Il semble que non, si l’on en croit une récente étude effectuée auprès de membres de l’American Economic Association et citée aujourd’hui par Greg Mankiw.
Un préjugé extrêmement courant fait des économistes (tout particulièrement les économistes américains orthodoxes) des fanatiques du marché libre; préjugé prenant parfois les formes les plus délirantes. Mais qu’en est-il vraiment? Dans l’étude citée par Mankiw, 58% ont déclaré voter démocrate, 23% républicain, le reste se répartissant entre “divers”, et une très faible proportion de “libertariens” (7 sur 264 répondants). A partir de cette division, le sondage interrogeait les économistes sur différentes questions de politique économique, de société, questions dont les réponses peuvent s’analyser comme favorable ou hostile au marché, ou a l’intervention publique. 1 signifie très interventionniste, 5 “marché-libre”.
Or si l’on excepte la question du libre-échange, qui fait presque l’unanimité pour elle parmi les économistes interrogés, sur toutes les autres formes d’intervention, les économistes se répartissent selon un clivage gauche-droite, et ont des avis partagés; en moyenne, ils se retrouvent plutôt centristes, légèrement à gauche. Même les économistes républicains se retrouvent, notamment pour la question de l’intervention publique en matière sociale (discrimination, drogues…) parmi les plus centristes des républicains. Les sujets pour lesquels les écarts entre républicains et démocrates sont les plus marqués sont la redistribution, la réglementation des armes à feu, et le salaire minimum. Au total, seuls 8% des répondants peuvent être considérés comme fortement libéraux, et 3% comme libéraux purs et durs. L’économiste américain moyen est un centriste, légèrement à gauche (ce qui ne doit pas être très loin de la position idéologique moyenne des personnes ayant leur niveau d’études et de rémunération).
Comment expliquer l’écart entre ce résultat et la perception des économistes? Les auteurs exposent diverses hypothèses. Les premières reposent sur l’existence de biais dans leur étude (les économistes libertariens n’ont pas répondu au test, ou ne sont pas membres de l’AEA). Mais selon eux, deux hypothèses sont les plus plausibles :
– la première, c’est que quelques sujets saillants aient pu donner cette image des économistes. Sur certains sujets, tout particulièrement le libre-échange, les économistes ont un point de vue significativement différent du reste de la population (être favorable au libre-échange est d’ailleurs le sujet qui fait le plus unanimité dans l’étude). Ces quelques sujets auraient conduit à penser que les économistes sont nettement plus libéraux que le reste de la population, négligeant les nombreux domaines pour lesquels ils ont des idées proches de celles du reste de la population.
– l’autre explication, plus plausible, est la suivante : les auteurs ont constaté que s’il y a très peu d’ultralibéraux parmi les économistes, il n’y en a par contre aucun parmi les autres types d’universitaires qu’ils ont étudié (anthropologie, histoire, sciences politiques, sociologie). En d’autres termes, s’il y a très peu d’universitaires économistes qui sont ultralibéraux, tous les universitaires ultralibéraux sont des économistes.
Et c’est un biais de perception bien connu (le problème des probabilités conditionnelles, toujours…). Lorsque le public voit un universitaire ultralibéral s’exprimer sur un sujet, il peut être à peu près certain que c’est un économiste. On en déduit que les économistes sont assez souvent des ultralibéraux.
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"il n’y en a par contre aucun parmi les autres types d’universitaires qu’ils ont étudié (anthropologie, histoire, sciences politiques, sociologie)."
Et chez les juristes ? des fils spirituels de Jefferson ?
Dommage rien sur eux.
Je seconde mon camarade minarchiste : un nombre non-négligeable de juristes américains (cf Posner, cf la grande majorité des contributeurs de Volokh) se situe dans la sphère libertariennne, ce qui affaiblit l’explication n°2.
Oui mais précisément : Posner et tous ceux-là font en général du “law and economics” qui est une perspective juridique assez spécifique.
Principe psycho-sociologique élémentaire : chacun affirmera s’il est intérrogé que l’extrémiste, c’est l’autre.
C’est d’ailleurs pour cette raison que toute démocratie peut évoluer, lentement mais sûrement vers toute autre forme de gouvernement.
