A quoi servent les économistes? Poser la question peut sembler paradoxal, tant les sujets économiques forment une part importante des débats publics. Les sujets économiques certes, mais qu’en est-il vraiment de l’expertise des économistes sur ces sujets? Celle-ci, par contre, semble fort peu utilisée ou écoutée. Comment l’expliquer?
J’ai trouvé un commencement de réponse à cette question dans un article tiré de ce recueil de Thomas Schelling. L’actualité récente nous a donné, avec le CPE, un exemple d’un sujet fondamentalement économique, mais dans le traitement duquel l’expertise est passée totalement au second plan. Ce qui a été frappant dans ce débat en effet, c’est à quel point il était pauvre en données. Les partisans du contrat disaient que la flexibilité du travail est nécessaire et crée des emplois, sans jamais prendre la peine d’annoncer ne fût-ce que des ordres de grandeur; les opposants au projet n’étaient pas d’ailleurs plus intéressés par les données. Eux-mêmes répétaient que le CPE allait considérablement augmenter la précarité, sans qu’à aucun moment on prenne la peine de se demander quelle serait la précarité supplémentaire réellement induite par ce contrat (en comparaison d’autres formes courantes de recrutement actuellement). Et ce n’est pas parce que des analyses n’existaient pas; bien au contraire, de nombreux économistes se sont exprimés sur le sujet, pour dire toujours la même chose : que ce projet de contrat n’aurait qu’un effet dérisoire sur l’emploi, qu’en bref, cela ne valait pas le coup. Une simulation menée par deux économistes a fait l’objet d’un article de journal, dans l’indifférence générale : ni les partisans du contrat n’ont dit par exemple que “créer 70 000 emplois sans coût pour le budget de l’état, c’est une bonne affaire”, ni ses adversaires que “produire potentiellement tant de désagréments pour les jeunes salariés pour un gain aussi faible” ne s’y sont intéressés. On en est resté au choc des mantras “flexibilité qui crée des emplois pour le 21ème siècle” d’un côté, “précarité qui prive la jeunesse d’espoir de l’autre”. Beaucoup plus que l’ignorance économique, il faudrait parler d’indifférence intégrale à l’économie et à ce que les économistes ont à dire, d’un côté comme de l’autre. Si le gouvernement avait pris la peine de s’intéresser un peu à ce que les économistes avaient à dire, jamais il n’aurait pris la peine de risquer autant pour aussi peu. L’enjeu du débat était inaccessible à toute présentation des faits et des expertises.
Faut-il voir là une indécrottable incapacité des français à adopter le raisonnement économique? Probablement pas, si l’on en juge par la façon dont le débat a été mené à l’étranger. A quelques rares exceptions près, les commentateurs étrangers en sont restés à une présentation générale, totalement déconnectée de l’analyse économique du problème concret. Les français sont aveugles face à l’avenir et refusent le changement (sans même se demander pourquoi le CNE n’avait lui suscité aucune opposition); le gouvernement est bien intentionné, car la flexibilité du marché du travail est une bonne chose et le marché du travail français trop rigide, “il faut sauver la réforme”. La question n’est pas de savoir si ces aspects sont justes ou faux, mais simplement constater que ces discussions sont parfaitement déconnectées d’une quelconque analyse académique de la nature du CPE et de ses effets potentiels.
Faut-il s’en étonner? Pas vraiment. Après tout, sur de nombreux sujets qui constituent le débat public, les discussions se déroulent de façon pratiquement entièrement déconnectée d’une analyse économique qui sans fournir de réponse définitive, pourrait être susceptible de fournir une expertise et des résultats sur la question. Quelques exemples :
– l’immigration. Il est étonnant de constater à quel point les effets économiques de l’immigration, qui constituent pourtant un enjeu important de ces questions, sont présentés le plus souvent de façon elliptique, sous forme d’idées générales qu’on ne prend que rarement la peine de vérifier. Les uns disent que l’immigration exerce une pression à la baisse sur les bas salaires, qu’elle génère des coûts pour les systèmes sociaux, d’autres qu’au contraire elle est nécessaire à l’équilibrage des comptes sociaux et que les emplois occupés par les migrants sont plus complémentaires que substituables aux emplois occupés par des nationaux “de souche”. Personne ne prend la peine d’aller vérifier ce que disent les données; et lorsqu’elles existent, elles ne participent que de façon marginale à la définition des politiques migratoires ou même au débat sur le sujet. Les gens qui débattent inlassablement des effets de l’immigration ne prennent que rarement la peine de dépasser une analyse fondée sur trois chiffres le plus souvent inventés et peu interprétés.
