Un déficit public américain qui se creuse, en partie à cause du financement d’une guerre à l’étranger de plus en plus coûteuse (et à laquelle bien peu d’autres nations contribuent), accompagnée d’élévations de dépenses importantes mais peu efficaces dans le système de santé et l’éducation, par un président républicain conservateur, sauf lorsqu’il s’agit d’augmenter les dépenses publiques; Un déficit de la balance courante américaine massif et qui se creuse; et des pressions conséquentes à la baisse du dollar; un ministre français de l’économie qui lorgne sur la présidentielle et use de son image "moderne" face à un président de la république gaulliste vieillissant; des troubles importants au Moyen-Orient, qui mettent sous pression les marchés pétroliers; L’augmentation dans tous les pays des engagements des comptes sociaux; Deux grandes économies asiatiques qui croissent à toute vitesse. Les pantalons étroits et évasés en bas, et les couleurs vives à la mode. Cela vous rappelle quelque chose?
A ceux qui ont dit "c’est ‘aujourd’hui", c’est exact. Mais cela devrait rappeler un autre scénario : le monde au début des années 70. La guerre à l’époque était celle du Vietnam, le président était Nixon; les pressions sur le dollar étaient tellement fortes que le système de Bretton Woods s’était effondré, et avec lui la valeur du dollar. (pour la petite histoire, le ministre de l’économie français était à l’époque Valéry Giscard d’Estaing, qui le lendemain du 15 aout 1971, et de la suspension américaine de la convertibilité-or du dollar, avait déclaré depuis son lieu de vacances, en maillot de bain, qu’il ne se passait rien d’important; les économies asiatiques étaient bien entendu à l’époque le Japon et la Corée du Sud).
Pour qui regarde la situation actuelle de l’économie américaine, il paraît évident que le dollar doit baisser pour rétablir un peu l’équilibre de la balance courante. Ce déficit est dû pour le moment à un phénomène principal : l’épargne des américains est trop faible. De ce fait, le gouvernement, les particuliers, et les entreprises, doivent emprunter à l’étranger pour financer leurs dettes ou leurs investissements. Jusqu’à présent, ce financement a pu se faire, grâce à l’appétit immodéré des pays étrangers (notamment de leurs banques centrales) pour les actifs libellés en dollars. Mais cela peut-il durer indéfiniment? probablement pas. L’économie américaine est d’une taille considérable par rapport au reste du monde : son besoin de financement correspond actuellement à 70% de l’excédent de balance courante de tous les pays en situation d’excédent (Chine, Japon, Allemagne, et tous les autres). Il viendra un moment ou les banques centrales étrangères, inquiètes pour les actifs qu’elles détiennent, vont commencer à se délester de leurs actifs en dollars. Le dollar va alors se mettre à plonger par rapport aux autres devises. Ce point est à peu près acquis, la seule question qui subsiste, c’est de combien il baissera.
Si l’on en croit Kenneth Rogoff et Maurice Obstfeld, de beaucoup. Selon eux, la majorité des analystes sous-estiment la baisse potentielle du dollar en la réduisant à ce qui devrait rétablir l’équilibre de la balance courante. Or, si le problème est un manque d’épargne aux USA, son augmentation passera soit par une crise économique brutale aux USA, soit par une très forte diminution des achats de biens échangeables par les américains au profit de biens non-échangeables, pour que l’emploi se maintienne aux USA. Et pour que cette baisse de la demande de biens échangeables soit forte, il faut que leur prix augmente considérablement. Les auteurs estiment donc que la valeur du dollar pourrait baisser de 20 à 40% par rapport à sa valeur actuelle en termes réels.
L’analyse de Rogoff et Obstfeld peut être trouvée en lisant ce working paper du NBER; on peut également se référer à cet article du Financial Times pour une version résumée de leur argumentation. The Economist (pour ceux qui y sont abonnés) décrit la situation dans son dernier numéro.
Comment éviter de revivre les turbulences économiques des années 70? Aux USA, il faudrait que le gouvernement taille dans son déficit, donc qu’il augmente les impôts ou réduise les dépenses : mais des deux côtés, le gouvernement est contraint. Le gouvernement Bush a annoncé qu’il voulait rendre les baisses d’impôts programmées définitives; l’essentiel des baisses d’impôts qu’il a annoncé vont porter sur les 5 années qui viennent. En matière de dépenses, le système de retraites et de santé américain est destiné à coûter de plus en plus cher; ne parlons même pas des coûts pour l’économie américaine de la guerre contre le terrorisme et des coûts que le besoin de sécurité entraîne.
Un autre moyen d’enrayer la crise serait une augmentation de la productivité dans le secteur des biens non échangeables hors des USA : c’est ici l’Europe et le Japon qui sont concernés. Une remontée des devises des pays d’Asie pourrait également aider (mais au prix d’une possible crise économique importante en Chine). Il est fort possible, en bref, que l’économie mondiale connaisse de fortes turbulences au cours des prochaines années. Et si le dollar baisse effectivement d’un tel montant, ce serait comme le rappelle The Economist dans son article le plus grand défaut de dette de l’histoire, étant donnée la quantité d’étrangers qui détiennent des actifs en dollars, dont la valeur fondrait avec cette devise.
Le pire n’est jamais certain : mais quand on lit que Paul Volcker, le prédecesseur d’A. Greenspan à la tête de la Réserve fédérale américaine, a déclaré qu’il y avait selon lui 75% de chances de voir une crise monétaire aux USA dans les prochaines années, il y a des raisons de s’inquiéter.
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