Larry Summers est coutumier des déclarations qui font leur petit effet : bien peu d’écologistes lui ont pardonné d’avoir, à l’époque ou il travaillait à la Banque Mondiale, produit une étude démontrant qu’il serait optimal que des industries polluantes s’installent dans les pays les plus pauvres (ce qui est parfaitement juste et bien plus moral qu’on peut l’imaginer, mais ce n’est pas le sujet du jour). Avant de lui jeter la pierre pour cette déclaration, il convient d’examiner ce qu’il a vraiment dit.
Comme l’explique le psychologue Steven Pinker, il n’y a pas grand-chose de choquant dans les propos de Larry Summers. S’appuyant sur un fait amplement mesuré, le fait qu’en moyenne les femmes ont de meilleurs résultats en sciences que les hommes, mais que l’écart-type (la dispersion) des hommes est plus élevé, il a expliqué que ce facteur pouvait expliquer en partie le faible nombre de femmes dans la recherche scientifique : ce domaine recrutant beaucoup de gens très doués dans les sciences, la plus forte dispersion pour les hommes que pour les femmes implique qu’il y aura plus d’hommes que de femmes parmi les sujets exceptionnellement doués. Ce qui n’est pas du tout la même chose que de considérer les femmes comme trop bêtes pour faire des sciences, comme l’ont hâtivement cru ses critiques. Summers (qui par ailleurs a énormément travaillé comme dirigeant d’université pour faciliter l’accès des femmes aux sciences) a par ailleurs bien expliqué que ce n’est pas la seule explication possible.
Cela dit, cette hypothèse est-elle plausible? Peut-être. En tout cas, le meilleur moyen de la vérifier (ou de l’invalider) est préalablement de l’énoncer puis de la tester. S’indigner de ce qu’une telle hypothèse puisse être simplement dite est une bien curieuse attitude, fort peu scientifique. Refuser des hytpohèses a priori, sans les vérifier, parce qu’elles pourraient avoir une interprétation sexiste est peut-être très confortable pour l’ego, mais fort peu à même de comprendre (et éventuellement, de corriger) les facteurs conduisant à un faible nombre de femmes dans l’université.
Pour ma part, et sans avoir étudié la question, je soupçonne le modèle de Schelling d’être à l’oeuvre. les scientifiques ne sont pas spécialement sexistes mais être un petit nombre de son sexe dans un laboratoire de recherche n’est pas très agréable. Cela crée les conditions d’une spécialisation par sexe des professions très importante : une répartition homogène des hommes et des femmes par profession académique est possible, mais il suffit qu’un léger déséquilibre s’installe pour conduire à une spécialisation complète par activité, et ce de façon très rapide.
L’idée selon laquelle la répartition des hommes et des femmes par profession a suivi le modèle épidémique de Schelling semble confirmé par les faits : l’entrée massive des femmes sur le marché du travail à partir de la fin des années ne s’est pas faite de façon équilibrée, mais au contraire, on a vu des professions se féminiser de façon très importante tandis que d’autres restaient très masculines. En France par exemple, les professions médicales, juridiques, l’enseignement primaire et secondaire, se sont considérablement féminisés. Au point que l’Ecole Nationale de la Magistrature s’est inquiétée de cette évolution, des promotions de futurs juges étant à 80% féminines, ce qui peut poser des problèmes (par exemple, en créant des biais pour les jugements en cas de divorce). Le fait que des professions se soient presque totalement et très rapidement féminisées (alors que les écarts innés de compétence, s’ils existent, semblent trop faibles pour expliquer de telles différences) rend plausible ce type d’explication par ségrégation cumulative.