La communication de Thomas Piketty et Emmanuel Saez au congrès de l’American Economic Association était consacrée à la présentation de données concernant l’évolution des hauts revenus dans le monde au cours du 20ème siècle (merci Mark Thoma d’avoir attiré mon attention sur cette communication). L’article est accessible à cette page. Trois graphiques retiennent l’attention.
Voici le premier, qui met en évidence la part du revenu national reçue par les 0.1% les plus riches aux USA, Grande-Bretagne, et Canada.
Ce qu’on y lit est bien connu : la part du revenu des plus riches a régulièrement diminué tout au long du siècle, pour remonter brutalement à partir de la fin des années 70, jusqu’à maintenant. Les inégalités ont suivi le même mouvement (le revenu des plus pauvres a légèrement diminué, les revenus moyens ont faiblement augmenté, les revenus des plus riches ont fortement augmenté). Beaucoup d’explications ont été avancées à ces phénomènes, parmi lesquelles celle d’un progrès technique “biaisé” qui a accru la rémunération des personnes disposant de certaines compétences. On retrouve cette idée en observant l’origine des revenus reçus :
Deux choses apparaissent clairement : premièrement, la baisse de la part des revenus des plus riches intervenue au cours du siècle provient de la baisse des revenus du capital. Selon les auteurs, cela provient de l’effet conjugué des chocs liés aux guerres mondiales, et à la montée de l’impôt sur le revenu progressif. Deuxièmement, la hausse récente ne provient pas du capital, mais de revenus du travail (“business incomes” et surtout salaires). Comment expliquer cette montée très forte des rémunérations pour les très hauts revenus? Les auteurs étudient trois explications potentielles. La première est bien connue, c’est celle d’un progrès technique “biaisé” qui aurait fortement accru le salaire de certaines personnes détenant des compétences particulières. Ils citent notamment l’idée selon laquelle les compétences managériales sont devenues moins spécifiques aux secteurs d’activité : dès lors, sont apparus des “marchés de managers” sur lesquels les entreprises sont en concurrence pour un tout petit nombre de managers, faisant fortement grimper les revenus de ceux-ci (un peu comme le revenu des footballeurs en Europe après l’arrêt Bosman : l’analogie est de moi). Cette explication est plausible… Mais n’explique pas la raison pour laquelle le revenu des plus riches n’a pas connu la même augmentation dans d’autres pays, comme par exemple la France et le Japon, alors que les mêmes évolutions technologiques s’y sont produit :
Comment comprendre alors que les revenus des plus riches aient considérablement augmenté dans les pays anglophones, et pas dans les autres pays? Les auteurs avancent deux propositions. Soit les institutions nationales, les syndicats, les règlementations du marchés du travail, les normes sociales, peuvent empêcher les salaires des cadres dirigeants d’atteindre leur niveau (élevé) d’équilibre; Et ces obstacles ont été pour l’essentiel levés dans les années 80 dans les pays anglophones. Ou alors, là aussi pour des raisons institutionnelles, la capacité des dirigeants à fixer entre eux leurs propres salaires, et à extorquer des rentes des actionnaires (par exemple en cumulant les places dans les conseils d’administration) a considérablement augmenté sur la même période, aboutissant au même résultat. Dans le premier cas, les institutions qui conduisent à une sous-rémunération des dirigeants conduisent à une situation inefficiente; pas dans le second cas. L’article vaut en tout cas le coup d’être lu : food for thought, comme on dit dans ces cas-là.
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