.

    Bref, contrairement à ce qui est dit dans l’article, une taxation sur le capital (plutôt que sur les revenus du capital) n’encourage pas à travailler, il avantage ceux qui prennent des risques et qui ont de la chance. En revanche, ça plombe ceux qui ont pris des risques et qui n’ont pas eu de chance.

    Je n’arrive pas à me convaincre que vous y croyiez vraiment, Alexandre. Franchement? en prenant du recul? L’ISF incite les riches à travailler? Vraiment?

    Il y a une autre vertu dans la proposition de transférer la taxation du capital vers la taxation des revenus du capital. C’est de réduire l’écart colossal entre les prélèvements sur les revenus du travail et ceux sur les revenus du capital. Sur les gros revenus, le coin fiscalo-social est de 70% pour les revenus du travail et de 30% pour les revenus du capital. Et les fontières entre les 2 formes de revenus sont poreuses (stock options anyone?). Et ce sont principalement les plus aisés qui peuvent se rémunérer en dividendes et plus-values mobilières.

    Bref, c’est sans doute difficile à accepter, mais la proposition de Sarkozy de substituer une taxation des revenus du capital à l’ISF va dans le sens d’une plus grande justice de notre système fiscalo-social.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    “Je n’y crois pas” ne constitue pas un argument; discuter une illustration plutôt qu’un phénomène non plus. Les commentaires, les liens du post, vous fourniront tous les exemples que vous souhaitez sur l’incitation à faire travailler son capital plutôt que le laisser végéter. Et vous pouvez remplacer “effort” par “prise de risque” sans rien changer : quel est l’intérêt exact d’une réforme fiscale qui décourage la prise de risque? Enfin, je trouve amusant de voir sortir des considérations de “justice sociale” dont la conclusion logique est la défense de la rente et du bouclier fiscal.

  20. Avec l’ISF actuel, mes grands-parents, qui en fin de carrière ont souhaité acheter comme résidence secondaire un lopin de terre au milieu duquel se trouve une cahute sans eau ni électricité, se trouvent à devoir payer l’ISF, quand bien même leurs revenus n’ont pas changé.
    Cette résidence d’été, absolument inutilisable le reste de l’année, ne peut pas devenir rentable (sauf frais énormes d’aménagements).

    L’ISF ne touche pas que les "riches" cherchant à faire encore plus de profit : en cela, il doit être revu.

  21. @Eve La Fée

    Le principe est que pour gagner de l’argent, il faut investir. Dans des actifs plus ou moins risqués (Fonds de placements, certificats de dépôts, billet de trésorerie, obligations, actions, produits dérivés, etc…) qui à chaque fois ont pour but de rémunérer le placement initial !
    D’ailleurs vous-même, quand vous placez vos économies, vous cherchez le rendement le plus intéressant, ainsi, préférerez-vous investir dans un PEL plutôt qu’un Livret A, compte tenu des taux actuels.
    La seule réelle différence, est la taille des encours.

  22. Le fait qu’on puisse penser qu’un patrimoine de 100 millions ne génère aucun revenu me laisse franchement rêveur…

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Le fait que, face à un exemple fictif utilisé pour décrire un phénomène, on préfère discuter de l’exemple plutôt que du phenomene me laisse franchement rêveur…

  23. @Muscardin

    Vous en parlerez avec les heureux investisseurs du fonds Madoff 🙂
    (certains ont perdu bien plus que 100 millions d’euros dans l’affaire)

  24. @Verel

    Je trouve la comparaison avec les revenus du travail très intéressante. En effet, on pourrait imaginer un impôt qui, plutôt que de taxer les revenus du travail taxerait le capital humain, c’est à dire toutes ces caractéristiques innées ou acquises que l’on possède et qui nous permettent de tirer un revenu plus ou moins grand de notre travail.

    Par exemple, on pourrait imaginer un impôt proportionnel au diplôme. On demanderait à tous les diplômés d’une école de commerce ou d’ingénieur un montant fixe par an. Ainsi, on inciterait les gens à travailler et à faire fructifier leur capital humain.

