La malédiction de la couverture désigne le fait, pour une entreprise, de subir une forte baisse de cours boursier après s’être trouvée en couverture d’un magazine célèbre. Prise à la lettre, elle signifie que l’investisseur prudent devrait vendre immédiatement toute action d’entreprise dont le PDG est désigné “manager de l’année” ou dont la gestion et le business model sont vantés en couverture de magazines spécialisés.
Le phénomène n’est pas anecdotique : une étude récente et systématique des couvertures de Business Week, Forbes et Fortune par trois analystes financiers a montré que le phénomène était réel. Lorsqu’une entreprise fait les gros titres pour ses performances exceptionnelles, cela signale souvent la fin desdites performances. De la même façon, lorsqu’une entreprise fait l’objet d’articles la décrivant comme moribonde et réalisant des performances faibles, cela annonce la fin de ces faibles résultats. On pourra se référer à cette adresse pour trouver quelques exemples des couvertures les plus comiques (a posteriori) de Business Week.
La couverture du 27 avril 2006 de the Economist (qui illustre ce post) mérite à ce titre d’être admirée comme illustration remarquable de la malédiction de la couverture. La banque Goldman Sachs y était décrite dans un article comme “on top of the world” et autres “simply the best”. Surtout l’article détaillait avec admiration la façon dont les risques sont aujourd’hui “découpés et recombinés en combinaisons satisfaisant à la fois émetteurs et investisseurs” et le fonctionnement des “marchés dérivés permettant de transférer le risque d’une partie à une autre”. toutes les banques d’affaires avaient suivi le mouvement vers ces marchés à plus fortes marges que les marchés traditionnels, plus transparents.
Le problème, c’est si que ces instruments de transfert de risques peuvent aboutir à ce que ceux qui le détiennent sont ceux qui le souhaitent, ils peuvent conduire aussi à ce que les vrais détenteurs du risque, suite à l’opacité du système, soient simplement les ignorants, ceux qui ne se rendent pas compte de ce qu’ils font.
Je ne sais pas s’il y a beaucoup d’ignorants chez Goldman Sachs, mais il y a au moins un “chief financial officer” capable de sortir publiquement une énormité comme “nous avons vu des choses qui étaient des fluctuations de 25 écart-type, plusieurs jours de suite”. Rappelons que l’univers n’est pas assez vieux pour que l’on ait assisté un jour à une seule fluctuation de 16 écart-type (voir Felix Salmon et Chris Dillow).
En tout état de cause, on peut observer aujourd’hui la malédiction qu’a été pour Goldman Sachs de se trouver en couverture de the Economist. Le graphique du cours montre qu’un mois après la publication de l’article, le cours de l’action avait baissé de 20 dollars. Il s’était repris ensuite et avait fortement augmenté, mais la position de la banque au “coeur du système de finance moderne” comme disait l’article, fait que celui-ci a baissé de 50 dollars depuis le début des turbulences financières (celles qui avaient disparu grâce aux innovations de la finance moderne – décidément Rudi Dornbusch avait bien raison).
Il y a beaucoup de raisons de relativiser la situation actuelle, il y aurait à dire aussi sur le comportement des banques centrales et des gouvernements, un peu trop avides de nourrir la prochaine bulle en se sentant obligés de sauver des investisseurs qui veulent bien le rendement, mais pleurent quand ils rencontrent le risque qui va forcément avec; en attendant, Goldman Sachs illustre à merveille le fait qu’être couronné “roi du monde” par un magazine n’est pas forcément une bonne nouvelle. Personnellement, je serai actionnaire de Google, je me ferai quelques soucis.
- William Nordhaus, Paul Romer, Nobel d’économie 2018 - 19 octobre 2018
- Arsène Wenger - 21 avril 2018
- Sur classe éco - 11 février 2018
- inégalités salariales - 14 janvier 2018
- Salaire minimum - 18 décembre 2017
- Star wars et la stagnation séculaire - 11 décembre 2017
- Bitcoin! 10 000! 11 000! oh je sais plus quoi! - 4 décembre 2017
- Haro - 26 novembre 2017
- Sur classe éco - 20 novembre 2017
- Les études coûtent-elles assez cher? - 30 octobre 2017
"l’univers n’est pas assez vieux…"
En revanche, l’univers est assez vieux pour avoir vu un phénomène aléatoire qui ne suit pas exactement une loi normale comme son modèle. D’ailleurs, croire en la validité du modèle gaussien jusqu’à 25 écarts-types, n’est-ce pas formellement interdit par le Code des économistes?
"Personnellement, je serai actionnaire de Google, je me ferai quelques soucis."
Meuhnon ! Ils ont Hal Varian… Voir le dernier paragraphe de ce billet legizmoblog.blogspot.com/…
Dans un des derniers "the economist"(celui qui titre "surviving the markets", je crois), il est à peu près tenu le même raisonnement, et l’histoire des fluctuations de 25 écart-type revient, et est même un peu développée (l’article précise que selon le modèle utilisé, la probabilité d’une telle variation était de O,OOO…O3 avec plus d’une centaine de 0 entre le premier 0 derrière la virgule et le trois.
C’est vrai que j’y ai davantage vu le signe qu’une probabilité avait été sous-évaluée par le modèle informatique que le signe qu’un évènement hautement improbable s’était produit.
Vous excuserez mon manque de précision et de compréhension de ce dont je parle, mais je suis bien loin d’être un économiste.
Les gens chez GS ne sont pas du tout des ignorants.
Ce ne sont que des intermédiaires qui s’enrichissent en étant le maillon principal dans la chaine qui va de celui qui s’endette sur 30 ans sans lire son contrat de prêt a la banque régionale allemande qui se cherche un role dans le monde nouveau et se croit capable de transmuter le plomb en or.
"Personnellement, je serai actionnaire de Google, je me ferai quelques soucis."
Sans doute, comme disait Bill Gates: "Certainement, un jour une société va battre Microsoft, mais mon boulot c’est que ce soit le plus tard possible".
Cela étant, si une société comme Google fait la une de toutes sortes de journaux dans toutes sortes de pays, est-ce que la corrélation fonctionne aussi?
On est loin d’avoir atteint les limites de son modèle de développement.
en quoi le fait que le cours boursier d’une entrepise est un indicateur de ses performances?
au hasard, en quoi l’augmentation du cours en bourse de mon vendeur de kebab fait que ses kababs soient meilleurs, en quoi l’augmentation du cours en bourse de ma société fait que nous allons faire de meilleurs produits super innovants
finallement 6 économistes dans la commission Attali, c’est peut être 6 de trop!
et zou, encore un post qui va se faire censurer du pays des bisounours où tout le monde est d’accord avec tout le monde
La preuve… Vous ne lisez visiblement pas les posts que vous commentez, mais nous lisons les commentaires avant de les poster. C’est sans nul doute ce qui vous conduit à être censuré parfois.
Il n’empèche queles dernière nouvelles de GS sont que les résultats restent bien meilleurs que ceux de ses concurrents. Il semble que les analystes célébrés par cette couverture aient convaincu la banque dès fin 2006 qu’il était urgent de couvrir autant que possible ses risques sur l’immobilier, qu’elle a donc investit massivement depuis lors sur des produits à travers lequels la baisse lui rapporte énormément, ce qui pour l’instant fait plus que couvrir ses pertes par ailleurs. On peut toutefois rester frappé du cynisme avec lequel gs a incité tout le monde à s’investir à fond sur ce marché pour s’en retirer juste avant que le piège se referme.