Un blog, ça aime les sujets d’actualité. Alors, voilà un thème d’actualité : l’enseignement, dans le secondaire en particulier. En préliminaire, je tiens à préciser un point : un fonctionnaire de l’éducation nationale, dans un contexte normal, ça fait ce qu’on lui dit de faire, c’est-à-dire appliquer la politique éducative de la nation. Ce qui veut dire qu’en tant que fonctionnaire de l’éducation nationale, j’ai toujours fait ce qu’on me disait de faire. Si demain on m’impose de porter un costume pour aller travailler, je porterai un costume pour aller travailler (rigolez pas, j’ai rien de spécial contre les costards – j’en porte aux enterrements – mais ce n’est pas mon choix premier…). Ce billet est le premier d’une série qui n’aurait dû former qu’un texte. Devant sa longueur croissante, j’ai choisi de le diviser en plusieurs. Ce qui ne me contente pas forcément, car j’y perds le liant qui m’a conduit à l’écrire. Cependant, la lisibilité y gagnera largement.
C’est Ségolène Royal qui a remis sur le devant de la scène, a priori bien malgré elle, cette question du temps de présence des enseignants dans les établissements scolaires. Outre les réticences pour convenance personnelle, mettre en place des horaires de bureau pour les enseignants pose des problèmes, d’ampleur plus ou moins mesurable. Initialement, je voulais parler de l’utilisation productive que peuvent faire les enseignants de ce qu’on appelle souvent “temps libre” ou plus respectueusement et moins souvent “lattitude dans la répartition de leur charge de travail et d’auto-formation”. Faute d’arguments réellement objectifs, j’ai décidé de laisser ça de côté. Je ne voudrais pas qu’une simple conjecture éclipse deux aspects bien moins contestables du problème des 35 heures :
– envisage-t-on de mieux rémunérer les enseignants ? Si oui, comme c’est le cas des pays qui demandent un temps de présence et un investissement dans la vie de l’établissement plus important, alors il faudra budgéter cette hausse des traitements. Gageons que ce n’est pas vraiment le moment et que Bercy s’étranglerait en recevant la facture, y compris si les programmes de réduction des effectifs sont menés à bien. Sinon, un tel projet n’aura jamais l’adhésion des enseignants et, faute de mieux, leur effort s’en ressentira. En un mot, viendra le règne de la garderie. Il faut avoir en tête les ordres de grandeur qui suivent pour se faire une idée sur la question.
Source : OCDE, 2006
– Surtout, les infrastructures adaptées à un tel fonctionnement sont tout simplement inaccessibles. Le taux d’occupation des salles de classe est élevé dans les établissements scolaires (d’autant plus, cela concerne les lycées, que des salles spécifiquement équipées sont nécessaires). Les salles des profs et salles de travail sont à peine capables d’accueillir les quelques égarés du moment. Ce problème d’espace se décline de deux façons dans la perspective d’une présence permanente. D’une part, il faut prévoir des lieux de travail pour les activités encadrées supplémentaires, en présence d’élèves. Ce qui est concevable, ponctuellement et pour un nombre de classes limités, devient inimaginable en permanence. D’autre part, les enseignants présents sur place sans élèves en responsabilité doivent avoir un bureau pour travailler (peut-on imaginer que ce ne soit pas le cas ?). S’ils doivent y préparer des cours, alors il devra y avoir un véritable espace de travail personnel. Même en imaginant des salles partagées, la superficie supplémentaire requise est rapidement conséquente. Sur les sites où des possibilités d’extension des locaux sont possibles, les coûts seront à la mesure du marché de l’immobilier ou de la construction. Dans les zones où les possibilités d’extension n’existent pas (penser aux établissements en hyper centre ville), que fera-t-on ? A part délocaliser, on voit mal que faire. Ce ne serait pas sans coûts là aussi (et en termes de carte scolaire, joli remue-ménage…). De ce point de vue, il existe une forme de marchandage entre les profs et l’éducation nationale, qui fait supporter le coût des bureaux des profs aux enseignants eux-mêmes, à leur domicile. Quelle que soit la taille de ce bureau, d’un coin de pièce à une pièce entière, c’est ainsi que cela fonctionne. En échange, les enseignants sont plus longuement à leur domicile (encore faut-il que ce soit considéré comme toujours agréable). Ce coût est immobilier mais touche également l’outil de travail. Les enseignants paient eux-mêmes leurs ordinateurs, sauf dispositifs locaux de subvention par les collectivités locales (même chose pour les logiciels, avec parfois des licences à prix réduit), leurs cartouches d’encre, etc. En l’état, ils ne s’en plaignent pas. Si l’on passait à une organisation avec présence permanente, ces coûts seraient transférés partiellement ou totalement à l’établissement.
Pour cette seule et dernière raison, la semaine de 35 heures pour les profs du secondaire est un projet irréaliste. Claude Allègre ne s’y était d’ailleurs pas trompé quand il avait préconisé deux heures de présence supplémentaires pour assurer un suivi individualisé et une heure de moins devant la classe. Outre que cela ne nécessitait pas de discussions spécifiques sur les salaires, c’était très faisable à infrastructures identiques. Etrangement, personne n’évoque jamais les deux points présentés. Que le premier puisse être considéré comme négligeable – sous-entendu, on ne paiera pas plus – soit. En ce qui concerne le second, il serait bien plus compliqué à résoudre.
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Et une durée de présence plus longue sur l’année?
Pourquoi pas ? Mais :
– Pour quoi faire ? En présence des élèves (qui ont déjà parmi les heures les plus lourdes dans l’OCDE ? Quelle valeur ajoutée pour les élèves ?