    Bien sûr, on butte sur le problème du caractère difficilement mesurable du capital humain. Zinedine Zidane n’a pas le bac, mais son capital humain est beaucoup plus important que celui d’un polytechnicien ou d’un normalien lambda.

    Imaginons une seconde qu’on puisse mesurer le capital humain aussi bien que le capital physique. Une taxe sur le capital humain nous apparaîtrait-elle comme juste? Imaginons deux médecins généralistes. L’un a décidé de s’installer à Paris, l’autre à la campagne. Le médecin parisien gagne beaucoup plus que le médecin de campagne. Est-il juste de prendre le même impôt aux deux, sans considérer le revenu?

  25. Pour le bouclier fiscal, il suffit de le baser sur les revenus déclarés et non plus sur les revenus imposables: la petite vieille en profite toujours mais certains abus ne sont plus possibles.

    Je croyais que la résidence principale n’était pas prise en compte par l’ISF. Elle est seulement déduite en partie? pas du tout?

    Ce qui est drôle, c’est que si vous dites que l’ISF est là pour inciter à tirer des revenus de son capital cela provoquera une grande déception chez certains à gauche… Car même si on peut lui trouver des avantages à posteriori il me semble que les raisons avancées pour la créations de cet impôts étaient éminemment idéologiques (Le paradis serait-il pavé de mauvaises intentions?).
    Et que fait on des niches ISF elle-même sensées inciter à investir dans certains secteurs (investissement PME, etc). Font-elles double emploi?

    @Alexandre Delaigue: comment le RSA "empêche" les gens de travailler? Je n’arrive pas à en voir les raisons :/

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Le RSA n’empêche pas de travailler : il incite à le faire. Sauf que, en récession, ça marche beaucoup moins bien.

  26. @Sam : et si vos grands-parents louaient l’été une maison habitable plutôt que de le passer dans une cahute sans eau ni électricité qui ne doit pas trop réussir à leur santé ?

    @Fabrice_BLR : et si la grand-mère de l’île de Ré vendait sa maison en viager ou la louait 3 semaines l’été quand elle va rendre visite à ses petits-enfants (elle en a, puisque c’est une grand-mère…) ?
    Pour info, le "loyer virtuel" est un des chevaux de bataille d’Henri Sterdyniak, qui a certes des défauts mais dont l’analyse de la fiscalité est souvent très intéressante.

    @Gil : la résidence principale n’est prise en compte qu’à 70% (80% avant 2008)

  27. Eh bien, merci beaucoup, Alexandre. Quand j’ai entendu cette phrase du président, je me suis dit "Ce n’est pas exact 😉 La meilleure chose pour dynamiser l’économie, c’est de tirer sur tout ce qui ne bouge pas. En commençant par parler de "l’erreur faite", Sarkozy balance une couleuvre comme si de rien n’était pour qu’on admette que s’il le dit comme une évidence, il doit y avoir une raison".

    Bon, ben là ça fait un peu comme de recevoir une bonne note 😀

  28. @Vic, qui dit "pourquoi des gouvernements de gauche l’ont supprimé chez nos partenaire européens ?"

    La désinformation de Sarkozy fonctionne apparemment. Les Allemands ont effectivement supprimé (l’équivalent de) l’ISF. Le chancelier d’alors s’appelait… Helmut Kohl (CDU).
    Pas franchement de gauche !

  29. Alexandre,

    Un impôt fixe n’encourage pas la prise de risque, il avantage le couple (risque-réussite) et désavantage le couple (risque-échec). Son impact sur la prise de risque est donc ambigu mais sans doute plutôt négatif car les gens qui prennent des risques tendent à préférer les coûts variables aux coûts fixes.

