Comme en 2004 et en 2005, est organisé cette année le prix du livre d’économie du Sénat. La procédure reste la même : les internautes désignent trois livres finalistes au cours d’un premier vote électronique, puis un second vote désigne le gagnant. Le prix 2004 était un bon cru, à la fois pour la sélection initiale des livres et le choix final; le prix 2005 était difficilement compréhensible pour les mêmes raisons.
Le site du Sénat n’est pas encore à jour, mais cela ne devrait pas tarder, car le vote aura lieu entre les 16 et 18 novembre. Mais la liste des 10 ouvrages en lice a été déterminée. Que peut-on en penser?
EDIT : le site du Sénat est à jour, il est possible d’aller voter jusqu’au 21 décembre.
La sélection de cette année se regroupe en diverses catégories assez identifiées. Un ensemble de livres consacrés à la mondialisation, avec plutôt une perspective internationaliste; des livres consacrés à l’économie française; et des livres plus difficiles à regrouper dans une catégorie spécifique.
Commençons par les livres consacrés à la Mondialisation. Le premier est Made in Monde, de Susan Berger, que nous avons eu l’occasion de présenter il y a quelques temps. Il constituerait un excellent choix.
Le second livre est celui d’Erik Orsenna consacré au coton. J’avoue ici être un peu plus circonspect. Le livre est un sympathique carnet de voyages, une description du “monde du coton”; par contre, sur le plan de l’analyse économique (qui n’est pas franchement la spécialité de l’auteur…) il est particulièrement léger. Il faut noter aussi qu’il y a eu un très bon livre sur ce sujet, avant celui d’Orsenna, consacré au voyage d’un T-shirt dans l’économie mondiale, qui lui était plus solide dans ses analyses. Il serait dommage – mais pas forcément étonnant – qu’un livre descriptif et peu analytique emporte un prix du livre d’économie.
Dans cette même catégorie, il y a deux livres que je n’ai pas lus et dont je me demande un peu ce qu’ils font dans ce classement : L’économie de l’Inde de J.J. Boillot, et la pratique de la Chine, d’André Chieng. Pour le premier, je ne connais pas sa qualité mais je vois mal ce qu’un livre de la collection “Repères” fait dans ce classement, qui devrait plutôt viser des essais. Quant au livre sur la Chine, je ne le connais pas, mais le descriptif sur amazon donne l’impression d’un fumeux culturalisme consacré à un pays, la Chine, sur lequel on écrit et on dit en France une quantité déjà phénoménale d’âneries. Et je vois mal en quoi un livre sur la gestion interculturelle a sa place dans un prix du livre d’économie. C’est peut-être un peu sectaire, mais je ne recommanderai pas de voter pour ces deux livres, indépendamment de leurs qualités éventuelles que j’ignore.
Après quatre livres sur la mondialisation, le classement comprend quatre livres sur l’économie et la société française. Dans cette catégorie, on trouve (pour des raisons compréhensibles) le style de livre qui fait fureur dans les bacs en ce moment : le pathos. On trouve donc “comment nous avons ruiné nos enfants” d’Artus et Virard; et “le papy-krach” de Bernard Spitz. On notera qu’Artus et Virard, qui sortent maintenant un livre par an, sont chaque année sélectionnés par le Sénat; en 2004, ils n’ont pas été sélectionnés en finale; en 2005, ils ont été finalistes mais seconds; peut-être que cette année est leur année? J’avoue ne pas le souhaiter , parce que le pathos tendance “c’était mieux avant, nous sommes punis par là ou nous avons péché, flagellons-nous” m’exaspère. Cela donne lieu à des discours peu analytiques, sensationnalistes mais dont la durabilité est voisine de zéro (qui se souvient cette année de “l’autodestruction du capitalisme” qui nous était annoncée l’année dernière?). Pour cette même raison, je n’ai guère apprécié le livre de Bernard Spitz (qui a un blog ici, et qui a été commenté – et apprécié – par Verel et Koz). Sur ce dernier, j’ajouterai qu’il s’agit d’un livre se posant des questions politiques avant d’être économiques; et qu’il se contente au bout du compte de mettre en parallèle des dysfonctionnements politiques réels (dont il a déjà parlé, dans ses deux livres consacrés à la fonction publique) et une perspective peu réjouissante – le vieillissement – que l’on peut trouver triste, mais contre laquelle il n’y a jamais eu grand-chose à faire (plus ce sujet un autre jour, quand j’aurai plus de temps). Donc je ne voterai pas pour ces deux livres, même s’il est clair qu’ils ont leur place dans la sélection du Sénat sans contestations possible, et qu’ils constituent des candidats de qualité honorable.
Deux autres livres sont consacrés à la situation française. J’avoue ne pas comprendre ce que fait le livre collectif dirigé par Christian Stoffaes et intitulé psychanalyse de l’antilibéralisme. tout d’abord, la mauvaise image du libéralisme en France est un sujet tellement rebattu qu’il vient un moment où continuer d’écrire sur le sujet devient absurde, et qu’en ces temps d’inquiétude sur le réchauffement climatique, on a mieux à faire que d’abattre des arbres pour rédiger ce genre de livre; Surtout, la question est politique avant d’être économique. Les avis d’Alain Madelin, de Nicolas Baverez, de Jean-françois Revel, et autres de la même eau, sur le libéralisme et l’antilibéralisme ont peut-être un intérêt (et encore… les convaincus ont déjà lu ce genre de choses et les connaissent, les autres s’en moqueront) mais n’ont rien à faire dans ce classement de livres d’économie. C'(est bien typique de la doxa française en matière économique que de faire du débat économique une question de grande doctrine politique, et c’est regrettable.
