Note de lecture


Made in Germany
Guillaume Duval (2013)

Il y a deux façons possibles de chroniquer le dernier ouvrage de Guillaume Duval. La première est d’indiquer que Franz-Olivier Giesbert a détesté, ce qui constitue une raison suffisante pour courir acheter le livre sans délai. La seconde, plus longue, nécessite de se pencher sur le contenu du livre, et, contrairement au susnommé, à le lire.

Le livre se divise en deux grandes parties. La première est composée du premier chapitre, qui occupe plus de la moitié du volume du livre et qui constitue une description du «modèle» allemand, qu’il vaudrait mieux baptiser «système allemand». En effet, la lecture de ce chapitre montre à quel point le système économique allemand est le fruit d’une histoire, d’institutions, et de caractéristiques particulières, qu’il est assez vain d’imaginer en faire un «modèle» susceptible d’être copié. Système aussi parce que Duval montre de manière convaincante que les sources de tel ou tel avantage ne sont pas à rechercher dans un élément unique, mais dans la combinaison de plusieurs facteurs aboutissant à un résultat. Système éducatif donnant la part belle à l’enseignement technique, hiérarchies d’entreprises ouvertes à la promotion interne, syndicats cogestionnaires, politique monétaire et macroéconomique, tout cela contribue à l’orientation industrielle et exportatrice de l’économie allemande: un mercantilisme qui réussit, depuis 1945. Ce premier chapitre, à lui seul, justifie de lire le livre, car on ne trouvera nulle part ailleurs une monographie aussi complète sur le sujet.

La seconde partie est constituée des trois chapitres suivants, et vise à contrer les mythes répandus en France sur l’Allemagne. Un chapitre fait un bilan dépassionné de la réunification, en identifiant des succès, des limites, et rappelant que le coût de celle-ci a été partiellement supporté par les autres pays européens lors de la crise économique des années 90. Le troisième chapitre est le plus offensif: il s’agit d’une attaque en règle contre le «mythe Gerhard Schröder» largement répandu dans le commentariat français: l’idée que l’Allemagne allait mal à cause de la réunification, mais que Schröder a mené des «réformes courageuses» (les réformes Harz) qui lui ont coûté sa place, et que grâce à cela, l’Allemagne écrase désormais tout sur son passage. Au contraire, selon Duval, Schröder a affaibli l’Allemagne et son bilan est surtout une explosion de la pauvreté, des inégalités, sans succès économique. Le dernier chapitre présente le bilan de la politique de Merkel, dont le succès tient selon Duval surtout aux circonstances et au fait d’être revenue sur certains des pires aspects des «réformes Schröder». La conclusion de l’ouvrage est un appel à un changement de politiques en Europe, poussé par allemands et français, pour un «new deal» écologique.

Le livre se lit d’une traite, est agréablement écrit (sauf la très énervante manie de l’auteur de conclure ses paragraphes par des points de suspension, sur le mode «vous voyez ce que je veux dire») et est roboratif. On l’a dit plus haut, la première partie seule en justifie la lecture, pour la vision complète et intégrée de l’économie allemande qu’elle offre. Le réquisitoire contre Schröder est quant à lui particulièrement univoque. Même en partageant l’antipathie de Duval pour la personnalité de Schröder et son scepticisme concernant les réformes Harz, on aurait préféré un regard plus dépassionné, comme celui que l’on trouve chez Ecopublix (voir ici et ici).

Deux choses peuvent néanmoins être notées: premièrement, Duval veut répondre à une mythologie extrêmement répandue dans la classe politique et les commentateurs français, celle du courageux Schröder. Quand on fait face à une opinion aussi communément répandue et un tel étalage d’ignorance sur la réalité du sujet, il faut passer en mode rouleau-compresseur. Deuxièmement, même une lecture indulgente des réformes Harz conduit à constater qu’elles ne sont pas la cause de la reprise allemande de la fin des années 2000 (reprise toute relative d’ailleurs, la croissance française aura été plus forte sur 2000-2010). L’Allemagne, dans le fond, a fait ce qu’elle a toujours fait depuis la fin de la seconde guerre mondiale: du mercantilisme consistant à avoir des coûts s’élevant moins vite que les autres et moins d’inflation dans un système de changes fixes, et accumuler ainsi des créances sur l’extérieur. Quoi que l’on puisse en penser, ce n’est pas nouveau.

De manière générale, le livre est écrit avec un parti-pris social-démocrate, un peu agaçant quand ce positionnement politique est affirmé comme une vérité d’évidence. Chacun a droit à ses propres opinions, mais chacun n’a pas droit à ses propres faits. Pour cette raison, même ceux qui ne partagent pas les opinions de Duval peuvent apprécier son livre, pour la richesse des informations qu’il apporte. Un livre bienvenu.

Alexandre Delaigue
02/03/2013

Guillaume Duval, Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes, Seuil, 2013 (17 €)

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