    Plus généralement, le raisonnement sur "l’incitation à faire travailler son capital" me paraît assez peu convaincant. Déjà, il y a une bonne incitation à ce que le capital soit rentable, c’est justement son rendement. Pas sûr qu’un coup de pouce fiscal soit indispensable. Ensuite, les raisons pour lesquelles un capital n’est pas rentable dépassent très largement le cas du bien physique laissé en jachère. Je ne saisis pas très bien, par exemple, pourquoi la fiscalité devrait avantager un propriétaire quand le marché monte et le désavantager quand il baisse.

    Finalement, notre différend semble se concentrer sur le choix entre taxer le capital ou ses revenus.

    Optimum semble penser que c’est assez indifférent.

    Je pense qu’il vaut mieux taxer les revenus pour les raisons que j’ai exposées : harmonisation avec la fiscalité du travail (d’où ma référence à la justice), revenus du capital sans capital (stock options, arbitrage salaire-dividendes…)

    Vous semblez penser qu’il vaut mieux taxer le capital. Mais je peine à comprendre vos raisons. En suivant les liens que vous fournissez, on tombe sur des références à la nécessité de ne pas décourager l’accumulation du capital. Mais ça me paraît un peu "2e ordre". J’ai dû rater un truc. Si vous pouviez clarifier, un jour, à l’occasion…

  30. Je vois au moins 3 problèmes à votre post.
    Le premier est celui soulevé par Verel, qu’on pourrait reformuler en ce que la capitation est censée être la forme la plus efficace d’imposition. Le seul hic, c’est que tout le monde pense que c’est la plus injuste. Or c’est bien le cas de l’ISF: il est jugé injuste par le seul fait qu’il pourrait obliger des gens à vendre y compris par des gens qui n’ont aucune chance de payer le dit impôt dans un futur prévisible.

    Le 2e problème est celui présenté par Lib. Le rendement supérieur est lié à un risque plus fort et/ou une liquidité plus faible. Or l’impôt est à régler ex ante et tous les ans. Dans ces conditions, recourir à l’optimisation fiscale est la première des choses à faire. Prendre des risques sur le surplus vient ensuite. On peut aussi reprendre l’example de la vieille de l’Île de Ré. Si elle s’attend à ce que les prix des terrains monte encore (et vite), elle doit rester dans ses murs attendre que sa propriété se valorise. Seul problème, elle ne touche rien tant qu’elle ne vend pas mais doit payer l’impôt. Elle est donc privée d’un investissement potentiellement juteux, et elle doit vendre à un riche (quelqu’un qui a des liquidités en permanence) qui lui va en profiter.

    3e problème: la valeur d’un capital est notoirement facile à dissimuler. En fait, seuls les instruments cotés sur des marchés réglementés permettent au fisc de tabasser le contribuable qui ne peut plus se cacher. L’enquête du Canard en 2007 sur le patrimoine de S. Royal le montre bien. Elle a déclaré sans doute pendant des années une villa sur la Côte d’Az’ au prix du terrain sans jamais être redressée… Comme encouragement à faire fructifier son capital, on a vu mieux.

  31. @Emmeline

    S’agissant de notre brave grand-mère, je ne dis pas qu’il n’existe pas de solutions. J’attire juste l’attention sur le fait que certains raisonnements simplistes risquent de rallier des gens des "classes moyennes" aux thèses de "ISF = impôt débile expropriateur", si l’on ne sait pas retourner cet argument.

    Le président Sarkozy a par exemple été très intelligent dans sa manière de présenter la suppression des droits de succession, ce qui fait parti de son "passif". Il a toujours ramené ça à l’ouvrier besogneux travaillant toute sa vie pour léguer un pécule à ses enfants. Sauf que… dans ce cas, les droits de succession étaient déjà nuls. Sans oublier que l’héritage est un non-sens d’un point de vue économique, sauf à penser que le talent/l’esprit d’entreprise est uniquement génétique.