– la législation sur les stupéfiants. Là encore, le débat est vif et totalement déconnecté de la moindre analyse des faits. Une légalisation de la consommation de cannabis augmenterait-elle la consommation? Dans quelle mesure? Quel serait l’effet d’une légalisation limitée de la commercialisation de ce produit sur la demande? Quel est l’ampleur réelle de l’économie parallèle de commercialisation, et en quoi serait-elle touchée par une légalisation limitée? La distribution de seringues pour les toxicomanes augmente-t-elle leur nombre ou les pratiques risquées? Là encore, il semble que personne ne soit particulièrement interessé par une réponse claire à ces questions : Il existe des études économiques sur ces sujets, bien évidemment limitées, mais qui ne semblent jamais particulièrement être nécessaires, ni demandées, ni consultées lorsqu’elles existent.
– et ça n’est pas le moindre des paradoxes, la politique budgétaire. La variable la plus observée est celle du déficit ou de l’endettement public, alors que d’un strict point de vue économique, c’est la dépense publique qui est déterminante, son mode de financement (impôt ou dette) étant une question secondaire. On voit des gouvernements prendre l’engagement solennel de ramener le déficit public à zéro (ou, comme aux USA, des parlementaires chercher à faire passer des lois imposant l’équilibre budgétaire au gouvernement), sans que l’on se demande si un déficit comptablement mesuré à zéro est une bonne ou une mauvaise chose ou si une position différente des comptes publics serait meilleure. En Europe, les “critères de convergence” ont été fixés sans qu’il soit possible d’avancer un raisonnement économique faisant d’un niveau de déficit public de 3% du PIB un niveau satisfaisant. Les débats économiques sur la question ne semblent pas influencer particulièrement politiques et commentateurs, et ceux-ci ne semblent guère interessés par la définition de ce que pourrait être une politique budgétaire satisfaisante.
On pourrait multiplier les exemples, pour aboutir toujours à la même question : pourquoi sur tous ces sujets, pour lesquels l’analyse économique pourrait apporter des données, ne s’intéresse-t-on pas aux données réelles? La réponse est en fait assez simple : ces différents sujets, sur lesquels les économistes pourraient apporter des éléments d’analyse, portent sur des jugements de valeur, des oppositions de systèmes de valeurs, beaucoup plus que sur l’analyse de faits, et de considérations simplement techniques.
Nous voyons donc une première raison pour laquelle l’analyse économique n’est que peu utilisée là ou elle pourrait être utile. C’est qu’elle touche le plus souvent à des domaines pour lesquels ce sont les jugements de valeur qui sont déterminants. Il est assez compréhensible que dans des débats qui concernent des choix de valeurs fondamentaux, ce sont les valeurs qui prédominent, les faits et les analyses étant considérés comme secondaire. Est-ce la fin de l’explication? Normalement, non. Après tout, même pour les choix mettant en jeu des jugements de valeur, la connaissance des faits et des analyses devrait pouvoir apporter des informations utiles. Si un certain objectif est considéré comme désirable, l’analyse économique peut fournir des éléments de compréhension des moyens permettant d’atteindre au mieux cet objectif.
