Jules de Diner’s Room déplorait récemment la mauvaise qualité du travail journalistique présentant un rapport sur les patrimoines mondiaux; on pourrait reproduire la critique en lisant l’article du Monde daté d’aujourd’hui consacré à la dispute opposant Starbucks et le gouvernement Ethiopien à propos du café.
A la lecture de l’article, le principal problème, c’est qu’on ne comprend rien de ce qui se passe. L’article commence par faire pleurer dans les chaumières en évoquant le triste sort des paysans éthiopiens planteurs de café (ce n’est pas là, toutefois, qu’on apprendra grand-chose sur les vraies causes des problèmes éthiopiens, mais passons). On nous explique que le gouvernement éthiopien veut faire de noms de régions des marques déposées afin de soutenir les cours de ces produits nationaux. Mais que, par cupidité, “ne voulant pas payer pour des marques”, Starbucks s’y oppose, spoliant ainsi les agriculteurs éthiopiens de dizaines de millions de dollars. L’article se contente ici visiblement de reproduire l’argumentaire de l’ONG Oxfam, qui a lancé une opération contre Starbucks sur ce sujet. Malgré des propositions de négociations, la “multinationale” reste “inflexible”. Cela plus un intertitre nous permet de savoir dans quel camp sont les Gentils et les Méchants. Le dernier paragraphe, dès lors, peut expédier d’une façon incompréhensible l’argumentaire de Starbucks, mélangé avec celui des “autorités américaines”.
En lisant The Economist sur le même sujet, on a l’opportunité de mieux comprendre la position de Starbucks. Là aussi l’article est partisan (dans le sens opposé, puisqu’il présente une défense de Starbucks), mais présente au moins l’avantage de présenter le problème clairement. Il faut au bout du compte aller chercher Der Spiegel pour trouver enfin une présentation objective de l’affaire, qui présente tous les arguments, les données du problème, et permet au lecteur de se faire un avis de manière informée. Il en ressort :
– que Starbucks n’est pas contre le dépôt de marques par les agriculteurs éthiopiens; simplement, l’entreprise considère que des marques déposées pour les régions seeraient nuisible au produit et aux agriculteurs. Adopter le système de l’appellation contrôlée (le même que le système français pour les produits agricoles), qui impose à la fois une origine géographique et des standards de production visant à homogénéiser la qualité du produit serait, selon Starbucks, préférable. Et l’entreprise de remarquer que cela fonctionne très bien pour les cafés qui bénéficient déjà de telles appellations (comme le café des montagnes bleues de la Jamaique).
– Accessoirement, Starbucks n’est pas une entreprise qui s’enrichit au détriment des agriculteurs producteurs de café. L’entreprise est l’un des premiers acheteurs de café du commerce équitable aux USA, et achète son café à un prix moyen supérieur au prix du marché. L’entreprise contribue aussi à des dispositifs d’aide aux agriculteurs via le microcrédit ou l’assistance technique. Cela fait partie de son image de marque et ils n’auraient que peu d’avantages à la perdre.
– Selon Starbucks, un système de marques déposées régionales, plutôt qu’un système d’appellations contrôlées, aurait pour effet de dégrader l’image du café éthiopien. Cela créerait en effet des complications juridiques risquant de dissuader les grossistes, ou pire, à les conduire à acheter le café hors marque et à le revendre sans mention du nom (pour éviter d’avoir à payer des royalties au gouvernement éthiopien), détruisant le potentiel de la marque.
– c’est le point totalement absent de l’article du Monde : Starbucks et les éthiopiens ont un intérêt commun, qui est de préserver la marque; pour les deux camps, il s’agit de retirer de celle-ci le plus fort revenu possible; la seule question est de savoir quel est le mode le plus efficace pour cela. C’est làdessus que reposent les négociations. Or l‘argumentation de Starbucks n’est pas sans failles : si le système de l’appellation contrôlée fonctionne bien dans des petits pays ou de petites régions, il serait complexe à mettre en place en Éthiopie où le café concerne trop d’acteurs, producteurs et intermédiaires. A l’inverse, un système de marque déposée, dans lequel chaque utilisateur du nom doit payer au gouvernement éthiopien, détenteur de la marque, est plus simple. Sauf que cela néglige un aspect important : l’Ethiopie est l’un des pays les plus corrompus du monde (accessoirement, en état de guerre larvée permanente avec son voisin d’Erythrée…) et il n’est pas certain du tout que l’argent collecté sous cette forme de marque déposée aboutisse aux agriculteurs. Alors qu’un système d’appellation conduit à acheter directement le produit à un prix plus élevé aux producteurs respectant les règles de cette appellation.
Au total, l’affaire est plus compliquée que la simple opposition entre les pauvres paysans exploités et l’odieuse multinationale avide de profits. Elle pose, accessoirement, des questions pour le problème très actuel de la propriété intellectuelle. Le système des marques déposées repose sur l’utilisation de la propriété intellectuelle; celui de l’appellation d’origine ne repose pas sur un monopole mais sur une information fournie aux consommateurs (sur la région d’origine et le mode de production) conduisant celui-ci à payer plus cher. En cela l’appellation d’origine constitue probablement un mécanisme plus satisfaisant dans l’absolu, si ce n’est en pratique.
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Merci de cet éclairage. L’article m’avait paru tres mauvais à première lecture, mais sans pouvoir dire pourquoi, et je ne suis pas allé chercher les autres articles.
Merci pour cette mise au point, j’allais photocopier avec satisfaction l’article du Monde pour des élèves…sans autre information. j’étais très content de la version "les méchants contre les bons" car cela m’énerve de voir fleurir ces échoppes homogènes entre une boutique de fringue clonée et un macdo. Vous cassez tout merci quand même. Dans le doute j’irai au Malongo café.