A ne pas manquer, un excellent billet de Bernard salanié consacré au nécessaire maintien de l’indice des prix, et au mythe de la hausse des prix “liée à l’euro” que bien entendu, d’odieux statisticiens irréalistes nous cachent pour nous spolier (billet avec liens sur le blog, billet sans liens sur Telos).
J’ajouterai un petit élément rapidement. Lorsqu’à mes heures perdues (car ces heures-là sont perdues… Il n’y a rien à faire pour faire comprendre aux gens que l’inflation n’est pas sous-évaluée) j’essaie d’expliquer à mes interlocuteurs que “l’effet inflation euro” est une illusion, et que la hausse des prix n’est pas sous-estimée par l’INSEE, on me fait régulièrement des remarques sur les prix de l’immobilier : comment se fait-il que la récente très forte hausse du prix d’achat des biens immobiliers n’apparaisse pas dans l’indice? Pourquoi n’inclut-il que les loyers, qui n’augmente pas aussi vite que le prix d’achat des logements? La réponse, c’est que l’indice des prix est un indice des prix à la consommation, que de ce fait il n’inclut pas les éléments de patrimoine. On me rétorque alors que décidément, cet indice ne correspond à rien.
Mais petit problème (chiffres empruntés à Brad de Long). Observons ces deux maisons :
La première coûte 375 768,75 €. L’achat est financé avec un paiement immédiat de 75 153,75 € immédiatement, le reste est emprunté au taux de 7%, ce qui représente une mensualité de 2000 €.
La seconde coûte 447 716,75 €. L’achat est financé avec un paiement immédiat de 75 153,75 € immédiatement, le reste est emprunté au taux de 5%, ce qui représente une mensualité de 2000 €.
Laquelle de ces deux maisons est la plus chère? Après tout, la seconde coûte 19% de plus que la première en prix d’achat initial. Mais pour l’acheteur, cela ne fait aucune différence : il paie exactement la même chose pour les deux. La baisse des taux d’intérêt lui permet d’acheter pour la même dépense un actif plus coûteux. Supposons qu’entre deux périodes, les taux d’intérêt passent de 7 à 5%; que dans le même temps, la maison ci-dessus voie son prix augmenter de 19%. Chacun peut voir qu’il serait parfaitement absurde d’incorporer dans l’inflation une hausse de l’immobilier de 19%.
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Le fait qu’il soit difficile d’établir un indice non-absurde du coût de la vie intégrant l’immmobilier justifie-t-il qu’on prétende que celui qui ne l’intègre pas n’est pas absurbe ?
Ce n’est pas parce que faire mieux est difficile que la pratique de l’instant se justifie plutôt que rien. Ou plutôt, peut-être faut-il cesser d’accorder tant de crédit à cet indicateur et donc, ne pas nécessairement nier que, dans ce cas particulier qu’est le vécu de chacun perçu par lui-même, l’indicateur soit moins informatif qu’une autre source d’informations, par exemple, le ressenti de l’intéressé.
passant : c’est mieux de lire les posts avant de les commenter… L’immobilier est pris en compte dans l’indice des prix, par le biais des loyers. Parce que prendre en compte le prix d’achat des logements ne traduirait pas leur impact réel sur les ménages, dans la mesure ou cela ne traduit pas l’effet des taux d’intérêt.
Le problème n’est pas d’expliquer aux "gens" que l’inflation n’est pas sous-évaluée, mais de comprendre pourquoi ils le pensent. Et comme je le notais sur le blog de Salanié, l’explication par le passage à l’euro est un poil douteuse. Il me semble plus convaincant de suivre les analyses présentées dans la note du Cnist, qui explique bien que les plus modestes sont en effet plus particulièrement touchés par certaines augmentations, qui peuvent leur être difficilement supportables, d’autant plus qu’elles ne sont pas compensées par les baisses (dans l’informatique en particulier) dont peuvent bénéficier les ménages les plus aisés. Et le caractère supportable ou non de ces évolutions, ce n’est pas à l’économiste d’en décider. Il ne me semble donc pas déraisonnable – sans avoir à remettre en cause les compétences ou l’honnêteté de nos statisticiens – de penser que les "gens" ont de bonnes raisons de croire qu’ils perdent du pouvoir d’achat, au moins les plus pauvres d’entre eux. Et il se trouve que ceux-là ne sont pas les moins nombreux.
Oui, mais justement, cet exemple du prix des logements est un cas ou une hausse de prix d’achat n’a strictement aucun impact sur l’acheteur en raison de la baisse des taux d’intérêt. Si je vous dis "dans cette ville, le prix des logements a augmenté de 19%" vous allez penser que que les gens ont plus de mal à s’y loger. Si j’ajoute "mais dans le même temps, les taux d’intérêt sont passés de 7 à 5%" (et je ne parle même pas de l’effet de l’inflation, qui pour un achat de logement vient réduire la valeur réelle de la mensualité!) l’effet devient différent, et il est extrêment difficile de le mesurer; tout simplement parce que la formule de calcul d’une annuité constante (avec V = a((1-(1+i)^-n)/i)n’a rien de très intuitif. Dans cet exemple précis, c’est vraiment simplement un problème de pédagogie, à faire à l’aide d’exemples. Là, il n’y a pas de hausse, même si cela ne se voit pas au premier coup d’oeil. La première maison coûte autant que la seconde, alors même que le prix est différent.
