C’est la thèse défendue de façon assez convaincante par cet article (merci à New Economist pour le lien). En voici l’abstract :
Abstract: This paper investigates whether since the 1980s neoclassical economics has been in the process of being supplanted as the dominant research programme in economics by a collection of competing research approaches which share relatively little in common with each other or with neoclassical economics. A shortlist of the new approaches in recent economics includes game theory, experimental economics, behavioral economics, evolutionary economics, neuroeconomics, and on-linear complexity theory. Two hypotheses are advanced – one regarding the relation between economics instruction and economics research and one regarding the nature of the economics research frontier – to describe social-institutional practices that contribute to the replication of economics as a field. Two further hypotheses are advanced – one regarding the boundaries of the field and one regarding how the field appraises itself – to create a historical–methodological framework for evaluating the question of change in economics and change in recent economics in particular. Finally, the paper distinguishes three leading explanations – the ‘breakdown’ view, the ‘takeover’ view, and the ‘maturity’ view – of why neoclassical economics no longer dominates a mainstream economics.
Il ne faut pas surestimer l’influence des approches non néoclassiques sur la discipline. Si on prend la liste des travaux les plus cités en économie depuis 1970, Il est exact que l’article de Kahneman et Tversky sur la “prospect theory” est le second toutes catégories : néanmoins la liste reste très marquée par des articles très néoclassiques en finance, et de l’économétrie.
On peut néanmoins constater qu’après les querelles de chiffonniers des années 70 (les keynésiens et les monétaristes qui empoisonné des générations d’étudiants…) la pluralité des approches est devenue, comme le constate l’auteur, la norme; tandis que l’économie devenait plus expérimentale, moins idéologique, plus orientée vers des problèmes précis. Paradoxalement, c’est alors qu’elle devenait plus intéressante que l’économie a connu la plus forte désaffection : le nombre d’étudiants a subi une chute libre, tout comme le prestige des économistes, passés dans l’imagerie populaire de grands manitous de la régulation conjoncturelle par le keynésianisme hydraulique à individus ennuyeux, incompréhensibles, idéologiques, et se trompant tout le temps.
Cela s’explique de la façon suivante : l’enseignement de l’économie a toujours beaucoup de retard sur l’état de la science. La traduction de la recherche en programmes d’action opérationnels, qui permettent une meilleure compréhension de la réalité, voire des prescriptions pratiques, est elle aussi très longue. C’est un phénomène normal, qui d’ailleurs se rencontre dans toutes les sciences. Il faut du temps pour qu’une conjecture devienne une théorie, et que cette théorie devienne acquise par tous; ce processus est un mode de sélection qui filtre autant que possible les conjectures séduisantes mais incapables de dépasser ce cap. Entretemps, il est sage de limiter l’apprentissage aux choses connues.
Au passage, c’est l’occasion de rappeler que ceux qui se plaignent d’une économie autiste enfermée dans un paradigme étroit se trompent non seulement de débat, mais surtout d’époque.
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Ce qui est surtout intéressant c’est que ce papier est paru dans la revue "Journal of Institutional Economics", revue "hétérodoxe" dirigée par Geoffrey Hodgson, lequel est le principal responsable de l’intérêt renaissant pour l’"ancien" institutionnalisme.
Ce papier semble effectivement confirmer 1)la disparation entre orthodoxie et hétérodoxie et 2)la perte d’unité du paradigme néoclassique. Mais alors, une question se pose : est-ce que cela a encore un sens de parler de "théorie" ou de "paradigme" néoclassique ? J’ai l’impression qu’effectivement aujourd’hui un certain pluralisme méthodologique tend à s’imposer (il n’y a qu’à regarder par exemple tous les travaux dans la nouvelle économie institutionnelle [Buchanan, Williamson, North etc.]pour se rendre compte qu’ils n’ont pas grand chose de "néoclassique").
Ce qu’on peut se demander, c’est quels sont les facteurs qui ont amenés cette évolution : est-ce des facteurs endogènes (i.e le paradigme néoclassique qui, devant ses lacunes, a su évoluer pour les surmonter) ou des facteurs exognènes (l’influence de certains courants hétérodoxes, notamment depuis le "tournant institutionnaliste" que la science économique connaît depuis environ 20 ans et qui s’accélère actuellement) ? Je pense qu’il s’agit là d’une période clé pour comprendre un peu plus la "dynamique des sciences".