– A quel coût là aussi ?
SM
La suggestion de Blaise n’est pas dénuée d’intérêt, il me semble. Les locaux sont certes sur-occupés en période scolaire, mais vides en période de vacances. Comme il est par ailleurs possible d’argumenter que les journées scolaires sont trop longues, il y a peut-être lieu d’envisager une réallocation du temps total.
Les exemples ou idées ne manquent pas, avec des modèles où l’essentiel des cours ont lieu le matin, et l’après-midi les élèves doivent participer à des activités socio-culturelles et sportives de leur choix, mais piochées dans une liste limitative, faisant appel aux associations locales.
Evidemment, cela ne se fait pas non plus à budget constant, et le problème de la fourniture d’un outil de travail digne de ce nom (vous auriez aussi pu évoquer le triste état des bibliothèques scolaires, souvent à peine suffisantes pour les besoins des élèves, donc très en-dessous de ce qui est nécessaire pour préparer un cours) demeure. D’autant plus qu’un tel réaménagement du temps scolaire impose de revenir sur l’absurdité pédagogique que sont les grandes vacances. On entend d’ici hurler le secteur du tourisme.
Je ne pensais pas que la remarque de Blaise soit dénuée de sens, mais à préciser. D’accord pour voir les choses de cette façon, car je considère que les rythmes scolaires du secondaire sont abrutissants et nuisible à la construction de l’autonomie des élèves par le peu de temps qu’il laisse disponible au travail personnel. Mais pour en revenir au sujet précis du billet, on ne fera pas 35 heures avec un réamanégement des rythmes sur les vacances. La marge de manoeuvre n’est pas suffisante. En revanche, ça peut faire une amélioration à masse salariale quasi constante. Et, en allant plus loin, oui, on pourrait imaginer de réduire les heures de cours, et de réduire les effectifs enseignants en conséquence.
SM
Il me semble que l’éducation nationale est un cas d’école sur les blocages de la société française ;
Nous disposons d’un système cohérent et très contraint.
Localement, il y a une série de dysfonctionnement parfois grave (inégalité des établissements et des destins des élèves, violences etc…). Au plan national, la France consacre un budget par élève sensiblement plus élevé que la moyenne de l’OCDE avec des résultats médiocres. (http://www.oecd.org/dataoecd/27/...
L’ensemble des acteurs (enseignants, dirigeants d’établissement, fonctionnaires de l’éducation national, politiques, parents d’élèves…) pense que la situation n’est pas optimale et pourrait être améliorée.
Mais la réforme est malheureusement impossible. L’EN dans l’espace des contraintes, occupe un minimum local. Toutes mesures proposées à pour effet de déplacer légèrement les équilibres et donc de déplacer l’EN en dehors de cette optimisation locale. Et donc les mesures ne sont pas appliquées.
A ce sujet, la suppression de la carte scolaire proposée par les deux candidats principaux à de grande chance d’être enterrée ou d’être contre productive dans la mesure où :
– Les établissements délaissés n’auront pas de moyens supplémentaires pour contre balancés les choix des parents
– Ces établissements ne seront pas fermés
Toutes les mesures qui peuvent être proposées trouvent immédiatement leur réfutation. C’est vrai pour les 35 heures, cela est vrai pour l’accroissement de l’autonomie des chefs d’établissement et de façon générale de toutes les mesures importantes.
Le seul degré de liberté qui existe dans le système est vide d’effet pratique. Il s’agit des programmes scolaires. Cela permet au pays de s’occuper de la question, sans la faire avancer.
Intéressantes réflexions de gens du nord. Je vous invite à venir travailler dans les salles de classe du sud au mois de juin ou septembre (je ne parle donc pas des deux mois les plus chauds : juillet et août) : 36° en pic cette année dans la classe. Ce ne sont pas les périodes ou le meilleur travail est effectué …
" on ne fera pas 35 heures avec un réamanégement des rythmes sur les vacances. La marge de manoeuvre n’est pas suffisante "
c’est une plaisanterie !!
Sachez que je ne plaisante plus beaucoup sur ces questions.
comptons à la louche les vacances d’un professeur
Compter les “vacances des professeurs”, c’est prendre un très mauvais départ idéologique. Elles sont d’abord celles des élèves.
– Toussaint 1.5 semaine
– Noel 2 semaines
– Fevrier 2 semaines
– Paques 2 semaines
– Ete 7/8 semaines ça depend de la charge sur les corrections des epreuves type brevet / bac…
bon an mal an 15 semaines de vacances par an sur 52 soit 29% du temps annuel; on doit bien pouvoir trouver 3/4 semaines par ci par la pour retrvailler sur les rythmes scolaires
Il ne vous aura pas échappé que léconomiste faisait allusion aux vacances d’été, supposant que les autres étaient justifiées en matière de rythme scolaire. Pas pour les profs, pour les élèves. Il ne vous échappera pas non plus que vous n’arriverez pas à faire 35 heures hebdomadaires avec vos 3/4 semaines de battement. Or, c’est bien de cela dont il était question, vous avez repris ma formule qui était, dois-je le rappeler : ” on ne fera pas 35 heures avec un réamanégement des rythmes sur les vacances. La marge de manoeuvre n’est pas suffisante”. Passer à 35 heures de présence, c’est presque doubler le temps de présence. Vos 3/4 semaines seront notoirement insuffisantes pour cela, sauf à supposer que les enseignants travaillent déjà 3/4 semaines par an. Question plaisanterie, je crois que je ne suis pas le plus à blâmer…
SM