L’autre livre consacré à la France est le livre d’Olivier Pastré intitulé “la méthode Colbert“. Là,ma subjectivité parle : Olivier Pastré et sa chronique du matin sur France Culture m’énervent (même si je dois lui reconnaître des progrès). Dans le même temps, aborder le sujet du patriotisme économique en convoquant les mânes de Colbert est un projet qui me semble à la fois vain et nocif. Vain parce que c’est s’imaginer que la politique industrielle puisse être vertueuse (ou même qu’elle puisse avoir un effet positif…), et nocif pour ce que cela devient. Il ne faut pas encourager les mauvaises tendances des politiques français, surtout pour une cause dont le bien-fondé est à démontrer. Cela dit, cette critique ne repose que sur les articles et chroniques de Pastré que je connais, et il est possible que son livre soit meilleur que ce que je crois; et en tous les cas, c’est clairement un candidat valide et légitime dans cette sélection, et un vrai livre d’économie.
Reste enfin la dernière catégorie, celle des inclassables. Il y a d’abord “trois leçons sur la société post-industrielle” de Daniel Cohen, qui appartient à une catégorie bien spéciale : celle des livres de Daniel Cohen. Un cas à part, plein d’analyses, d’intuitions brillantes, parfois un exercice contestable, mais dont on ne peut jamais contester la qualité. Un candidat idéal, peut-être un peu trop idéal. Je me demande enfin ce que l’économie de marché, de Roger Guesnerie, fait dans ce classement. C’est probablement le meilleur livre d’économie de la liste; mais que fait donc ce classique, sorti il y a des années, dans ce classement pour l’année 2006 (même s’il a été remanié lors de sa réédition)? Cela dit, il n’y a pas forcément à chercher à comprendre, simplement à constater que cet ouvrage de référence fait partie des possibles.
Lorsque je voterai pour le premier tour, j’hésiterai donc entre Berger, Cohen et Guesnerie, mais voterai probablement Berger; Daniel Cohen ne manque pas de reconnaissances diverses, et Guesnerie ne me paraît pas forcément un livre pour l’année; mais le classement entre ces trois livres n’a rien de définitif. Et à part quelques livres me semblant ne pas avoir leur place dans ce classement, il faut noter que le cru de cette année est plutôt bon et offre aux lecteurs potentiels l’opportunité de faire un vrai choix. Prochaine étape : le premier tour de vote, à partir du 16 novembre.
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Les livres de Daniel Cohen ont pour eux leur très grande qualité pédagogique: on a l’impression en les lisant d’être intelligent. Ils sont à ce titre tous recommandables
J’ai été un peu décu de "trois leçons sur la société post industrielle" et je n’ai pas pu dire si c’est parce que le livre est issu d’un cycle de conférences ou si c’est parce que je connais baucoup mieux le sujet que pour les livres précédents
En tous les cas, D Cohen mérite d’être récompensé pour l’ensemble de son oeuvre!
D’accord à peu près sur tout.
S. Berger : mon favori. Economique et passionnant.
Orsenna hors sujet (mais on sent une tendance à montrer que l’économie, c’est aussi la vie, la littérature, tout ça…)
B. Spitz : un bon pamphlet politique, pas un "livre d’économie".
Cohen : brillantissime, comme d’habitude, mais en même temps, ce n’est pas celui que j’aurais primé dans ses productions.
Reste le Pastré, que je n’ai pas lu non plus. Feuilleté, pas acheté (quand même, lie un bouquin sur Colbert dans le métro, ça la fout mal, non ?) et puis il m’énerve un peu aussi (mais moins, aussi). Ceci-dit, je l’avais entendu à la radio sur culture, et avais développé un peu plus d’intérêt pour la chose… Reste : faut-il donner un alibi à un néo-colbertisme en France ?
Bonjour,
un ami m’a signalé votre commentaire sur les livres retenus pour le prix du
sénat, dont celui sur l’Inde que vous ne trouviez pas vraiment à sa place tant
pour la collection qui ne correspond pas à un essai, que pour l’auteur qui
serait un grand inconnu. votre commentaire ne me choque pas du tout,
d’autant que mon favori comme vous était le livre de Suzanne Berger.
Maintenant, ne pensez vous pas que les économistes français consacrent
beaucoup trop peu d’attention à cette Inde emergente qui pourrait bien avoir
le même impact économique que la Chine avec les conséquences que l’on
sait? c’est ce que j’ai essayé de faire modestement et je serais tout à fait
content que vous fassiez éventuellement une évaluation sur le fond de ce
petit livre. Votre commentaire nous intéresserait tous j’en suis sûr; en tous
cas, bravo pour votre blog que j’ai découvert récemment;
jean-joseph Boillot