Mais est-ce toujours possible? il y a 10 ans, Victor Fuchs, ancien président de l’American Economic Association s’est livré à l’expérience suivante. Il a constitué une liste des meilleurs économistes spécialistes de la santé, ainsi que quelques-uns des récents docteurs les plus prometteurs de ce domaine, et leur a envoyé un questionnaire sur le système de santé des USA. Les questions (des énoncés avec lesquels les personnes interrogées devaient répondre “d’accord” ou “pas d’accord”) étaient de deux types : des questions “positives” portant sur des jugements de fait, comme par exemple “les changements technologiques sont le principal déterminant de la hausse de la part des dépenses de santé dans le PIB américain” ou “le remboursement des soins conduit de nombreux patients à consommer des soins leur apportant un gain inférieur à leur coût, et ce phénomène compte pour au moins 5% des dépenses de santé totales”. Le second type de questions était de type “politiques et valeurs”. Cela comprenait des affirmations comme “les USA devraient viser un système de soins universel financé par l’impôt, avec subventions explicites aux pauvres et aux malades”, ou alors “les compagnies d’assurance-santé devraient traiter tous leurs clients de la même façon, et ne pas avoir le droit de faire payer des primes d’assurance plus élevées aux clients ayant des problèmes de santé”.
Fuchs a alors constaté un résultat étonnant de prime abord, mais finalement pas tant que cela. Les questions “positives” ont fait l’objet d’un très fort degré d’unanimité. Les deux questions ci-dessus, par exemple, ont été approuvées par respectivement 81% et 84% des répondants. Par contre, à une exception près, aucune des questions “politiques et valeurs” n’a pu atteindre un niveau minimal de consensus : pour l’essentiel d’entre elles, les réponses étaient presque également réparties entre “d’accord” et “pas d’accord”. C’est un résultat étonnant : voici des gens appartenant à un milieu très homogène (des universitaires économistes, peu hétérodoxes), spécialisés dans le même domaine, tous d’accord sur la réalité et les faits; pourtant, lorsqu’on leur demande de porter un jugement normatif, ils sont comme tout le monde, et se divisent entre opinions contradictoires.
On pense souvent que pour faire une bonne analyse économique, il est nécessaire de mettre ses jugements de valeur de côté le temps du raisonnement. Un bon étudiant est celui qui, sur des sujets comme l’effet des échanges commerciaux, des subventions diverses, des restrictions aux mouvements de capitaux, des taxes, de la protection sociale, parvient à tenir un raisonnement en mettant de côté ses jugements de valeur, pour ensuite, une fois qu’il sait qui gagne, qui perd, et pourquoi, trouver la façon la meilleure de voir ses valeurs personnelles satisfaites. On espère que de cette façon, son jugement sera plus éclairé. Mais l’expérience de Fuchs montre que même des économistes remarquablement homogènes peuvent ne pas parvenir à un consensus quelconque en matière de préconisations, alors même qu’ils voient tous la réalité de la même façon. George Stigler disait que le malheur de l’économie vient de ce qu’on ne demande rien aux économistes sur les sujets sur lesquels ils savent beaucoup de choses et sont tous d’accord, alors qu’on leur demande beaucoup de choses dans les domaines où ils savent peu et sont en désaccord : mais étant donné que les problèmes économiques sont souvent bardés de questions de valeurs et de préconisations, il y a de bonnes chances pour que cela dure longtemps.
On peut tirer deux conclusions de tout cela, une optimiste et une pessimiste. La conclusion optimiste, c’est que les progrès en matière d’analyse économique finissent par avoir un impact sur les politiques, en les éclairant. On peut citer à ce titre les questions de politique monétaire, qui sont aujourd’hui nourries par l’analyse économique. Les débats dans ce domaine, les politiques qui y sont menées, ne laissent plus de côté les débats et analyses académiques. Dans une certaine mesure, les questions d’environnement commencent, elles aussi, à être appréhendées à l’aide d’outils économiques qui alimentent les réflexions. L’idée de chercher les instruments qui permettent au mieux d’atteindre un objectif fixé par ailleurs fait petit à petit son chemin. Même si le jour ou, comme l’espérait Keynes, l’économie sera une discipline de praticiens compétents, comme les dentistes n’est pas pour demain, les progrès académiques ont un impact sur la façon d’appréhender les questions de valeurs.