Ensuite la question de hausses "supportables" ou non, on s’en moque éperdument. Le calcul de l’inflation sert à la politique monétaire, et à diverses politiques publiques et négociations salariales. Les perceptions n’ont aucune importance; par contre, encourager la démagogie "ce que vous ressentez c’est la vérité, les statistiques mentent", c’est contribuer à casser un instrument utile. Le jour ou employeurs et salariés viendront chacun avec leur indice des prix perso pour les négociations salariales, qui y perdra?
Dernier point enfin : aux dernières nouvelles, les 20% de français les plus pauvres sont aussi nombreux que les 20% de français les plus riches.
1) Vous faites reposer votre raisonnement sur un cas d’école. La réalité ne s’y conforme pas toujours, loin de là. Or c’est la réalité qui importe. Je n’ai pas les chiffres sous la main, mais je doute que l’évolution des taux ait pu compenser celle du prix de vente. C’est cela qui importe, et je ne parle même pas des problèmes de relocation (plus souvent sources de mauvaises surprises que de bonnes). Et puis ne prenez pas les "gens" pour des imbéciles : ils tiennent évidemment compte du coût du prêt dans leurs évaluation du coût global de l’achat, quand bien même ils n’exécuteraient pas le calcul eux-même. Je doute qu’ils aient sur ce point grand besoin de votre "pédagogie".
2) Vous écrivez que "la question de hausses "supportables" ou non, on s’en moque éperdument". Je serais curieux de savoir qui est ce "on"… Ensuite, vous ajoutez que les "perceptions n’ont aucune importance". Vous parlez alors en économistes (et je reste indulgent : la dernière fois que j’ai mis les pieds dans une école d’été d’économie cognitive, il m’a semblé que les "perceptions" avaient tout de même une certaine importance, même pour les économistes). Mais en politique, les perceptions sont évidemment centrales (j’ai honte d’écrire un tel truisme). Or cette question du pouvoir d’achat et aussi (d’abord?) un problème politique. De surcroît, il ne s’agit pas simplement de "perception" (au sens subjectiviste du terme) lorsqu’on rappelle que 10 euros représentent plus pour un smicard que pour un cadre. Dans le même ordre d’idée, Salanié rappelle l’importance de la question des dépenses obligées. Inutile de me faire la leçon sur le caractère insaisissable de cette notion, il m’arrive parfois de lire des livres sans image pouvant traiter de ce genre de question. Mais il reste que le problème demeure entier.
3) Sur le dernier point, là c’est moi que vous prenez pour un imbécile. J’imagine pourtant que vous avez parfaitement saisi le sens de ma remarque. Je conçois que vous puissiez être agacé par un certain anti-intellectualisme, et je partage souvent votre sentiment, en étant moi-même parfois la cible (y compris dans ma famille). Cela ne devrait pas vous dispenser d’user d’un certain principe de charité, qui consisterait par exemple à ne pas classer a priori vos contradicteurs parmi les populistes de bas étage. Enfin, il n’est pas toujours raisonnable de tenir les croyances populaires pour de pures stupidités (en l’occurence des stupidités populistes) dès lors qu’elles entrent en contradiction avec la connaissance scientifique. Adopter systématiquement une telle posture, c’est non seulement prendre le risque de s’exposer au ridicule devant le tribunal de l’histoire, mais peut également rapidement devenir parfaitement contre scientifique.
Bien cordialement,
EL
@EL. Inutile de monter sur vos grands chevaux… les conversations sur internet ont vocation à être elliptiques, ce qui peut être interprété comme de la rudesse n’est bien souvent que de la concision. Le simple fait que votre commentaire ait franchi les fourches caudines signifie qu’il n’est pas classé parmi les "populistes de bas étage".
