Mondialisation : quel clivage gauche-droite?

Largo Desolato fait état d’un sondage effectué auprès des députés français à propos de la mondialisation, dont on peut trouver les résultats sur Telos. Il ressort de ce sondage un véritable clivage entre députés de gauche et de droite sur ce sujet, laissant penser d’un côté que la droite s’est convertie au libéralisme économique (du moins en ce qui concerne le marché du travail), alors que la gauche, certes de façon un peu hétérogène, s’est radicalisée autour de conceptions nettement anti-libérales. Ce sondage fait l’objet de nombreuses analyses sur Telos (Zaki Laidi, Gerard Grunberg, Lionel Fontagné); on peut en trouver les résultats complets ici, et une intéressante carte des députés français ici. Ce sondage a par ailleurs été commenté dans le Financial Times (€). Sans rajouter à la masse déjà imposante des commentaires, quelques remarques :

– Aux économistes français (sérieux) qui sont proches du parti socialiste et qui participent plus ou moins à l’élaboration de sa politique : chers collègues, vous avez du boulot avant d’être entendus. Sur toute une série de points, les réponses des parlementaires socialistes sont diamétralement opposées, et hostiles, à l’analyse économique. La “compétition mondiale” est vue par eux comme la première cause (indirectement) des suppressions d’emploi; près de la moitié d’entre eux pense que les économistes se trompent sur l’effet des délocalisations sur l’emploi; Si d’autres pays touchés aussi par la mondialisation ont moins de chômage, c’est pour plus de la moitié des parlementaires du PS parce que les statistiques ne sont pas pertinentes; on constatera au passage qu’un quart des députés français ne connaît pas le fonctionnement de l’OMC, ce qui n’est pas une mauvaise performance.

– Il y a au vu de ce sondage un décalage conséquent entre les discours et les pratiques gouvernementales. Faut-il y voir, comme semblent le faire les commentateurs, le signe de changements à venir lors de la prochaine échéance électorale? On peut aussi penser que la pratique restera significativement éloignée du discours à l’avenir, que la gauche sera en pratique plus social-libérale qu’elle ne l’annonce, et la droite plus corporatiste que ses parlementaires ne le déclarent.

– les divers commentateurs notent le clivage gauche-droite, mais ce clivage est beaucoup plus net concernant les politiques à mener que sur le diagnostic sur la nature de la mondialisation. Cela vient en bonne partie du sondage, dont les questions sont très largement orientées dans le sens de la rhétorique de la compétitivité (gagnants et perdants, les activités à “haute valeur ajoutée”, délocalisations qui “sauvent des emplois”, etc…). Mais on peut noter que si les parlementaires UMP se déclarent favorables à la libéralisation du marché du travail, ils sont plus circonspects sur la libéralisation des marchés de biens, ce qui se rapproche de l’obsession de la compétitivité. Si l’on considère la mondialisation comme un problème de “compétitivité nationale” (ce qu’elle n’est pas, car le terme de “compétitivité” n’a aucun sens pour parler de l’économie d’un pays), alors on peut soit considérer qu’il faut s’adapter et que cela passe par l’abaissement du coût du travail pour soutenir les entreprises nationales dans la compétition mondiale (une posture assez largement répandue à droite, voir par exemple ce livre d’un ex-parlementaire UMP); en d’autres termes, adopter en France la politique de dévaluation compétitive que les allemands tiennent depuis quelques années; ou alors, considérant que la mondialisation ravage notre “système social”, s’y opposer et prôner diverses mesures protectionnistes; attitude qui semble celle des parlementaires socialistes si l’on en juge par leurs réponses. Néanmoins, les députés UMP semblent assez largement acquis à l’idée que les problèmes d’emploi français sont purement internes, sans lien avec la mondialisation; c’est là qu’est la vraie nouveauté de ce sondage.

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Alexandre Delaigue

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11 Commentaires

  1. En Lignes : groupe politique
    En colonne : Q14 – Aux économistes qui presque tous disent que les délocalisations ne constituent pas une cause significative dans les destructions d’emploi, vous répondez

    % Ligne

    qu’ils se trompent

    qu’ils ont raison mais qu’il est difficile de convaincre les citoyens de cela

    autre explication

    Total

    ET "Qu’ils ont effectivement raison, tout court", c’est compté dans "autre" ou qqn qui répondrait ça est vraiment trop idiot pour être député dans notre beau pays attractif ?

