Via Samuel Brittan, une petite question d’analyse économique.
Un explorateur se retrouve sur une île isolée, et il y achète un repas à un autochtone. Il paie son repas par chèque. Les autochtones, très impressionnés par les jolis dessins du chèque, se l’échangent mutuellement et le conservent sans jamais chercher à l’encaisser. Au bout du compte, qui a payé le repas de l’explorateur?
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Il y a deux réponses : la bonne est la seconde.
Première, la réponse « classique » : ce sont les autochtones. Au bout du compte, les ressources qu’ils ont consacrées au repas du visiteur ne sont compensées par rien, puisqu’ils n’encaissent jamais le chèque. Le visiteur a gagné un repas, et rien perdu, puisque le chèque n’a aucune valeur en soi et qu’il n’est jamais encaissé. Les autochtones ont perdu un repas, et rien gagné car ils n’encaissent pas le chèque.
Seconde, la bonne : la rencontre entre ce visiteur et ces autochtones a créé de la valeur. En effet, si le premier autochtone a accepté de faire un repas en échange de ce morceau de papier, c’est que la possession de ces jolis dessins compensait la perte due à la préparation du repas. Ces dessins, banals et donc sans valeur dans le pays du visiteur, sont rarissimes dans cette île, et les autochtones ne savent pas les reproduire. Au bout du compte, le visiteur a gagné un repas mais n’a rien perdu. L’autochtone qui a fait le repas a perdu un repas, et a gagné des dessins qui ont, à ses yeux, plus de valeur. Cette création de valeur liée à cette rencontre inhabituelle a été partagée entre le visiteur et les autochtones.
Je dirais que l’explorateur a payé pour son repas puisque les autochtones ont apprécié son chèque. De même Dali ou Picasso auraient pu payer leur addition au restaurant en signant sur la nappe (peut-être l’ont-ils fait…). Les deux parties bénéficient de l’échange lorsqu’il est librement consenti. Même si, comme ici, les parties ne savent pas exactement quel avantage l’autre retire de la transaction.
PS : Existe-t-il un cours d’économie qui ne serait fait que d’exemples de ce genre?
Si les autochtones utilisent le cheque comme moyen de paiement entre eux, c’est comme si leur banque centrale avait émis un billet de valeur égale au cheque.
Si l’on est monétariste, la monnaie étant neutre (MV=PT), cette augmentation de la masse monétaire entraîne une hausse des prix.
Si l’on est Keynésien, cette augmentation de la masse monétaire peut entraîner une hausse de l’activité économique, sous certaines conditions (ex : si l’info n’est pas parfaite dans l’île).
Dans les deux cas, le repas est payé par «la totalité de l’économie de l’île ». S’il l’inflation est proportionelle a la création monétaire, alors le repas est payé par tous les autochtones, puisque leur revenu réel baisse.
Non ?
Je crois que l’on peut dire que tant que le cheque n’est pas encaissé, il y a eu création de monnaie de la part de l’explorateur. Donc je serais tenté de dire les habitants de l’île par l’inflation que ce chêque a généré dans l’île.
On pourrait pratiquement remplacer l’explorateur par la puissance publique et les autochtones par les citoyens et l’histoire conserverait toute sa saveur !
C’est le contribuable qui a payé parce que c’est tout le temps lui qui paye : les salaires des fonctionnaires, les primes des grands patrons, les piscines des hommes politiques, les intérêts de la dette aux banquiers juifs chinois franc-maçons communistes extra-terrestres et les repas des explorateurs.
Désolé. Les trois précédentes réponses étaient intéressantes mais je n’étais pas en mesure de dire mieux.
c’était un troc, personne n’a donc payé… (voir l’entrée payer du tlfi: aucun troc n’y apparaît).
Pour payer, il faut que quelque chose garantisse par convention la valeur de la monnaie. Sur cette île, loin du Prince, sans culture commune entre les marchands et les indigènes, on ne peut donc se payer, serais je tenté de répondre, que la tête de l’examinateur.
Bon, je plaisante juste pour rappeller qu’un raisonnement économique suppose certaines institutions… Je crois donc qu’on peut remballer keynes, Hayek ou autre et à la limite, retourner à "l’essai sur le don" de Mauss. Parce que si notre explorateur ne revient pas rapidement avec de plus gros dessins, ne risque-t-il pas de finir dans la gamelle du chef indien?
