1- “Le gouvernement Bush veut privatiser le système de retraite américain”
SI ON VEUT
Le système de retraites américain se divise en trois parties. La première partie est la “social security”, qui garantit un revenu déterminé aux retraités, et fonctionne par répartition : les pensions de retraites sont payées par le gouvernement, et financées par des taxes sur les salaires, comme les cotisations sociales en France. Les deux autres étages du système de retraite sont des fonds de pension abondés par les employeurs pour les salariés, à prestations définies (ce qui signifie que les cotisations versées par les employeurs varient et que les pensions versées sont prédéterminées), et des fonds dits “401k” abondés par les employeurs et les salariés, à cotisations définies.
Le plan du gouvernement Bush consiste à remplacer progressivement le premier étage des retraites par un système d’épargne forcée. Une partie des cotisations qui est prélevée sur les salaires est versée sur un compte personnel que l’individu administre comme il l’entend, mais dont il ne pourra bénéficier qu’à sa retraite. Peut-on vraiment parler alors de “privatisation”? La discussion est sémantique. Certes, il s’agit de remplacer le versement public des retraites par une rente viagère assise sur des actifs financiers. Mais ce n’est pas tellement différent de la situation actuelle dans laquelle le système de retraites génère une dette pour le gouvernement américain : à tout actif d’aujourd’hui correspond une pension à payer plus tard. Au lieu de disposer d’une créance sur le budget fédéral, les gens détiendraient une créance constituée d’un portefeuille de titres. Ceux qui veulent conserver des créances sur le gouvernement américain pourraient le faire sous forme de bons du trésor.
On peut appeler cela une privatisation mais l’intervention gouvernementale dans le programme resterait importante : il s’agit d’un programme d’épargne forcée, les gens n’auraient que peu de possibilités pour administrer leur compte et surtout pour décider de la façon dont celui-ci sera converti lors de leur retraite. Ceci pour éviter le risque de voir les gens recevoir leur retraite sous forme d’un patrimoine qu’ils dépenseraient immédiatement, pour se retrouver ensuite sans ressources. Il serait donc obligatoire de liquider le compte sous forme d’une rente viagère. De “privatisation” il ne reste donc que la possibilité pour les gens d’allouer leur portefeuille à leur convenance, notamment en achetant des titres d’entreprises privées.
2 – “Cette réforme est nécessaire pour sauver les retraites des américains, qui vont être déficitaires à partir de 2018”
FAUX
Comme tous les systèmes de retraite des pays développés, l’étage par répartition du système de retraite américain va subir un choc avec l’arrivée à la retraite des baby boomers. Cela devrait se traduire par une augmentation du rapport entre contribuables et pensionnés, impliquant soit de prélever plus sur les contribuables, soit de verser moins aux retraités, soit de constituer des réserves pour passer ce choc démographique. Or la constitution de réserves a déjà été faite; au milieu des années 80, une commission avait étudié le problème et cnclu à la nécessité d’accroître les prélèvements pour constituer un fonds de réserve. De ce fait, le système de retraites américain, aujourd’hui, collecte plus qu’il ne reverse. Le solde sert à constituer un fonds de réserve pour les retraites. De ce fait, effectivement le système de retraites sera déficitaire à partir de 2018, mais ce n’est aucunement un problème : il sera alors temps de prélever dans les réserves constituées pour maintenir les pensions et les cotisations au même niveau. Les projections indiquent que les réserves constituées permettent de tenir en l’état jusqu’en 2045. Il n’y a donc aucune urgence particulière à réformer le système pour assurer sa solvabilité. Le changement visé par le gouvernement Bush est plus de nature sociale qu’il n’est une réforme économique : il s’agit de faire de la société américaine une “société de propriétaires” dans laquelle chacun détient, par son plan de retraite, des titres dont il est responsable. Il s’agit donc de “rendre l’argent” aux gens selon la phraséologie conservatrice, même s’il faut noter que c’est une façon très contraignante de “rendre l’argent” et que les gens, en pratique, n’en disposeront que peu.
S’il s’agissait de résoudre le problème des retraites, il existe une réforme très simple, qui consiste à prendre acte de la hausse de l’espérance de vie et d’augmenter l’âge légal de la retraite. Cette mesure n’aurait rien d’agréable, mais traduit la contrepartie d’une vie plus longue. Mais l’objectif du gouvernement est autre : il s’agit d’utiliser le système de retraites publiques pour créer la “société des propriétaires” et développer l’épargne forcée.