Je sens que je vais toucher une corde très sensible. 🙂
Vous posez l’éventuel biais idéologique dans un débat gauche/droite, étatisme/anarchisme. Dans ce cas, on a beau jeu de montrer qu’il y a des économistes de gauche ou de droite, etc. Cela tout le monde le sait, mais cela ne dit rien sur la question de savoir si les économistes de gauche comme de droite ne partagent pas au fond la même idéologie, la même vision de la société et des hommes. Pour donner un exemple concret, il ne suffit pas de donner les exemples de Walras et Pareto et puis de faire un grand geste du revers de la main en disant "question suivante!" pour démontrer qu’il n’y a pas d’idéologie en jeu dans la théorie néo-classique.
En fait, il y a une autre raison possible au préjugé vulgaire que vous dénoncez et qui n’est peut-être pas le fruit d’une illusion: les libéraux ont inventé le concept de marché et l’économie. Je fais allusion ici à la thèse de Pierre Rosanvallon dans "Le capitalisme utopique" (http://www.amazon.fr/capitalisme... Karl Polanyi avait déjà une thèse fort proche.
S’ils ont raison, il y a bien un biais idéologique fondamental, libéral au sens historiquement premier de ce terme (il y a ainsi des libéraux de gauche et des libéraux de droite, des libéraux étatistes et des libéraux anarchistes), dans l’économie.
Plus largement, du peu que j’ai étudié et crût comprendre en épistémologie, j’en ai retiré que ce biais existerait dans toutes les sciences (il n’y a pas de point de vue neutre sur la réalité) et que cela ne pose pas nécessairement problème avec la validité des résultats obtenus.
Il me paraît étrange que de tous les scientifiques, les économistes soient les plus réticents (c’est un euphémisme) à admettre ce biais et à le prendre en compte.
Pour ceux que cela intéresse, j’ai trouvé sur le net un article très intéressant et facile à lire sur la question, focalisé sur l’enseignement des sciences. On n’y mentionne pas l’économie, rassurez-vous. 🙂
http://www.wallonie-en-ligne.net...
"Il me paraît étrange que de tous les scientifiques, les économistes soient les plus réticents (c’est un euphémisme) à admettre ce biais et à le prendre en compte."
Les sciences recourrant massivement aux mathématiques ont généralement tiré quelques conclusions de l’immense espoir, puis de l’affreux désastre posthume d’Hilbert, sauf peut-être l’économie ?
Simple hypothèse d’un inéconomoste assumé.
Vulgos : "Tout le monde sait qu’il y a des économistes de différents bords politiques". Ben, visiblement non; l’article en multiplie les exemples. Ensuite, il essaie de voir s’il existe un biais, ou un consensus, parmi les économistes, et constate qu’un tel biais existe : mais qu’il n’est pas forcément celui auquel on pourrait s’attendre; les économistes sont en moyenne des centristes.
Notez bien qu’être centriste ne signifie pas "absence de biais" : vous êtes en train de commettre l’erreur typiquement française consistant à croire qu’on atteint l’objectivité quand on a fait la moyenne entre un avis de droite et un avis de gauche! il y a, dans le fait d’être centriste (dans le sens de ce sondage, et aussi dans le sens de F. Bayrou), un biais, qui consiste à trouver que le marché c’est pas trop mal, mais qu’il faut parfois des réglementations. J’insiste, c’est un biais : mais ce n’est pas le biais "pro-marché libre" auquel on pourrait s’attendre.
Ce qui est exact dans ce que vous dites, c’est qu’avec les économistes des origines et tout au long du 19ème siècle, on aurait trouvé un biais libéral beaucoup plus prononcé; de la même façon qu’on aurait trouvé un biais très favorable à la philisophie des lumières parmi les physiciens des 17 et 18ème siècles. Après tout, la physique moderne est née des lumières, et on retrouve toujours aujourd’hui des traces de ces origines; mais cela ne doit pas se voir beaucoup dans les opinions des physiciens.
Quant au refus de prendre en compte l’existence d’un biais, je crois que c’est une critique datée. On est loin de l’époque du "j’ai démontré scientifiquement la supériorité du libéralisme" et de la croyance dans la construction d’une mécanique sociale objective. Il a fallu du temps, mais AMHA les économistes ont pris le tournant post-moderne.