La conclusion pessimiste part elle du constat que, dans de nombreux domaines, nos sociétés tendent de plus en plus à confier des choix à des comités d’experts “indépendants”, afin de placer les décisions au-dessus de la mélée et des subjectivités : comme si l’expertise scientifique pouvait trancher entre valeurs et opinions inconciliables. Si en matière économique les experts ne sont finalement que peu écoutés, dans d’autres domaines, les décisions qui touchent à la science sont confiées à des experts dont on doit de plus en plus souvent suivre les avis, faute de disposer de connaissances suffisantes : en matière environnementale, par exemple encore, cette tentation n’est jamais très loin. Or, ce que nous montre l’exemple des économistes, c’est que lorsque la question porte sur des aspects de politique faisant appel à des jugements de valeurs, un consensus entre experts sur la réalité des faits n’est absolument pas une garantie d’unanimité. Nous espérons dépasser par le haut et l’objectivité scientifique les oppositions en confiant les décisions à ceux qui savent : mais le plus souvent, nous nous contentons d’éliminer le débat en conservant la subjectivité.
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Excellent Post.
Deux commentaires. Premièrement, lorsque vous parlez de l’importance des dépenses publiques, vous dîtes "d’un strict point de vue économique". Je trouve qu’il faudrait abandonner ce type d’expression. Elle sous-entend pour de nombreuses personnes que l’argument est sans pertinence et contribue au problème que vous soulevez. De plus cela n’ajoute rien. Qu’un argument soit économique, juridique, médical ou autre n’apporte rien à sa pertinence.
Deuxièmement, il me semble qu’on peut ajouter une autre explication à la faible influence des économistes : c’est souvent difficile (coûteux !)de comprendre leurs explications pour des non-initiés et cela les met dans une position d’infériorité qui ne convient pas à la haute idée qu’ils se font d’eux mêmes. De nombreux ministres et chefs d’Etats, qui se croient bien informés, doivent ainsi être renvoyés aux premières pages de manuels d’introduction à l’économie sur des sujets, tels que le chômage, qu’ils pensent parfaitement maîtriser. L’ouvrage de Paul Krugman, La mondialisation n’est pas coupable, contient à cet égard une analyse savoureuse d’un discous de Jacques Delors (pas pire que les autres d’ailleurs).
Les questions journalistiques adressées aux économistes s’articulent 9 fois sur 10 autour d’un jugement de valeur. C’est tragique, mais c’est comme ça (la culture scientifique du journaliste de base est faible) et puis c’est représentatif du quidam q’u’on croise à un repas de famille de base (même si la rigueur y est moins de mise).
Mais le pire c’est que de trop nombreux économistes mettent en avant leur titre universitaire pour donner du poids à leur opinion politique. La proportion est d’ailleurs très très forte chez ceux qui ne se soumettent pas aux critères d’évaluation standards (revues internationales à comité de lecture…).
Tout ça pour dire que la première chose à faire (à mon avis), pour l’économiste, est de déminer le problème qui lui est posé en séparant les problématiques qu’ils va discuter (parce qu’il est compétent dessus) et les questions pour lesquelles son opinion n’est pas plus pertinente que celle du citoyen lambda.
A la manière du juge d’instruction qui essaye plus ou moins finement de faire dire au psychologue si le suspect est coupable, l’élu de base voudrait bien que l’économiste prenne à sa place la bonne décision. Mais de même que le psychologue ne va répondre qu’à une question de type "ce suspect a-t-il une pathologie donnée?", l’économiste doit recadrer la demande qui lui ait faite. Chacun son boulot et sa responsabilité.
Typiquement, dans le cadre d’une politique publique, ce n’est que lorsque l’élu a défini ses obejctifs que l’économiste peut lui indiquer la manière la plus efficace (théoriquement et/ou statistiquement) de les atteindre.
Le rôle de l’économiste est de dire honnetement à son interlocuteur, chaque fois que nécessaire, que tel ou tel point relève d’un programme politique et pas de sa compétence.
Qui est-ce qui signe le propos de la pub pour The Economist ?
