Note de lecture


Économie des extrêmes
Daniel Zajdenweber (1999)

Pourquoi les cours boursiers connaissent-ils des fluctuations invraisemblables, sans rapport apparent avec la réalité? Peut-on s’assurer de façon satisfaisante contre les catastrophes naturelles? Pourquoi certains films ont-ils un succès énorme? Pourquoi au supermarché, se trouve t’on toujours dans la mauvaise file, celle qui va moins vite que les autres? Pourquoi certaines villes atteignent-elles des tailles énormes? Pourquoi les inégalités de fortune sont-elles aussi prononcées, et comment expliquer leur évolution? Aucun rapport apparent entre ces diverses questions. Pourtant, comme le montre D. Zajdenweber, tous ces phénomènes ont un point commun : ce sont des phénomènes extrêmes, c’est à dire des grandeurs dont la valeur numérique est très élevée et la fréquence d’apparition, bien que faible, est non négligeable. Trois lois de probabilité permettent de décrire ces phénomènes : la loi de Pareto, bien connue des économistes, la loi log-normale, et les lois “L-stables”. Le but de cet ouvrage est de présenter, dans le langage le plus clair possible, ces différentes lois, de décrire donc de façon rigoureuse ces phénomènes extrêmes. Et il y réussit fort bien.
Passé le premier chapitre, un peu ardu, et qui nécessite du lecteur des connaissances de base en statistique et probabilités (notion de lois de probabilité, d’espérance, de variance…) qui décrit en termes littéraires les caractéristiques de ces lois, l’auteur applique ces résultats à un grand nombre de phénomènes concrets, et en tire les conséquences. Il distingue deux types d’extrêmes. Les extrêmes unilatéraux, c’est à dire les extrêmes atteints dans les valeurs positives (coût des catastrophes naturelles, valeur des grandes fortunes…) et les extrêmes bilatéraux, qui peuvent varier entre -100% et plus l’infini (cas des cours boursiers). Et on se passionne très vite, grâce à des exemples très bien choisis, et fort bien explicités. On apprend par exemple la difficulté d’assurer les catastrophes naturelles, car la loi de probabilité qu’elles suivent, résultant de la combinaison de deux types d’extrêmes (concentration de population dans les villes, et virulence des phénomènes naturels) n’a ni variance ni espérance, ce qui signifie que ce coût est perpétuellement croissant, et qu’il n’existe pas de prime d’assurance permettant de le compenser. Le même genre d’analyse permet de comprendre pourquoi le salaire des sportifs atteint des valeurs aussi importantes, ou pourquoi certaines industries sont très concentrées (production de films, produits pharmaceutiques…), et s’applique à un nombre étonnant de situations concrètes. On comprend également pourquoi, même sans tenir compte de phénomènes de contagion ou de suivisme de la part des opérateurs (et c’est cela le plus intéressant, car valide même si les opérateurs ne se réfèrent qu’aux fondamentaux), les cours boursiers d’une société peuvent connaître des fluctuations extrêmement violentes, à la hausse ou à la baisse. Les conséquences extrêmes de divers comportements spéculatifs sont également étudiées.
Au bout du compte, ce livre est appréciable à divers titres. Il permet de connaître un domaine qu’on ne connaît le plus souvent que de façon partielle, et réussit le tour de force de faire comprendre au lecteur ne disposant que de rudiments en matière statistique des phénomènes assez complexes. Il conduit surtout à s’interroger sur le fonctionnement de nos économies, car le message central du livre est de montrer que les phénomènes extrêmes, loin d’être des accidents ou des phénomènes amenés à se résorber, sont au contraire amenés à se multiplier du fait du fonctionnement normal des économies qui s’enrichissent. L’enrichissement a donc son prix, celui du développement inéluctable des extrêmes; mais sans eux il ne serait pas possible. Un livre agréable donc, qui donne l’impression une fois qu’on l’a terminé qu’on a appris énormément, sans effort insurmontable. Que demander de plus ?
Alexandre Delaigue
14/06/2001

Daniel Zajdenweber, Économie des extrêmes. , Flammarion, 1999 (19,55 €)

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