Chacun le sait : Les générations précédentes ont vécu une époque particulière, dans laquelle on entrait chez un employeur pour la vie. Mais aujourd’hui, avec le progrès technique/la mondialisation/l’aube du 21ème siècle/le turbocapitalisme panglobalisé/autre à préciser, ce n’est plus pareil : les salariés doivent se préparer à changer plusieurs fois d’employeur dans leur vie et de pouvoir s’adapter à ces changements. Refuser de s’adapter et s’attacher à l’emploi à vie, c’est être passéiste et refuser de regarder la nouvelle réalité en face. Ce discours, on l’entend de partout, à gauche comme à droite, les uns pour condamner la triste époque dans laquelle nous vivons, les autres pour pousser aux réformes; il n’est pas une spécialité française, mais une banalité internationale (George Bush, en 2004, déclarait ainsi qu’à l’époque de nos parents, les salariés avaient un emploi, une qualification, un employeur, durant toute leur vie, mais que désormais, les salariés changent d’emploi et de carrière plusieurs fois dans leur vie). Mais tout cela est-il vrai?
Aux Etats-Unis, en tout cas, les économistes peinent à trouver une quelconque trace de cette évolution contemporaine, de cette grande transformation des temps de l’emploi à vie à ceux du salarié adaptable et nomade. James Surowiecki, dans un article du New Yorker, a présenté récemment diverses études cherchant à mesurer l’évolution des carrières d’une génération à une autre. Et il semble bien, pour reprendre le titre de l’une des études qu’il cite, que plus ça change, plus c’est la même chose. Cette étude a comparé les carrières de salariés âgés en 1969 et en 2002 : on ne trouve que des différences marginales entre les deux époques. En moyenne, les salariés de 1969 avaient passé 21,9 ans dans l’emploi qu’ils avaient occupé le plus longtemps dans leur vie; ce même chiffre est de 21,4 ans pour les salariés de 2002, soit une différence minime. En 1969, comme en 2002, un peu plus de la moitié des salariés avaient passé plus de 20 ans dans un seul emploi; De la même façon, d’autres statistiques ont montré qu’aux USA, la durée moyenne d’emploi pour les salariés de plus de 25 ans avait à peine varié depuis le début des années 80; dans les grandes entreprises, la proportion d’employés présents depuis plus de 10 ans a même légèrement augmenté pendant les années 90. Le grand changement de fonctionnement du monde du travail ne s’est tout simplement pas produit.
Comment expliquer alors cette impression d’une très grande instabilité de l’emploi? Plusieurs raisons à cela. Tout d’abord parce qu’aujourd’hui, les grandes opérations de réductions d’effectif sont amplement médiatisées; les journaux télévisés nous font chaque soir l’actualité des plans sociaux et des milliers d’emploi qui disparaissent : mais ces quelques anecdotes cachent le fait que pour une économie dans son ensemble, ce genre de chose constitue un non-évènement. Après tout, en France, chaque jour ouvrable, sont créés et détruits 10 000 emplois.
La seconde raison, c’est que nous avons tendance à exagérément idéaliser le passé en le considérant comme un âge d’or de l’emploi à vie : en réalité, les salariés des générations précédentes ne jouissaient pas de tant de stabilité d’emploi que cela. En moyenne, un salarié américain prenant sa retraite en 1978 avait occupé 10 emplois différents, ce qui est très éloigné du mythe d’un emploi, un employeur et une qualification dans toute une vie. Mais la différence entre hier et aujourd’hui ne tient pas à la durabilité des emplois.
Ou est la différence, alors? Elle tient premièrement au fait qu’il est beaucoup plus traumatisant d’être chômeur aujourd’hui qu’autrefois. Aux Etats-Unis, la durée moyenne d’une période de chômage a augmenté de 50% depuis les années 70. Par ailleurs, les allocations de chômage sont moins généreuses qu’à l’époque; et comme un emploi assure souvent une couverture maladie, et que les coûts du système de santé américain sont très élevés, être au chômage fait supporter un risque très important en cas de problème de santé. S’y ajoute souvent un risque accru en matière de retraite avec le basculement . Ce risque accru s’est accompagné, pour l’essentiel des salariés, par une assez grande stagnation des salaires, les gains de productivité étant captés par les hauts revenus, alors qu’ils étaient plus largement répartis auparavant. C’est dans ce basculement (plus de risque pour une rémunération identique ou moindre) qu’il faut chercher les traces d’un sentiment d’insécurité des salariés aux USA.
Et en France? On retrouve une partie de ces caractéristiques. La très forte augmentation du chômage, et sa durée moyenne extrêmement élevée font que là aussi que se retrouver au chômage est aujourd’hui une expérience plus traumatisante qu’à l’époque ou son niveau était moindre. Néanmoins, ceci est en partie compensé par un niveau conséquent d’allocation et d’aides reçues (qui en retour ont pour effet d’accroître la durée moyenne du chômage en le rendant plus tolérable). Par ailleurs, la captation des gains de productivité par les hauts revenus n’est pas survenue en France, contrairement aux USA. Concernant la mobilité d’emploi, il est probable qu’on trouve à peu près les mêmes caractéristiques qu’aux USA, à savoir que l’âge d’or de l’emploi à vie n’a jamais existé (après tout, même dans la fonction publique, l’emploi à vie s’accompagne d’un degré conséquent de mobilité géographique et des postes occupés pour le personnel) et que les changements en la matière sont faibles.