Tres intéressante analyse.
Une remarque cependant : sur le CPE, qd meme, notons que les questions sociales (chx de modele de société) sont préalables aux modalités (dans lesquelles, entre autres outils, l’économie peut servir). En occultant le premier débat, le gvt a rendu sans objet le second !
Par ailleurs notons que, plus qu’une analyse "économique", ce dont ces sujets ont besoin c’est d’une analyse sérieuse au fond. Prennon l’exemple d’une grande entreprise : avant de lancer ses projets (et parès) elle analyse et elle teste bien plus que le gouvernement. Est-ce de "l’analyse économique" ? Non, c’est du professionnalisme !
Certes des que l’on touche à l’agrégation des comportements individuels on rencontre l’économie. Mais on rencontre aussi a sociologie, le marketing, la statistique. Pour paraphraser une remarque célèbre, les économistes n’ont pas le monopole du cerveau !
@Laurent : quand j’écris "d’un strict point de vue économique", c’est pour dire qu’il existe d’autres dimensions dans lesquelles cet aspect a de l’importance, comme par exemple, dans le cas des dépenses publiques, la dimension symbolique. Vous me direz que c’est sans rapport avec la réalité, mais le fait est que les symboles, en la matière, ont plus d’influence sur les politiques menées que les économistes.
Concernant le second argument : c’est vrai, mais il y a plein de choses compliquées et pas forcément faciles à comprendre dans la vie pour lesquelles on n’hésite pas à faire appel à l’avis d’un expert (par exemple, réparer le moteur de sa voiture). Là, on parle d’une situation ou non seulement on n’appelle pas l’expert, mais qui plus est, son avis n’est pas déterminant; ce qui est paradoxal sauf si on prend en compte le fait que dans les questions symboliques et de valeurs, la réalité ne compte pas.
@William : dans l’absolu vous avez raison sans doute : en pratique, étant donnée la nature de l’essentiel des problèmes économiques, c’est très difficile à faire.
@curieux : dans la pub originale, c’était signé "management trainee, age 42" 🙂
@V : oui, on rencontre d’autres disciplines : mais sont-elles plus écoutées? Je n’en ai pas parlé parce que je voulais concentrer mon propos (déjà long) sur l’économie; mais les analyses juridiques, par exemple, sont-elles plus déterminantes? De façon générale, c’est toute l’analyse (pas seulement l’économique, je suis bien d’accord que sur tous les problèmes présentés, elle n’est pas seule à apporter potentiellement des réponses) qui est absente de ces questions. Concernant les grandes entreprises, je pense que la difficulté à faire preuve de rationalité y est aussi grande que dans un gouvernement. La seule différence, c’est que le darwinisme agit un peu plus sur les entreprises que sur les gouvernements.
William : Je trouve ton parallèle avec les questions posées par un juge à un psy très bien vu. C’est une image que je vais réutiliser.
Oui, par "entreprise", je veux dire "structure soumis a un certain niveau de pression sur le rapport cout/benefice". Certaines grosses entreprises (monoipoles publics de l’energie) y echappent plus que l’Etat car elles peuvent faire payer leurs couts sans limite (alors que l’Etat a une limitation des depenses depuis 10 ans.
Mais un processus clef d’une entreprise d’un envirronnement concurrentiel evolue generalement par warwinisme vers des modes d’organisation adaptes au rapport cout/benefice…
V.: On peut aussi considérer que le manque d’incitations dont jouit un monopole de fait ou de droit à contenir ses coûts de fonctionnement a d’une part un effet positif sur les intérêts ceux qui le servent et d’autre part favorise, à terme, l’extinction de ce monopole : ce qui est vrai pour l’énergie en France est tout aussi vrai pour la Microsoft Corporation ou le détenteur de brevets médicamenteux.
