Dans un récent post, Owen Barder décrit l’une des innovations méconnues apportées par Ebay : l’utilisation générale de l’enchère au second prix (que les économistes appellent enchère à la Vickrey, du nom de l’économiste spécialiste de la théorie des enchères qui en a étudié le mécanisme). Qu’est-ce qu’une enchère au second prix? Et quels en sont les avantages?
Considérons un appel d’offres classique, dans lequel différents acheteurs potentiels indiquent le prix qu’ils sont disposés à payer; le vendeur reçoit simultanément toutes les propositions des acheteurs, et décide alors de vendre à celui qui propose le prix le plus élevé. Quel prix devez-vous annoncer si vous êtes acheteur? Vous n’avez pas forcément intérêt à annoncer le prix que vous êtes réellement prêt à payer. Supposons que vous soyez disposé à payer 150 et que l’acheteur suivant est prêt à payer 100; vous avez intérêt alors à ne proposer que 101 afin d’obtenir l’objet à un prix avantageux pour vous (mais pas pour le vendeur). Bien évidemment, vous ne pouvez pas connaître le prix que les autres acheteurs sont disposés à payer. Mais vous pouvez essayer de le deviner, associer des probabilités à votre pronostic, et déterminer alors le prix que vous devez annoncer. Le jeu se complique dès lors que vous devez prendre en compte le fait que votre concurrent, lui-même, cherche à déterminer le prix que vous êtes prêt à payer afin d’ajuster son comportement. Au total néanmoins, les acheteurs potentiels n’indiqueront pas le prix maximal qu’ils sont disposés à payer, ce qui désavantage le vendeur.
Le mécanisme de l’enchère au second prix est différent. Dans une enchère au second prix, chaque acheteur indique le prix qu’il est prêt à payer, et le vendeur reçoit toutes les offres simultanément; l’objet est octroyé à l’acheteur qui a indiqué le prix le plus élevé; mais l’acheteur paie le prix annoncé par le second plus fort enchérisseur. Dans l’exemple précédent, si j’ai annoncé un prix de 150 et que mon premier concurrent a annoncé un prix d’achat de 100, j’emporte l’enchère, mais je paie le prix de 100.
Intérêt de la procédure? En tant qu’acheteur, je n’ai plus intérêt à chercher à deviner ce que les autres vont proposer, mais à annoncer exactement le prix que je suis prêt à payer. Si ma disposition à payer est de 150, j’ai intérêt à l’annoncer. De deux choses l’unes : soit un autre enchérisseur annonce moins que moi, et dans ce cas, c’est tout bénéfice pour moi, puisque je paierai ce que lui a annoncé. Soit un autre enchérisseur annonce plus que 150, auquel cas je rate l’enchère, mais ce n’est pas grave, puisque je n’évaluais pas cet objet à plus de 150. Dans l’enchère à la Vickrey, dire la vérité m’avantage.
Récemment, les enchères à la Vickrey ont été utilisées pour vendre les licences de téléphonie mobile de troisième génération en Nouvelle Zélande (Tim Harford relate cet épisode dans son livre). Le résultat a été … catastrophique. La raison? La presse et le grand public ont tendance à considérer ce genre de mécanisme comme absurde, parce qu’ils révèlent la disposition réelle à payer d’un acheteur, sans lui faire payer ce prix maximum. Les néo-zélandais se sont donc demandés pourquoi un acheteur qui avait offert 100 000 $ néo-zélandais pour une licence n’a eu finalement à payer que 6 NZ$; et pourquoi un autre, qui avait offert 5 millions de NZ$, n’avait finalement que 5000NZ$ à débourser. Les spécialistes savaient qu’en moyenne, l’enchère au second prix rapporte beaucoup, car elle incite les acheteurs à annoncer des prix élevés; mais ce genre de subtilité échappe au grand public, qui a considéré cette enchère comme un échec.
Pourtant, si l’on y réflechit, la procédure d’enchère au second prix est celle qui est utilisée dans les salles de vente par des sociétés de commissaires-priseurs, selon des méthodes centenaires. Lorsque l’on fait monter les enchères, on ne connaît jamais le prix que l’acheteur final était disposé à payer : on s’arrête lorsque l’avant-dernier acheteur renonce, et l’acheteur final paie le prix que cet avant-dernier acheteur était prêt à payer, plus un incrément. Il s’agit donc d’une procédure d’enchère au second prix.
Ebay fonctionne de cette façon, mais développe le principe pour le rendre automatique. Dans l’exemple cité, Owen Barder était prêt à payer 50£ pour acheter un téléphone portable; il a donc indiqué ce prix maximum à Ebay, et observé l’enchère automatique. Le prix était de 30£; le système l’a fait monter à 31. Le prix est alors automatiquement passé à 32, puis 33… jusqu’à s’arrêter à 36. L’autre acheteur avait probablement indiqué une enchère automatique dans laquelle son prix d’achat maximal était de 35£. Résultat, l’acheteur a réalisé une économie de 14£ par rapport à ce qu’il était disposé à payer; et il était incité à annoncer le prix réel qu’il était prêt à payer.