Je suis donc tenté de répondre: l’article de Mr Brittan tombe à l’eau (du pacifique?) dès la première phrase: "Any IoU that is accepted in payment for services rendered can be regarded as money.". Mais je suppose que c’est une mauvaise réponse…
Celui qui se retrouve sans chaise a la fin, sauf si il y a une banque dans cette ile.
C’est très clairement le dessinateur qui se fait avoir. On lui a sans doute payé une misère pour illustrer un carnet de chèques. Pour le même travail, il pourrait mener une vie de coq en pâte sur cette île d’esthètes éclairés.
Mon précédent commentaire semble avoir eu un problème, alors je retente.
En l’occurrence, je disais qu’en fait c’est l’explorateur qui a payé son repas : contre lui il a donné un chèque aux autochtones. Ceux-ci l’ont trouvé beau et lui ont donné de la valeur. Même s’il ne sera pas encaissé, l’explorateur s’est désaisi d’un morceau de papier en échange d’un repas. Il s’agit d’une situation de troc.
J’aimerais surtout savoir combien d’explorateurs venus par la suite ont également pu payer par chèque avant qu’un autochtone se décide à en encaisser un…
Les autochtones ayant accepté le chéque comme moyen de paiement, la question est qui a payé le chèque
Dans une banque française où on ne fait pas payer les carnets de chéque, c’est la banque de notre explorateur qui a payé, puisqu’elle a fourni le chéque sans contrepartie (alors même qu’il semble avoir une valeur importante sur cette ile).
Le coût de l’opération est cependant pour elle faible au regard de ce que lui aurait coûté un repas, et surtout de le faire expédier sur l’ile et sans comparaison avec ce que lui aurait coûté d’installer une agence sur l’ile pour que les autochtones puissent encaisser le chèque
On remarquera cependant que l’explorateur s’est désaisi d’un papier qui aurait pu lui servir à d’autres usages. Je ne citrai pas le premier qui me vient à l’esprit mais le second: faire du feu
J’en déduirai que c’est au final bien lui qui a payé!
A priori c’est l’explorateur qui paye le repas en cédant à l’autochtone un papier avec des dessins auquel ce dernier attribue la valeur de un repas.
Mais d’un autre côté, l’autochtone est victime d’un asymétrie d’information. Il ignore qu’en ville, une personne appelée banquier est prêt à lui échanger son bout de papier contre un autre bout de papier vert, et qu’un autre individu appelé commerçant est prêt à lui échanger son nouveau bout de papier vert contre une boite entière de cartes postales, ce qui représente une quantité d’images largement supérieure à celle du chèque de départ. Et plus jolies. Donc d’un certain point de vue l’autochtone s’est fait avoir. Mais d’un autre côté, aller en ville a un coût, supérieur au prix de un repas. Certes, l’autochtone n’a qu’une seule jolie image, mais elle lui est livrée à domicile. En fin de compte, tout le monde y gagne.
Effectivement, l’ambiguité de la notion de "moyen de paiement" est à la source de la question. Après tout, lorsqu’un européen paie son extasy fabriquée dans les pays de l’Est en euros, et que ceux-ci ne sont pas échangés ensuite contre des biens et services parce que les trafiquants ont besoin d’un volant de liquidité pour leurs transactions louches, on aurait tendance à dire que l’Europe bénéficie d’une sorte de "subvention" et ne paie pas la totalité de sa drogue.
Autre version : supposons que sur cette ile comme dans le reste du monde, l’unité monétaire soit la pièce d’or; l’explorateur paie avec une pièce et jamais les autochtones ne rachètent quoi que ce soit dans le reste du monde. Dans ce cas, ce sont tous les autochtones qui paient le repas, et tous les habitants du reste du monde qui en bénéficient, sous forme de baisse des prix.
Sinon, merci à clic d’avoir fait la réponse "la réalité est ailleurs, il faut prendre en compte la sociologie, l’histoire, les institutions, Marcel Mauss et la culture". Il fallait bien qu’elle soit faite :-). Et bravo à tous les participants au jeu.