De la même manière qu’un monopole sur la production d’énergie se verra concurrencé par un système de production locale d’énergie associé à des économies… d’énergie, la Microsoft Corporation se retrouve concurrencée par une horde de pingouins teigneux et les capitalistes du monde de la pharmacie par l’innattendu renouveau de l’herboristerie (interdite sous Vichy, jamais réhabilitée depuis), notamment en librarie. Sans pour autant nécessairement couvrir tout le champs couvert par le monopoliste, la concurrence menace l’existence même du monopole en lui retirant une partie de l’espace sur lequel il se nourrit sans pour autant lui fournir les moyens de réduire son appétit.
Une fois énoncés ces classiques arguments du "laisser-faire", se pose la question de l’utilité de tout raisonnement économique, puisque l’économie, refusant d’être assimilée a un art, se donne une vocation profondément utilitariste, ce qui ne permet pas de prime abord de la considérer au même titre que la philosophie ou même la psychologie. Puisque ce raisonnement économique, bien que délibéremment utilitariste, se donne rarement un but utilitaire bien explicite, et puisque l’ensemble des finalités poursuivies par l’ensemble des économistes par le biais de leurs travaux ne sont pas cohérentes entre elles, à quoi bon tenir quelque compte que ce soit de quelques travaux économiques que ce soit, puisqu’on ne peut, en tant que profane, qu’ignorer quelles causes parmi les possibles ces travaux défendent, quels intérêts ils servent, et sur quels postulats ils reposent d’une part, mais aussi si leurs seule existence représente un mieux à quelque sens du terme que ce soit par rapport à l’ignorance la plus totale de toute science économique (qui prévalait jusqu’à ce que l’économie elle-même soit en mesure d’absorber ces improductifs sont les scientifiques sans pour autant avoir disposé de science économique pour y parvenir).
Car après tout, une fois acceptés l’ensemble des postulats exigés par un économiste pour fonctionner, n’a-t-on pas stérilisé tout débat politique ou même simplement social ? Quel intérêt peut-on par exemple porter au CNE (et aux travaux ne sachant considérer que son existence ou son absence) quand on considère que promouvoir la servitude par l’emploi n’a d’intérêt qu’à condition de bien considérer ce que le salarié obtient en contrepartie de la servitude à laquelle il consent en signant son contrat de travail plutôt que de bien vouloir raisonner dans les présupposés innombrables préalables à ce raisonnement en particulier ? D’une certaine manière, on retrouve la blague de Samuelson (citée dans la section blagues du site), mais appliquée aux finalités plutôt qu’aux postulats du raisonnement.
En matière d’économie comme dans toute science en général, il convient de ne jamais oublier que la beauté du raisonnement scientifique ne suffit pas à obtenir le respect social prétendu dû au travail scinetifique, surtout à vocation utilitariste. Car après tout, nul ne doutera que d’excellents travaux scientifiques aient pu se baser sur les thèses de Lyssenko, et ce d’autant plus aisément qu’ils évitaient, très précisement, de s’interroger sur les travaux sur lesquels ils se basaient.
Mais, bien entendu, je suppose que les innombrables acteurs du secteur concurrentiel qui emploient de par le monde leurs propres économistes trouveront leur intérêt à ce faire. En ce qui concerne la recherche publique (aux deux sens du terme : publiée et financée par des fonds publics), peut-être considèrera-t-on simplement que les économistes, comme les physiciens, servent majoritairement (que ce soit du point de vue du budget ou de la matière grise) l’ambition de puissance de leur employeur : car, après tout, nul ne doute que l’investissement constant de l’état français dans les sciences de l’atome n’avait pas pour vocation première le bonheur individuel de qui que ce soit ou collectif en général. Et on ne s’étonnera dès lors guère d’une part du désintérêt des générations montantes pour les métiers de la physique (puisque les emplois s’y situent majoritairement dans le service de la puissance de l’employeur) tout en constatant le respect porté par l’imaginaire collectif à ces hommes comme Reeves ou Hawkins qui essaient, par la puissance d’une vision, de mettre à portée d’un peu tout le monde un certain regard sur l’homme et l’infini.
Comme les commentateurs précédents, j’aimerais vous remercier pour cet excellent post, qui ferait un op/ed de très bonne qualité pour un quotidien économique.