    Pour autant, il est important de savoir écouter la détresse de certaines personnes qui se voient infliger un contrôle fiscal 2/3 jours après avoir perdu leur conjoint (et le nombre de ces cas n’est pas négligeable, croyez-moi), alors que dans d’autres affaires, l’état est bien plus conciliant. On pourrait d’ailleurs proposer un étalement du paiement des droits de succession, l’état prenant par exemple une forme de crédit-bail sur le bien hérité, et permettant aux héritiers de récupérer qui l’entreprise, qui un bien immobilier. L’idée qu’un héritier ne *doit* pas pouvoir tenter sa chance, est à mon avis aussi stupide que celle des Morin, Sarkozy & co, comme quoi seul le capitalisme génétique a du sens.

    Tiens d’ailleurs, écoutez à partir de 4’32 et surtout vers 5′:
    http://www.dailymotion.com/video...
    "[…] la suppression de l’ISF, qui empêche le développement d’un entrepreunariat familial dont on a besoin, parce que nous avons besoin d’un actionnariat stable, capable de porter une stratégie d’investissement à 20 ans, et pas des fonds d’investissement qui ne pensent qu’à une chose, c’est à presser le citron des entreprises […]"

    Avis ? 🙂 🙂 🙂

  32. Gary Becker: taxer le capital humain est évidemment la solution. Sauf que :

    1) Le capital humain se développe : le taxer, c’est inciter chacun à ne pas le développer.

    2) Lorsqu’on renonce à développer son capital humain, c’est généralement irréversible et irrémédiable.

    3) taxer le capital humain serait efficace dans une société qui laisserait à ceux qui en disposent les moyens de le rentabiliser. Autrement dit une société foncièrement libérale, donc, certainement pas un état nation.

  33. @proteos, l’argumentaire sur la vertu économique de l’ISF, c’est d’inciter le capital a être immédiatement productif. C’est le mot immédiatement qui est important puisqu’il faut effectivement le payer chaque année.

    Je ne vous suis pas du tout quand vous dites que l’ISF est considéré comme injuste. Il y a une majorité de personne qui l’approuvent (et qui se recrute très certainement dans ceux qui pensent qu’ils n’auront jamais à le payer).

    Votre petite vieille de l’île de Ré, n’est pas obliger de vendre son bout de terrain pour régler l’ISF ; Si elle attend une PV rapide, il lui suffit d’aller voir son banquier et de faire un prêt. Bon, je vous accorde qu’au fils des exemples, elle ressemble de plus en plus une golden boy 🙂

    Du point de vu fiscal, l’ISF présente plusieurs avantages : une relative stabilité pour l’état, un contournement compliqué (alors qu’il est relativement simple de différer l’imposition des revenus du capital) contrebalancé par le point que vous soulevez la difficulté d’estimer les biens fonciers (et seulement eux), mais ce n’était pas l’objet du post.

  34. Il me semble que parler d’efficacité et de justice sociale en matière d’imposition c’est pas mal pour une discussion d’apéros mais cela n’a aucune incidence pratique.

    Le but de l’impôt comme disait déjà Colbert, c’est de plumer les oies avec un minimum de couinement. Moins il ya de couinements et plus l’Etat peut gabeger sans problème – au nom de l’intérêt général bien sur.

    La France est une excellente élève avec des tas d’impôts indirect et deux impôts Potemkine que sont l’IR et l’IS qui ne sont payés que par environ 1 a 2% de la population et qui permettent de belles envolées lyriques sur la taxation des riches. Ce qui nous permets aussi d’être les champions toutes catégories de la dépense publique.

    La preuve que l’ISF est stupide c’est que la vrai richesse en est exclue et qu’il suffit d’aller habiter Bruxelles, sans rien changer a son portefeuille par ailleurs, pour ne pas le payer.

    Le meilleur impôt, c’est celui qui fait payer la masse des pauvres/classes moyennes un tout petit peu chacun, car les petits ruisseaux font les grandes rivières et puis les pauvres ne peuvent guère s’expatrier.

    Excellent post, avec des tas de références qui vont me tenir réveillé la nuit.

  35. @Passant

    1)On pourrait appliquer le même raisonnement au capital physique. Taxer le capital physique, c’est inciter les gens à ne pas l’accumuler.