  2. “les divers commentateurs notent le clivage gauche-droite, mais ce clivage est beaucoup plus net concernant les politiques à mener que sur le diagnostic sur la nature de la mondialisation.”

    Est-ce que tu n’aurais pas cherché à dire l’inverse ?

    À part ça, trackback manuel, je cite ta note vers la fin : phnk.com/blog/scpo/depute…

  3. @françois : hum, non. Les différences de réponses entre gauche et droite se font plutôt sur les questions de politiques à mener que sur ce que la mondialisation implique; on reste il me semble dans une perspective de mondialisation "question de compétitivité" avec pour la droite la réponse "relevons le défi en levant les rigidités de la société française et en soutenant nos entreprises" et pour la gauche la réponse "protégeons ceux qui ne sont pas compétitifs, qui sont les plus menacés".
    Tous les jugements sur la mondialisation, toutes les différences, partent de cette définition commune : la mondialisation est affaire de compétitivité, ce qui est vu soit comme une bonne, soit comme une mauvaise chose. Or cette image (commune) est fausse.

  4. Mis à part la tournure assez curieuse des questions, il me semble qu’il y a potentiellement un autre biais.

    Je me demande en effet quelles auraient été les réponses des députés si les résultats avaient été anonymisés (ce qui n’est pas le cas si j’en crois la carte). Sachant que les résultats allaient être rendus publiques, les députés (de gauche en particulier) ont très bien pu répondre dans le sens qui flatte leur électorat, non ?

  5. Je ne sais pas si l’on peut démontrer quantitativement que la gauche a soutenu des politiques impliquant un plus faible degré d’ouverture de l’économie à l’international : on sait par exemple que les délocalisations ne ralentissent pas sous Jospin. L’attachement de la droite à certains secteurs de son électorat traditionnel peut aussi faire dire que la droite défend bien son pré carré anti-libéral (je pense évidemment aux types qui essaient de nous faire croire qu’ils sauvegardent le patrimoine français tout en touchant des millions via la PAC).

    Dernier point, tout ceci s’écrit sans profondeur historique : si l’on remonte au début du siècle en lisant S. Berger, toutes les variables sont inversées ou presque (la gauche soutient le libre-échange colonial, la droite est nationalo-mercantiliste).

  6. @tom : certains ont répondu anonymement, donc cette possibilité leur était offerte. Donc ce biais peut exister, mais ce n’est pas certain (après tout, quelle est le discours optimal pour faire plaisir à ses électeurs?).

    @françois : oui, ce qui est notable dans ce sondage c’est le caractère assez neuf des résultats. La gauche (au gouvernement) a été plutôt favorable à l’ouverture dans les faits (Lamy a eu plus de soucis avec Chirac qu’avec Jospin). Ce sondage traduirait pour la gauche de gouvernement une tendance qui n’est pas nouvelle : le décalage complet entre pratiques et discours.

  7. Hm…n’y a-t-il pas un ‘paradoxe’ en ce qui concerne les quadrans ‘en haut a droite’ et ‘en bas a gauche’ (cad. avoir un penchant plutot ‘pour’ le liberalisme et en mm temps etre ‘pour’ un protectionnisme agricole et vice-versa etre ‘contre’ le liberalisme et etre ‘contre’ un protectionnisme agricole?)

  8. Assez, et ce "paradoxe" est partagé d’une part par les députés PCF, d’autre part par la majorité des députés UMP.
    (voir analyse des positions des groupes PCF et UDF, sur mon blog. mais elle est plus superficielle que celle d’Alexandre).

  9. @alexandre : “Ce sondage traduirait pour la gauche de gouvernement une tendance qui n’est pas nouvelle : le décalage complet entre pratiques et discours.”

    Non, tu vas trop vite : il y a toujours eu un hiatus important entre les élites de la gauche qui remplissent l’exécutif et les élites intermédiaires qui remplissent l’Ass Nat.

    C’est pour cela que je suis perplexe sur l’argument du "diagnostic partagé" (même si Versac vient de le reprendre à son compte).

  10. @françois : C’est possible, je ne connaît effectivement pas suffisamment les arcanes des partis pour être affirmatif. Néanmoins je vois mal quel diagnostic alternatif les élites exécutives de la gauche pourraient faire; il n’est lisible nulle part. Il est donc possible qu’elles aient une conception différente de la rhétorique de la compétition mondiale, mais je me demande bien laquelle.

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