Passant : c’est reposant de faire des remarques en français intelligible, de temps en temps.
Une remarque de vocabulaire en passant… Le terme "libertarien" est souvent employé (ici et ailleurs), mais ce n’est qu’un vilain anglicisme, ce mot n’existe pas dans la langue française. Chez nous, on dit "libertaire". Mais tout de suite ça fait penser à un sale chevelu hippie, alors on a modernisé et droitisé le terme à l’américaine. C’est mal !!
Coyote : c’est peut-être mal, mais que peut-on utiliser dans ce cas? j’ai utilisé “ultralibéral” mais le sens n’est pas tout à fait le même.
Ben… "Libertaire", mais comme je le disais ça a une bonne connotation gauchiste. Le Larousse le définit comme un "partisan de la liberté absolue en matière politique et sociale". Il ajoute benoîtement "anarchiste". Allez dire à un "libertarian" qu’il est anarchiste, on verra sa réaction… 😉
Mais comme je suis un nazi de la langue française je m’en tiendra à "libertaire"! Na!
Alexandre : c’est vrai pour Posner, mais ce n’est pas le cas de Volokh, ni de la plupart des Volokhiens, ni par exemple de Glenn Reynolds (même si son ultralibéralisme est à géométrie variable).
Vilcoyote : "libertarien" est effectivement un affreux américanisme. Mon dico électronique propose deux traductions possibles selon le contexte :
libertarian / noun, adjective
1 (Right wing) ultralibéral/-e (m/f);
2 (liberal Left) libertaire (mf).
Le problème du terme "ultralibéral" est qu’il est tout sauf neutre… d’où l’intérêt d’employer "libertarien". Il y a un arbitrage à faire entre la précision et la défense du français.
econoclaste-alexandre :
Je suis heureux que le débat soit enfin serein entre nous sur cette question. Cela tient sans doute à un changement dans mon positionnement (merci à vos "notes de lecture") et au fait que j’ai compris que la question du débat n’était vraiment pas un affrontement droite-gauche. Mea culpa en ce qui concerne le passé, donc.
Concernant le biais des centristes, c’est tout à fait mon opinion aussi. Je me suis sans doute mal exprimé, ma critique était justement de dire que la diversité politique des économistes n’exclut pas a priori un biais commun à tous, qui serait en quelque sorte "le biais des économistes". Et ce biais ressortirait du libéralisme. Non pas en ce que tel ou tel serait de droite ou de gauche, car le libéralisme n’est ni de droite ni de gauche, mais en ce qu’ils partagent tous certaines valeurs libérales (le biais) telles que l’individualisme, le libre-échange, le marché, la croissance des richesses, etc.
Toute la portée des travaux de, par exemple, Rosanvallon est de montrer que ces valeurs ne vont pas de soi, que le libéralisme est un modèle idéologique (auquel Marx lui-même adhérait) et qu’il ne se confond pas avec le capitalisme. Autrement dit, que l’idéologie libérale, à travers la science économique, ne s’est pas contentée de décrire le capitalisme mais qu’elle a tenté (avec plus ou moins de succès) de le faire à son image. D’où, en économie, des présupposés qui n’ont aucun rapport avec le capitalisme réel (le marché parfait, avec concurrence libre, information parfaite, etc) et qui ont un but normatif. La question de savoir si ces présupposés et les buts qu’ils poursuivent sont désirables ou pas n’étant pas ici posée! (là c’est de la politique ou de la religion, on est bien d’accord)
Ainsi, pour prendre l’exemple de la physique, le biais n’est pas celui des Lumières comme vous dites, mais plus profondément celui de la mathématisation du réel (commencée avec Descartes et Galilée). C’est ainsi que la physique a eu tendance à ne plus voir ce qui n’est pas mesurable et déterminable avec exactitude, qui n’est pas reproductible. Certains ont ensuite difficilement admis les changements que les découvertes de la mécanique quantique (entre autres) impliquait. Le "Dieu ne joue pas aux dés" de Einstein par exemple. Alors même que le biais mathématique n’était pas remis en cause, juste adapté!