3- “Cette réforme va coûter cher, très cher”
VRAI
Pour mettre en place ce plan, le problème est le suivant : il faut payer les pensions des retraités du moment, sachant que les cotisations ne servent plus en totalité à payer les retraites, mais qu’une partie est soustraite pour constituer un patrimoine qui sera dépensé plus tard. Supposons par exemple (les proportions utilisées ici sont fantaisistes et ne servent qu’à décrire le mécanisme) qu’il faut verser 100 de pensions; actuellement, le gouvernement prélève 120 (les 20 de suppléments servant à constituer le fonds de réserve). L’idée serait alors de prélever 120, de consacrer 90 au financement des pensions actuelles, et de déposer 30 sur le compte personnel des contribuables. L’idée étant que progressivement, la proportion de ce qui est déposé dans le compte personnel augmente au fur et à mesure que les engagements de pension du gouvernement diminuent.
Chacun peut voir que ce système génère un besoin de financement : tout ce qui est mis aujourd’hui dans les comptes individuels manque pour payer les pensions d’aujourd’hui (dans mon exemple, il manque 10 tout de suite, et 30 plus tard). La solution envisagée par le gouvernement Bush consiste à emprunter pour financer la différence. Ce n’est pas absurde : après tout les pensions à payer constituent des dettes pour le gouvernement américain, dettes qui ne sont pas comptabilisées comme telles mais qui ne sont pas moins réelles. Convertir les engagements de retraite en dette publique ne serait donc qu’une opération vérité sur les comptes publics. Sauf que le problème de la dette publique est qu’il n’y a pas d’autre choix que de la rembourser (contrairement aux engagements de retraite qui peuvent être réduits, par exemple en élevant l’âge de la retraite vers 2045). Il est fort possible que les investisseurs tordent le nez devant un tel afflux de dette du gouvernement américain, surtout que celui-ci connaît d’ores et déjà un déficit important et qu’il ne manque pas d’autres dettes latentes (notamment en matière de système de santé).
Par ailleurs, pour que les comptes personnels suffisent à financer les retraites futures, il faudrait que les titres boursiers présentent un rendement très élevé. Il est exact que le rendement des titres boursiers a été très élevé au 20ème siècle (7% par an en moyenne). Mais il n’est pas certain que ce rendement élevé perdure, car les actions sont aujourd’hui beaucoup plus chères qu’autrefois. Et si un tel rendement était atteint, le problème des retraites se poserait avec moins d’acuité puisque les prélèvements supplémentaires pour les retraités seraient plus faciles à supporter.
L’argument selon lequel cette réforme, en poussant les ménages à l’épargne forcée, favoriserait la croissance économique et résoudrait partiellement le problème de la faible épargne aux USA est un leurre. Après tout si l’on m’oblige à épargner 15% de mon revenu mais que je ne veux pas le faire, je peux m’endetter pour compenser et maintenir ma consommation immédiate.
Cette réforme n’est donc pas nécessaire ni urgente; elle fait courir le risque d’une dégradation supplémentaire des comptes publics américains, à une période ou ceux-ci sont déjà sous pression. Il y a donc des raisons d’être circonspect, même si cela ne condamne pas la mesure en soi.
4- “cette réforme participe d’une contre-révolution conservatrice dont l’objectif est la liquidation de l’état-providence de Roosevelt”
BOF
S’il est exact que la “social security” constitue l’une des pierres angulaires des réformes de Roosevelt, qui ne sont pas en odeur de sainteté parmi les conservateurs américains, et que sa “privatisation” est recommandée par de nombreux courants du conservatisme, il faut noter que le plan Bush suscite des réactions paradoxales. De nombreux conservateurs n’approuvent guère la hausse considérable des dépenses publiques que ce plan suppose (voir ce post), et voient mal ce qu’il y a de “conservateur” dans l’épargne forcée. Dans le même temps, des gens classés plus à gauche (comme l’économiste Brad de Long) sont favorables au principe, mais en considérant la constitution de comptes personnels comme un complément du système de retraites existant.