    2)Oui, c’est la grande différence avec le capital physique.

    3)On pourrait dire la même chose du capital physique.

    Au fond, on en arrive à la raison pour laquelle le capital est taxé moins que le travail: il est plus élastique que le travail. L’élasticité de l’offre de travail par rapport au revenu net d’impôt est beaucoup plus faible que l’élasticité du capital par rapport aux rendements nets d’impôts, donc l’incidence fiscale d’une taxe sur le travail est plus faible.

    Cela dit, j’ignore si l’existence de taxes moins faibles sur les revenus du capital dans notre beau pays résulte d’une compréhension de la règle de Ramsey par nos dirigeants, ou bien d’un biais favorable de l’Etat bourgeois envers les capitalistes.

  36. @ GB : "L’élasticité de l’offre de travail par rapport au revenu net d’impôt est beaucoup plus faible que l’élasticité du capital par rapport aux rendements nets d’impôts, donc l’incidence fiscale d’une taxe sur le travail est plus faible."

    Ca reste à prouver il me semble. Le travail a une désutilité, le placement du capital en tant que tel n’en a pas à ce qu’il me semble. J’aurais donc tendance à dire que dès qu’on peut placer du capital, on le place (plus ou moins bien), alors que tout individu susceptible de travailler n’offre pas systématiquement son travail.

    @Fabrice_BLR : puisque vous me faites l’honneur de me demander mon avis, je vous répondrai que je ricane bien en voyant que l’ISF "décourage l’entrepreneuriat familial qui porte une stratégie", parce que si l’actionnaire s’investit suffisamment pour déterminer la stratégie, il peut faire passer sa participation comme outil de travail et donc ne pas être imposé dessus… [NB : je n’ai pas suivi le lien, je ne sais même pas qui a dit ça – c’est Morin comme semble l’indiquer le titre ?]

  37. L’argument d’incitation est assez fragile et finalement assez dangereux (comme le souligne Verel). L’ISF pèse 4 milliards d’euros alors que le patrimoine des ménages est estimé à 9000 milliards, soit 0,04% ; les taux affichés (jusqu’à 1,8%) se font donc au mieux sur des assiettes très très étroites. Si l’ISF incite à quelque chose, c’est probablement à le contourner (ce que, apparemment, les gens réussissent à faire).
    En matière de fiscalité, il est légitime de tenir compte des incitations, mais seulement dans la mesure où elles fonctionnent réellement et qu’elles se traduisent en changement de comportement (autrement, l’argument n’est plus incitatif mais méritocratique).
    Reprenons l’exemple à 100 millions d’euros, la première stratégie est déjà très rémunératrice: elle rapporte 6 millions de plus que la troisième! L’ISF va-t-il réellement changer le comportement d’un détenteur de 100 millions, tellement paresseux qu’il ne prend pas 5 minutes pour réfléchir à un placement. Dans une économie financiarisée, est-ce un réel effort de trouver un placement ? C’est une question empirique, et je veux bien croire que cet argument pouvait être déterminant du temps d’Allais, aujourd’hui, je ne suis pas si sûr…

    Ceci dit, il est légitime de taxer le stock de patrimoine en plus de ses revenus mais sous l’argument de la capacité contributive et en comparant ceux qui ont un patrimoine à ceux qui n’en ont pas : la capacité contributive de celui qui a 100 millions et pas de revenus est probablement supérieure au Smicard (il peut dépenser jusqu’à 2 millions d’euros par an pendant 50 ans), et il n’est pas choquant qu’il contribue à la collectivité à la hauteur de cette capacité.

  38. @Emmeline

    Effectivement, ça reste à prouver. A l’intuition, le temps de travail est plutôt inélastique, non? La défiscalisation des heures supplémentaires n’a pas tellement poussé les gens à travailler plus longtemps (pour gagner plus), par exemple. Même pour les professions dans lesquelles on a une plus grande liberté sur son temps de travail, il me semble que les normes sociales jouent beaucoup dans la décision du temps de travail (il est normal, dans telle profession, de travailler tant d’heures par semaine.)