Tout ça pour dire que grâce à (et non pas "malgré") ce biais la physique a donné des résultats, a normé la réalité (la valeur idéologique de cette norme n’étant pas, je le répète, ici discutée) et qu’elle n’a toujours pas remis réellement en cause son biais (cela signifierait en changer).
Donc AMHA aussi, l’économie n’en est pas arrivée à un "tournant post-moderne", c’est-à-dire à la prise de conscience de son biais, encore moins à sa remise en cause. Pas plus que la physique d’ailleurs. Vous dites que les économistes n’en sont plus à prouver scientifiquement la supériorité du libéralisme, moi j’en doute. C’est comme dire que la physique n’en est plus à prouver scientifiquement la supériorité des mathématiques. C’est impossible à moins que la physique ne soit plus ce qu’on nomme de nos jours la physique, c’est-à-dire changer de biais, ne plus être mathématique. Par exemple, être une physique aristotélicienne.
La question est donc de savoir si l’économie n’est pas inextricablement liée au biais libéral pour ne pas se transformer en quelque chose de tout à fait différent au cas où ce biais serait adapté ou remplacé.
Je vais prendre un exemple de loi économique concrète dont n’importe quel économiste défendra avec acharnement la validité: la loi des avantages comparatifs. Celle-ci dit qu’un pays s’enrichira plus à se spécialiser dans ce qu’il fait de mieux. C’est vrai en économie et je vois mal comment on pourrait y démontrer le contraire. Pourtant sans rentrer dans des détails trop techniques que je ne maîtrise pas, certaines choses sautent aux yeux : la réalité (historique et actuelle) ne colle pas parfaitement à cette loi, par exemple les échanges se font surtout intra-branche. De plus, si le gouvernement d’un pays comme les USA ou la France tentait d’appliquer la théorie et rien que la théorie, il ne fait aucun doute que des troubles sociaux apparaîtraient suite aux « destructions créatrices » que cela entraînerait. Il me semble évident qu’une politique exclusivement libre-échangiste ne tiendrait pas bien longtemps, à tel point qu’aucun politique ne s’y risque. Nous voici donc devant des économistes, tous les économistes ou presque, qui prônent une politique censée enrichir le pays et qui le mènerait tout droit à des émeutes généralisées. On voit là clairement le biais idéologique de l’économie et la résistance offerte par la réalité (car la réalité de l’économie, c’est bien les sociétés humaines). Mais encore une fois, la question n’est pas de savoir si les français auraient raison de se révolter contre le libre-échange ou si ce sont les économistes qui ont raison. La question est que ce biais existe, qu’il est libéral, que les gens le sentent et y résistent. Les gens sont ainsi comme des électrons ne voulant pas être reperés avec trop de précision mathématique par le physicien-économiste. 🙂
Fin du speech. J’espère ne pas avoir pollué le débat. 🙂
Vous parlez de l’écart entre les positions politiques des économistes et la représentation qu’en a l’opinion, la perception. Il faudrait peut-être prendre en compte les médias, non ? "Tous les universitaires ultra-libéraux sont économistes", ça signifie que lorsqu’une télé veut faire un débat entre un universitaire ultra-libéral et un… autre, on va se retrouver avec un économiste (ultra-libéral) sur le plateau. Non seulement il y a le biais des probabilités conditionnelles, mais en plus, parmi les expressions publiques de la science économique, l’ultra-libéralisme est sans doute surreprésenté. Ajoutons les économistes non universitaires, le discours d’experts appelés à justifier tout ce qui manque de justification, et on a une image de "l’économie" sans doute très éloignée de la réalité de la recherche universitaire. Non ?
@Vulgos (le dernier paragraphe)
Une « loi » économique n’est « vraie » (au sens logique formelle) que dans le cadre d’un modèle, exprimé sous forme mathématique, extrêmement simplifié et clairement pas réaliste. La raison pour laquelle on utilise ces modèles est qu’un modèle formel force l’auteur à être rigoureux et à expliciter ses hypothèses et simplifications (pas d’effets rhétoriques).