C’est amusant de voir comment les politistes se plaignent d’être inféodés à la politique, et comment les économistes se plaignent de l’inverse…
La revue de la DF "Problèmes économiques" avait sorti un numéro contre les idées reçues en économie. Un article en particulier était très intéressant : la compétence des économistes est-elle bien rémunérée ? (article original : Richard B. Freeman, "It’s better being an economist, but don’t tell anyone", J of Eco Perspectives, 13(3) 1999).
L’article n’évoque pas la rétribution symbolique, mais cette note y apporte un complément utile.
Je me permets de vous conseiller "Agir dans un monde incertain", de Callon, Lascoumes et Barthe.
C’est un livre analyse-plaidoyer pour l’entrée des sciences en démocratie (pour ce que j’ai lu pour l’instant, ils parlent plus de sciences "dures") en terme d’intégration dans le débat public, au lieu du rôle d’expert indépendant, mais pas toujours pertinent car à coté de la problématique, qu’elles ont aujourd’hui.
"Tout ça pour dire que la première chose à faire (à mon avis), pour l’économiste, est de déminer le problème qui lui est posé en séparant les problématiques qu’ils va discuter (parce qu’il est compétent dessus) et les questions pour lesquelles son opinion n’est pas plus pertinente que celle du citoyen lambda."
Oui mais…je viens d’aller sur le blog de Greg Mankiw,j’y lis un billet sur le deficit commercial et je vois pas un mais 3 points de vue different,tous d’econmistes reputes…lequel devrait etre ecoute ?
@econoclaste-Alexandre : OK pour le "strict point de vue économique" (encore que j’ai en peu trop lu Gary Becker, ce qui fait que l’aspect symbolique de la dépense publique ne me paraît pas clairement hors de champ de la science économique). En revanche, moins convaincu par l’exemple de la voiture dans la mesure où peu de monde se prétend expert en mécanique automobile, ou, d’ailleurs en physique, en biologie, en informatique, etc. (pour la médecine c’est un peu moins clair, encore que peu de monde refuse d’aller à l’hôpital pour une jambe cassée ou une appendicite). Ce qui me paraît particulier avec la science économique c’est que des personnes qui n’ont jamais ouvert un manuel d’introduction se prennent pour des experts (Krugman parle de "Accidental Theorist").
"Ce qui me paraît particulier avec la science économique c’est que des personnes qui n’ont jamais ouvert un manuel d’introduction se prennent pour des experts (Krugman parle de "Accidental Theorist")."
Le phénomène est aussi remarquablement courant en informatique. Vpoir par exemple : optimum.tooblog.com/?2006…
Lu hier dans George Bernard Shaw: "If all the economists were laid end to end, they’d never reach a conclusion." (Preface to "The Doctor’s Dilemma")
Dans la même ligne que ce post, Charles Wyplosz avait écrit une "étude" sur l’impact de l’expertise des économistes dans différents pays: <hei.unige.ch/~wyplosz/stg… "The culture of economic policy advice"
La France était relativement mal classée. Deux raisons principales (je résume à la grosse louche): les "élites" – comme au Japon – sortent souvent de la même école (ENA en france, Tôdai au Japon) et estiment donc ne pas avoir à s’adresser aux économistes puisqu’ils auraient une expertise dans le domaine de la gestion des affaires publiques, économie comprise.
Ensuite, l’économie ne serait pas perçue en France comme une science mais une comme une idéologie. Par exemple, défendre le libre-échange est une "opinion" – plutôt mal vue ces derniers temps d’ailleurs – et non le résultat d’une analyse scientifique de données collectées depuis des années sur l’impact d’une telle ouverture. Dès lors, défendre le protectionisme est tout aussi "admissible" – c’est juste une autre "opinion" – malgré le fait qu’il y ait plutôt un concensus en faveur de la première solution…
J’ai un peu retrouvé dans les commentaires des éléments que je désirais placer moi-même dans mes remarques… mais bon tant pis, je fonce quand même. :o)
Concernant l’interêt ou non des citoyens pour la "science" économique, elle provient en effet du fait que de trop nombreuses personnes ne sont pas initiés, et voient ainsi l’économie comme quelque chose de trop abstrait, à laisser aux spécialistes.