Sur le fond. 1- nulle part il n’est dit que la baisse des taux compense totalement celle du coût du logement. Simplement, prendre la hausse complète du prix de vente des logements sans prendre en compte la baisse des taux d’intérêt conduirait à amplifier la hausse telle que perçue par les ménages. Oui, les gens savent que la baisse des taux facilite l’achat; mais ils sont comme vous, ils ne savent pas dans quelle mesure; parce que la formule pour le calculer précisément n’est pas des plus aisées, parce que rares sont les ménages qui achètent un bien immobilier tous les 5 ans, ce qui leur permettrait de ressentir l’ampleur exacte du phénomène. Quand l’immobilier augmente de 20% et les taux baissent de deux points, vous en concluez quoi, vous? Moi je suis comme tout le monde, je ne sais pas. ce que je constate par contre chaque année dans mon expérience pédagogique, c’est que lorsque je fais un cours sur l’inflation et son mode de calcul, l’explication de ce phénomène n’est pas triviale. La majorité des gens ignore comment et pourquoi est composé l’indice des prix. D’où un nécessaire travail d’explication – et une grande facilité à sombrer dans la démagogie. Le problème est exactement le même avec la croissance. Essayez un jour d’expliquer que le PIB par habitant en France est aujourd’hui le double d’il y a trente ans. C’est une gageure, parce que tout simplement, comme la hausse des prix, cela exige un effort pour sortir de ses sentiments immédiats et faire un travail d’abstraction. On est bien loin de la différence entre "connaissance vulgaire populiste bouh caca" et "connaissance scientifique ahh c’est bien". C’est comme le fait que la terre tourne autour du soleil et pas l’inverse : pour le saisir, il faut un effort d’abstraction dont tout le monde est capable – dès lors qu’on vous fait remarquer initialement qu’il faut faire cet effort.
2- quand je dis "on" je fais référence à ceux qui calculent l’indice, précisément parce que l’indice a une utilité précise, qui fait qu’il ne doit surtout pas être fondé sur les perceptions, sous peine de conduire à des politiques publiques qui favoriseraient sans raisons une catégorie par rapport à une autre. Soit on suppose que tout est politique et que les indices de l’insee sont le bras armé d’une quelconque conspiration pour berner le peuple; mais je doute que ce soit votre point de vue. Soit on part du principe que les indices statistiques, tout particulièrement celui-ci, doivent être autant que possible conçus sur la base de faits plutôt que sur la base de perceptions. Les perceptions, c’est important, mais là ça doit être secondaire étant donné l’usage fait de l’indice. Soutenir ensuite que les perceptions viennent en premier, c’est non seulement nocif (parce que, comme on dit dans les séminaires d’économie cognitive, les perceptions peuvent être systématiquement biaisées…) mais faux.
3- détendez-vous donc. Invoquer le tribunal de l’histoire dans une conversation pareille, n’est-ce pas un tantinet, comment dire… disproportionné? vous avez écrit que les "plus pauvres ne sont pas les moins nombreux". désolé, mais cela ne veut rien dire. Régulièrement les prix varient, à la hausse comme à la baisse; et mécaniquement, cela fait des heureux et des malheureux. Vous écrivez que les seconds sont sans doute plus nombreux que les premiers, que les seconds sont les plus pauvres. Sur quelle base?
Je me suis en effet un peu emporté, et j’en suis désolé. Il était tard, je venais de finir une correction d’épreuves particulièrement éprouvante, bref…
1) Je suis moins sceptique que vous à l’endroit des capacités d’expertise spontanée de mes concitoyens. Je crois au contraire que le désarroi qu’ils peuvent manifester renvoie précisément à leur connaissance (et non simplement intuition) du fait que l’évolution des taux ne compense pas celle du prix des logements. Ils ne savent probablement pas exactement pourquoi (ils n’ont pas les formules), mais disposent à mon sens de suffisamment de ressources informatives (presse specialisée, conseillers d’agences, simulation internet, …) pour se forger un jugement en raison. Ceci étant dit, je peux bien admettre que cette question est ouverte.
2) Je suis bien évidemment d’accord sur le fait que l’indice des prix ne doit pas être fondé sur les perceptions des statisticiens. Mais ce n’est pas ce que je disais. Je voulais rappeler qu’une même évolution des prix, un même indice, pouvait être ressentie très différemment selon la catégorie sociale à laquelle on appartient. Et c’est un problème crucial d’un point de vue politique. L’indice des prix est essentiel à la gestion de l’économie, mais j’oserai dire qu’il est sans intérêt d’un point de vue politique, tant les réalités que peuvent recouvrir un même indices peuvent être différentes. Quant à la question de la centralité des perceptions, je ne partage pas votre opinion, mais c’est un autre débat (passionant).
3) Je concède que ma formulation était maladroite. Je souhaitais simplement rappeler que les individus insouciants en fin de mois ne sont pas les plus nombreux. Sur quelles bases? Sur celle-ci (http://www.insee.fr/fr/ffc/chifc... couplée à celle-là(http://www.insee.fr/fr/ffc/chifc... C’est évidemment un peu fruste, et mon raisonnement s’appuie sur une conception absolue de l’aisance matérielle, mais je la crois cependant défendable.
Bien cordialement,
EL
Sur le sujet, j’ai trouvé une petite étude qui concerne la Belgique. En résumé, il y a eu une réelle détérioration du pouvoir d’achat pour les classes moyennes basses (celles qui gagnent trop pour toucher des aides de l’état mais qui sont sur la corde raide financièrement) mais l’euro est innocent.
http://www.oivo-crioc.org/textes...