    Comme le faisait remarquer passant, les décisions de capital humain se font une bonne fois pour toute, donc la variable d’ajustement semble être le temps de travail seul.

    Maintenant, les décisions d’épargne dépendent-elles fortement du rendement de l’épargne? je ne sais pas. A l’intuition, encore, beaucoup d’épargne de précaution, et donc une élasticité plutôt faible, mais peut-être une élasticité plus forte quand on dépasse un certain revenu (je pars en vacances à l’île Maurice ou bien je place mon argent dans ce produit financier qui a un rendement intéressant et qui en plus est en partie défiscalisé.)

    Bien sûr, si on considère uniquement des très hauts revenus ou bien des revenus "illégitimes" (héritage), l’élasticité de l’épargne par rapport au taux de rendement est faible, puisque, bon, on ne va pas dépenser 10 millions d’euros dans l’année en voitures de sport et en champagne. Mais la décision d’épargne ne concerne pas uniquement les super riches.

  39. Gary Becker: Vous touchez à mon avis du doigt un point essentiel : selon la capacité de contrôle dont l’état dispose effectivement sur les faits et gestes de la population, les principes de justice fiscale changent. Si vous pouvez chasser et pourchasser le capital dans ses mouvements, il devient plus facile de le taxer.

    Le travail est taxé simplement parce qu’il est statique et d’ailleurs, est en pratique beaucoup moins taxé quand il devient mobile.

  40. On croit réver en prenant un exemple d’un capital de 100 M €. Combien de Français disposent d’un tel capital. pensons plutôt à tous ces salariés qui par leur travail ont un capital assujeti à l’ISF composé pour 1/2 par leur résidence principale (ce qui est tout à fait pausible avec l’inflation de l’immobilier)qui est déjà assujetie à l’impôt foncier et la taxe d’habitation (je sais peu élevé à Paris)et qui ne procure aucun revenu.
    je suis très étonné par cet argument et ses conclusions (l’élitisme du XIXème siècle)

  41. @ Alexandre,

    Je suis d’accord avec votre conclusion sur l’effet incitatif de l’ISF sur l’entrepreneuriat. L’ISF incite, plus qu’un impôt sur les revenus du patrimoine, à être entreprenant. Ce dernier incite, au contraire, à privilégier la rente, c’est-à-dire un taux d’intérêt sans risque – et donc sans profit pur.

    Vous avez rappelé, comme Meunier, qu’il y a d’autres effets incitatifs qui viennent tempérer cette conclusion. Il faudrait aussi dire qu’il existe un marché financier. Certes, il n’est pas parfait, mais il permet aux entrepreneurs sans capital d’être plus entreprenants, de prendre des risques, et d’en supporter les gains et les pertes, quand ceux qui possèdent le capital n’ont pas la fibre entrepreneuriale. Cela change pas mal la conclusion.

    Il y a un argument utilitariste derrière votre défense de l’ISF qui est le suivant : inciter les détenteurs du capital à être entreprenant est bon pour l’économie. Pourriez-vous préciser un peu ce postulat normatif, car ce n’est pas si clair que cela ? Le billet est à la fois orienté utilitarisme (plus d’entrepreneuriat = plus de croissance) et justice sociale (plus de rentiers = société injuste). L’ISF, en incitant les détenteurs à se comporter comme des entrepreneurs, serait à la fois plus efficace économiquement et socialement plus juste. C’est ça ?

    Je ne dirai rien sur la justice sociale, car comme dirait Ricet Barrier :
    tinyurl.com/26w5wfy 😉

    Sur l’efficacité économique de l’ISF, j’ai un doute. Quid de la division du travail entre capitalistes et entrepreneurs ? Qu’est-ce qui dit que l’ISF ne vas pas limiter la division du travail entre les gardiens du capital et les preneurs de risque ? Quand j’écris "entrepreneur" et "capitaliste" je sous-entends que certains individus sont plus enclins et aptes que d’autres, à prendre et à porter les risques, à faire des paris gagnants, à découvrir des opportunités etc. tandis que d’autres individus sont plus enclins et plus aptes à thésauriser, à conserver, à gérer avec prudence.