Il y aura beaucoup d’économie de comptoirs, de débats entre citoyens, etc personnellement, pour avoir plus ou moins activement participé aux manifestations et blocages lors de la crise du CPE, il ne se passait pas une journée sans mini-débats entre étudiants pro ou anti-CPE.
Par contre, il faut aussi se demander si la spécialisation et "l’élitisme" des économistes n’est pas un frein pour les non-initiés : on fait comprendre à de très nombreux citoyens que l’économie, c’est complexe, cela doit être réservé à des gens hautement formés, etc.
Résultat : beaucoup délaissent la réflexion économique, l’analyse ou même l’étude de ce domaine.
J’ai ouvert un blog "d’économiste de comptoir" à la base pour offrir de petits éléments à certains de mes amis ou contacts, à ce sujet. Le résultat est plus que positif, car dès lors que l’on explique très clairement certaines choses, certains se plongent dans ce domaine.
L’article "fondateur" de ce blog peut paraître franchement minable à des "initiés" de l’économie, des spécialistes en tout genre (polsoc.over-blog.com/arti… C’est une sorte de raisonnement keynesien très basique, et expliqué très lentement, très longuement.
Néanmoins, j’ai reçu pas mal de félicitations à ce sujet, parce que pour beaucoup, un "apprenti" spécialiste sortait un peu de sa tour d’ivoire, de ses manuels.
Un chercheur en statistique s’est même étonné du fait qu’il existait une propension moyenne à consommer qui pouvait varier selon le revenu d’un individu. Un type ayant un bac +8 en poche, quand même, et qui me disait quelques semaines auparavant qu’il pouvait intégrer le domaine financier.
Je me souviens que lors de mon entrée en fac d’éco, même votre site me paraissait vraiment flou, peu clair, quasi-incompréhensible. Je voyais peu l’interêt de certaines analyses, de certains propos, etc.
Comme disait Bourdieu dans l’un de ses discours, il faut que les spécialistes sortent de leur tour d’ivoire, s’ils se plaignent qu’on utilise ou que l’on comprenne mal leurs théories, sciences, propositions et engagements.
Autre fait qui m’a marqué : le "respect" et la curiosité d’amis -étudiants ou non- par rapport au domaine d’étude que j’ai choisit. (L’éco.)
Ben oui : nous discutons, et ils sont plein de questions, parfois ils demandent un ouvrage d’introduction, ils sont curieux et aimeraient plus s’y connaître dans ce domaine afin de mieux comprendre certaines choses.
Lorsque je débats sur un forum politique et que j’y introduis quelques éléments d’économie, je me retrouve quasiment à chaque fois avec des demandes "en privé" sur d’éventuels manuels d’introductions simples, sur de possibles aides afin de comprendre telle ou telle chose, etc.
Au final, j’ai beau être un simple étudiant très peu spécialisé, je me retrouve déjà avec un fossé gigantesque entre moi et des "non-initiés".
Je n’ai pas spécialement d’incompréhension par rapport à ce fossé : avant d’entrer en fac, je ne savais pas à quoi correspondait la croissance, le PIB, qui était Keynes ou Smith, si Marx avait écrit autre chose que Le Manifeste du PC, etc.
Autant vous dire que je n’avais JAMAIS entendu parler de types comme Friedman, que des termes comme "monétarisme" m’étaient inconnus, etc.
Ce sont sûrement les économistes qui doivent se poser la questions, aujourd’hui, au sujet de l’écoute que l’on fait d’eux.
Un peu comme De Villepin, qui expliquait encore récemment qu’on ne l’avait pas compris… lorsque l’on fait parti d’une certaine élite, on doit se remettre en cause lorsque les citoyens qui ont fournit indirectement de leurs fonds pour nous former et qui nous respectent n’arrivent plus à nous comprendre.
Amicalement,
AJC