Instruit par l’expérience Neo-Zélandaise, le gouvernement britannique a procédé aussi par enchères pour octroyer les licences de téléphonie de troisième génération. Et a fait appel à des économistes, spécialistes de théorie des jeux et de théorie des enchères, qui ont mis en place une procédure visant à éviter la collusion entre acheteurs, et à les inciter à payer le plus cher possible. On estimait que la vente de ces licences pourrait rapporter 3 milliards de livres sterling au gouvernement britannique; l’enchère rapporta finalement 29 milliards de livres, soit 10 fois plus.
Les enchères britanniques ont suscité des commentaires variés. Pour leurs détracteurs, elles avaient fait payer trop cher aux entreprises, ce qui allait les conduire à faire supporter cette charge aux consommateurs futurs. C’est oublier que le prix que les entreprises font payer au consommateur ne dépend pas des coûts forfaitaires qu’elles ont eu à supporter, mais de l’intensité de la concurrence. Les entreprises de téléphonie mobile en France en savent quelque chose. L’autre reproche, c’est qu’en faisant payer cher aux entreprises (en profitant d’une période d’exubérance excessive en matière de télécommunications), on risquait de handicaper leur développement futur. Mais en Grande-Bretagne, ce sont les entreprises qui ont par la suite été les plus performantes (même si elles ont souffert de l’effondrement de la bulle des télécommunications) qui ont obtenu les licences, comme Vodafone.
Cet argument de compétitivité réduite a été le premier avancé par les entreprises des télécommunications en France pour s’opposer de manière véhémente à la procédure des enchères pour octroyer les licences de téléphonie de troisième génération. Bouygues, entreprise il est vrai pas forcément très habituée à payer le prix maximum pour l’obtention des marchés publics, a été la première à s’opposer à l’adoption d’une procédure d’enchères en France pour la téléphonie de troisième génération. Les industriels ont été écoutés, et la France a adopté une procédure de “concours de beauté” devant une commission bien évidemment indépendante, qui comme par hasard n’a octroyé les licences qu’à des entreprises françaises, moyennant un coût déterminé par les bureaucrates du ministère des finances, largement inférieur au prix que la procédure d’enchères avait déterminé en Grande-Bretagne. C’est l’occasion de nous souvenir de la vraie définition du “patriotisme économique”, qui consiste à soutenir la “compétitivité” de quelques grandes entreprises nationales, avec la complicité de l’Etat, au détriment des salariés, consommateurs et contribuables nationaux.
Si les enchères fonctionnent, c’est que convenablement conçues, elles révèlent des vérités que personne, ni les bureaucrates très intelligents, ni les spécialistes ou experts “indépendants”, n’est capable de déterminer autrement. C’est ce simple fait, mis en application en une après-midi par un programmeur, qui fait la fortune d’Ebay.
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Lorsque rien n’oblige le vendeur à être vendeur, mais que l’organisation de ventes est libre, l’intérêt du vendeur n’est-il pas d’organiser sa vente comme bon lui semble ou d’adhérer au mécanisme de vente qui lui est le plus favorable ?
Par ailleurs, quelle raison pourrait pousser le vendeur à accepter un mécanisme moins lucratif qu’un autre ?
Quand le vendeur est l’état, son intérêt n’est-il pas supérieur à celui de n’importe quelle autre partie ?
En considérant qu’obtenir du numéraire consiste à transférer sur l’acheteur l’incertitude d’un profit conféré par la détention d’un bien, d’un service ou d’un droit, comment justifier, lorsqu’un état décide de convertir en numéraire l’un de ses biens (alors qu’il pourrait choisir bien d’autres stratégies de valorisation), qu’il puisse souhaiter autre chose qu’un maximum de numéraire ?
Tiens, rien sur les ultra-classiques marchés aux fleurs néerlandais ? (enchères descendantes)
Autre question: combien le gouv du RU a-t-il finalement réellement touché ?
Sans vraiment avoir suivi les détails, j’ai l’impression qu’en Allemagne et au RU les entreprises ont assez efficacement renégocié le prix final et les conditions de concurrence (pour avoir une plus grosse rente). ça ouvre des perspectives d’économie politique assez interessantes: je gagne avec une (trop) grosse enchère, puis je somme le gouv de baisser le prix sous la menance de déposer le bilan de ma filiale "téléphone portable" (ou de virer plein de monde) en accusant publiquement de gouv de m’y avoir acculé …
LSR