Maintenant, reste à voir si la loi qu’on a ainsi mis en évidence, vraie dans le modèle, reste pertinente (et non « vraie ») dans le monde réel. D’un point de vue théorique, on cherche à savoir si les simplifications du modèle dénaturent la réalité à tel point que la « loi » n’est que le résultat artificiel des choix du modélisateur, ou si ces simplifications n’ont fait qu’éliminer les effets parasites d’une réalité trop complexe pour mettre en évidence de façon bien plus limpide et rigoureuse un effet présent dans le réel.
Evidemment, la vérité est au milieu. Tout modèle dénature la réalité. C’est là que l’économie est une science sociale et tout sauf de la physique. Avec la rigueur des physiciens, *tout* modèle est rejeté empiriquement. C’est basé sur des résultats économétriques « pas trop mauvais », son intuition et son expérience qu’un économiste peut faire le tri entre les lois pertinentes et les lois sans intérêt. Un modèle est donc aussi (peut-être même surtout ?) un outil rhétorique. Sa simplicité et sa ressemblance avec des modèles passés qui ont fait leurs preuves joueront fortement en sa faveur (voir McCloskey, et la sociologie des sciences en général).
Il est clair, par exemple, que les hypothèses nécessaires pour établir la loi des avantages comparatifs, comme celle d’un seul facteur, immobile de surcroît, et l’absence d’économies d’échelle, sont clairement fausses dans la réalité et dénaturent le réalisme du modèle. La loi des avantages comparatifs est-elle fausse dans la réalité ? Au sens mathématique, oui (car pas toujours vraie). Est-elle sans intérêt ? De l’avis de la très grande majorité des économiste, non. Elle n’est pas le seul concept qui permet d’expliquer les avantages du libre-échange, mais elle fait parti de l’explication. Pour résumer : ce que les économistes défendront avec acharnement, ce n’est pas la « vérité » de la « loi » des avantages comparatifs, mais la pertinence du concept.
Et c’est bien parce que les économistes sont sans illusion sur la validité des hypothèses qui sous-tendent la loi des avantages comparatifs que Hecksher et Ohlin d’un coté, et Krugman et Helpman de l’autre, ont établis des théories sans ces hypothèses. Et cela peut expliquer les échanges intra-branches par exemple.
Maintenant pour finir, si les français refusent de devenir plus riches collectivement (mais certains y perdront s’ils ne sont pas dédommagés, aucun économiste ne dira le contraire) en se révoltant contre le libre-échange, c’est leur droit. Je ne vois pas en quoi cela remet en cause la pertinence des différents théories économiques du commerce international ou illustrerait un « biais » des économistes.
LSR
Vilcoyote: "Mais comme je suis un nazi de la langue française je m’en tiendra à "libertaire"! Na!"
Je ne suis pas un grand spécialiste de la langue française, mais: "je m’en tiendra"? 😉
Vulgos : Elessar vous a déjà fourni des éléments de réponse. Quelques autres :
– Méfiez-vous de Rosanvallon. C’est un individu brillant, mais qui ne sait pas tout et peut être victime de ses propres préjugés. Et je pense qu’on y est un peu dans les arguments que vous évoquez.
– Il y a un biais chez les économistes, mais qui n’est pas d’ordre politique (au sens gauche-droite ou libéralisme-étatisme). Ce biais, c’est comme pour les physiciens la mathématisation du réel, sous la forme d’une recherche de lois déterministes; L’autre part du biais, c’est qu’en tout économiste il y a un ingénieur social qui sommeille; c’est à dire quelqu’un qui pense qu’il est souhaitable de changer pour le mieux l’organisation de la société. Cela peut paraître contradictoire avec le "libéralisme", mais ça n’est pas le cas : Hayek l’a très bien montré, même des réformes pour "plus de concurrence" constituent une forme d’ingéniérie sociale. Hayek d’ailleurs, qui après avoir condamné de façon éclatante les ambitions des ingénieurs sociaux, se trouve avecun point de vue très ambigu et contradictoire sur ce sujet, ce qui montre à quel point il est difficile de sortir de ce biais.