    Les deux ont leur utilité pour l’ensemble de l’économie. Il faut insister sur ce point : si l’on valorise souvent la fonction de l’entrepreneur héroïque parce qu’il crée des richesses dont toute la société finit par bénéficier, il faut aussi rappeler que la société bénéficie de la présence d’un stock de capital important et bien gardé. D’un point de vue utilitariste, on peut mettre les deux sur le même plan. L’existence d’un marché financier fait que l’incidence de l’ISF sur l’entrepreneuriat, l’accumulation de capital et la division du travail est… complexe.

    Du coup, que peut-on dire sur l’ISF vs. impôt sur les revenus du capital ? Sauf erreur, l’ISF va faire que l’on aura plus d’entrepreneurs, et moins de capitalistes. L’impôt sur le revenu, c’est l’inverse. Pouvez-vous en tirer une conclusion utilitariste, et dire que l’économie dans son ensemble se portera mieux dans un scénario que dans l’autre ?

    Dans le doute, les arguments autres qu’utilitaristes prennent plus de poids. L’ISF est un impôt inquisitorial, très coûteux à déclarer et à recouvrir, il a généré beaucoup de créativité en termes de niches fiscales, etc.

    Cdt,
    GSF

    P.S. Je reposte ce commentaire qui n’a pas l’air d’être passé la première fois. Mes zesscuses sinon…

  42. "Qu’est-ce qui dit que l’ISF ne vas pas limiter la division du travail entre les gardiens du capital et les preneurs de risque "

    Qu’est-ce qui dit que cette division est souhaitable ?

    La justification des inégalités de propriété dans nos sociétés est l’inégalité de contribution au bien-être global des individus. Sans cette justification, rien ne justifie que le respect de la propriété.

  43. @Phalange
    "La justification des inégalités de propriété dans nos sociétés est l’inégalité de contribution au bien-être global des individus. Sans cette justification, rien ne justifie que le respect de la propriété."
    Ca, c’est vous qui le dites, et ça n’est que des mots. La question est infiniment plus complexe que ça.

  44. @ Phalange

    "Qu’est-ce qui dit que cette division est souhaitable ?"

    Le fait qu’elle existe.

    Je m’explique : quand j’écris "entrepreneur" et "capitaliste" etc. ci-dessus, il s’agit d’un constat, d’une observation. Ce n’est pas un postulat ("il y a nécessairement des entrepreneurs et des capitalistes") ni un souhait ("il faudrait qu’il y ait des entrepreneurs et des capitalistes").

    Je sais que, de mon point de vue, il y a des cas où j’aime prendre des risques et d’autres non. On pourrait préciser ce qu’on entend par là sur le plan cognitif.

    L’observation de la division du travail n’est donc que le reflet de cette diversité de préférences. Certains aiment / souhaitent / savent prendre des risques ; d’autres non.

    La division du travail entre capitalistes et entrepreneurs est donc souhaitable de leur point de vue à eux (souligner : de leur point de vue à eux). En effet, lorsqu’elle n’existe pas, ou quand elle est interdite ou simplement était freinée (et elle l’est), certains capitalistes doivent renoncer à des placements rentables de leur point de vue, et certains entrepreneurs doivent renoncer à des investissements risqués qu’ils croient être gagnants.

    P.S. Notez qu’une analyse "à l’équilibre" de ce problème n’est pas très intéressante, puisqu’à l’équilibre il n’y a pas d’entrepreneurs.

  45. "à l’équilibre il n’y a pas d’entrepreneurs"
    j’ajoute : et si on s’approchait d’un équilibre, l’action des entrepreneurs vise justement à le rompre.

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