– et avec cette présentation du biais, alors oui, les économistes n’en sont pas sortis, et ne sont pas prêts de l’être. Si en matière de mathématisation du réel ils connaissent actuellement le même genre d’évolution que les physiciens avec la physique quantique (c’est à dire, des nuances sur le déterminisme); s’il est possible d’imaginer que la renonciation à ce déterminisme pourrait amener les économistes à accomplir le vieux rêve de Marshall et construire une économie avec la biologie pour modèle; ce biais restera quand même, sous une autre forme.
– Sur l’autre biais, c’est celui qui explique votre analyse, et permet même d’en corriger les erreurs. J’avoue un certain scepticisme devant la phrase "même Marx adhérait à l’idéologie libérale" qui conduit à faire du libéralisme une catégorie trop vaste pour avoir un sens (même si je comprends dans quelle mesure on peut être amené à l’affirmer : la société socialiste étant pour Marx une utopie de liberté réelle, sans oppression du capitalisme). Mon problème, c’est que les exemples de concepts que vous citez – marché parfait, concurrence libre, information parfaite – sont des concepts qui n’ont certes que peu de rapports avec le capitalisme réel; mais ils n’ont pas non plus de rapports avec le libéralisme réel. Bien au contraire : l’économie Walrasienne, avec son commissaire-priseur, est une allocation dirigée par un acteur hors du système; Walras était un socialiste, dont le système d’équilibre général devait s’accorder avec une société sans propriété privée, dans laquelle tous les biens étaient "loués" en suivant un mécanisme d’EG. De même d’ailleurs pour les autres fondateurs de la TEG : Arrow est devenu économiste par conviction socialiste et avec la certitude (née des années 30) que l’économie de marché ne fonctionnait pas; Et tous les outils mathématiques de la TEG sont des outils inspirés de la planification centralisée (ils ont d’ailleurs été critiqués pour cela par les autrichiens).
Au bout du compte, c’est le biais vers l’ingéniérie sociale qui conduit à la conclusion que vous décrivez : cela explique que les économistes aient au 19ème siècle une perspective libérale dans leurs modèles; et c’est leur centrisme au 20ème (et la plus grande diversité des opinions) qui explique que les choses aient changé. Le biais est identique (orienter la société dans la direction jugée souhaitable) c’est la direction du biais qui est aujourd’hui beaucoup moins claire.
Je pense donc que vous allez chercher le biais consubstanciel des économistes (qui existe) là ou il n’est plus; le vrai biais réside dans l’ingéniérie sociale. Bien évidemment, c’est un biais que Rosanvallon aura du mal à percevoir, car lui-même nage dedans.
Perso gars lambda, ma perception "économiste = de droite" vient surtout de ceux qu’on voit dans les chaines comme TF1 expliquer rapidement aux gens du peuple pourquoi telle mesure est bonne et incontournable… Mais cette perception s’atténue chez moi (votre article me conforte dans la disparition de cette perception). Après tout, ya bien Bertrand Maris sur France Inter 🙂
Quid de Economie matin, qui vient de paraitre avec une mise en page de la une qui rappelle le nouvel obs?
Ce journal me paraît un poil à gauche (non que ça me déplaise, ça change de "Métro" que je mets au même niveau que "Voici" et le magazine de Cauet)
Je pense que Xuelynom a une part assez importante de l’explication, non ? A la tele, on a des personnes assez caricaturales presentees comme des economistes, avec entre autre l’eternel economie = "business"; le discours des grands PDG est quasiment parole d’evangile en France. Hors le milieu "business" a plus de chances d’etre a droite que le milieu des academiques, j’imagine (a cause des revenus entre autre).
Toutes les sciences ont des representations mediatiques differentes de l’image que se font ceux qui la pratiquent, mais la difference est plus prononcee pour l’economie. Ca ne choquera personne si l’on dit qu’un garagiste n’est pas specialement capable de comprendre les dernieres decouvertes de mecanique quantique (ni de dire que je confierai jamais ma voiture a mon ancien prof de physique de prepa 🙂 ). Mais si on dit qu’un PDG n’est pas specialement habilitie a discuter economie…
Personellement, il y a encore pas si longtemps, je pensais que le discours economique et celui du Medef par exemple etaient assez proches (avec le recul, je ne m’explique pas cette stupidite).