Il convient en tout cas de bien avoir cette réalité de la durée des emplois aux USA à l’esprit, pour pouvoir hausser les épaules lorsqu’on entend pour la énième fois le lieu commun des salariés d’aujourd’hui qui doivent être mobilo-nomades contrairement à leurs aînés. Surtout, il ne faut pas oublier que cette croyance a un effet pernicieux. On propose régulièrement des politiques de lutte contre le chômage fondées sur ce préjugé du salarié moderne forcément mobile et obligé de devoir exercer de nombreux emplois dans sa vie professionnelle : cela recouvre toutes les politiques faisant de la formation des salariés tout au long de leur vie la panacée de long terme contre le chômage. En réalité, il n’est pas du tout certain que la formation puisse avoir un effet notable sur le niveau du chômage, et que “plus de formation pour des salariés plus mobiles” soit un besoin réel. Les incitations à travailler et les désincitations à l’embauche constituent des candidats beaucoup plus crédibles.
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Je pense qu’utiliser des distributions plutot qu’une simple moyenne sur le nombre d’emploi et les durée d’emploi pourrait se révéler interessant, pour voir s’il y a vraiment deux populations distinctes dans chacune des régions étudiée, celle qui enchaine les emplois courts et celle qui enchaine des emplois relativement longs.
La France est un des pays les plus dynamiques en Europe sur les créations et destructions des emplois, et tres proche au niveau statistique des USAs, voir par exemple ce billet qui cite Jean-François Couvrat et Olivier Blanchard :
http://www.eurotrib.com/story/20...
La proportion de créations/destructions d’emploi par rapport à l’emploi total est la même partout, soit à peu près 15% par an. Faut pas surinterpréter des posts de blog déjà eux-mêmes très surinterprétés…
Il y a plusieurs points essentiels a prendre en compte : les mobilites sont-elles desirees (on trouve mieux ailleurs) ou subies (on se fait virer) ? Menent-elles sur un autre emploi ou au chomage (voir un court papier de G St Paul "Employement, a transatlantic perspective") ? Le chomage est-il durable ou non ?
Si on prend en compte ces trois elements, on a un autre tableau : plus de precarite (ie mobilite subie) et une "trappe à chomage" dont il est difficile de sortir pour ceux qui y tombent ou qui y commencent leur carriere. Et une "precarite statistique" qui a certes peu augmente en moyenne, mais qui a fortement progresse pour certains.
Voir l’analyse ecrite par F Postel-Vinay dans le note n°45 de la Fondation Jean Jaures, telechargeable ds les articles connexes sur http://www.supprimerlechomage.org), qui explique très bien ceci.
Une autre différence entre les emplois d’avant et ceux d’aujourd’hui ne tient-elle pas également dans le type-même des contrats de travail?
En d’autres termes, il me semble qu’il y a quand même une différence entre une personne qui, sur toute sa vie, est passée par 10 CDI, avec d’importantes indemnités de licenciement et un certain sentiment de sécurité de l’emploi, et une personne qui à la fin de sa vie est également passée par 10 emplois différents, mais dont les 3/4 étaient des CDD?
bien peur que ce soit idiot. Cependant il me semble que si quelqu’un a eu 10 CDI il n’est pas resté assez longtemps dans chacun de ses postes pour avoir de très importantes indemnités de licenciement. Je sais c’est un détail, il avait une certaine tranquilité d’esprit. C’est ce qu’il faut tenter d’obtenir : mobilité mais sécurité
bien peur que ce soit idiot. Cependant il me semble que si quelqu’un a eu 10 CDI il n’est pas resté assez longtemps dans chacun de ses postes pour avoir de très importantes indemnités de licenciement. Je sais c’est un détail, il avait une certaine tranquilité d’esprit. C’est ce qu’il faut tenter d’obtenir : mobilité mais sécurité
Destruction et création d’emplois
En réponse à ma remarque sur les créations destructions d’emploi Alexandre Delaigue écrit
La sécurité de l’emploi dans un CDI par rapport au CDD, les indemnités de licenciement, l’élévation de la protection de l’emploi, sont des choses récentes. Avant, paradoxalement, on avait beaucoup moins de protection d’emploi mais plus de sentiment de sécurité.
econoclaste-alexandre : "Avant, paradoxalement, on avait beaucoup moins de protection d’emploi mais plus de sentiment de sécurité. "
La différence ne vient-elle pas de ce que pour le salarié de base les choses s’amélioraient (les droits sociaux s’accumulaient, l’inégalité faiblissait) alors que de nos jours elles empirent (les droits sociaux sont attaqués, l’inégalité augmente)? Autrefois un jeune pouvait raisonnablement espérer vivre mieux que ses parents, de nos jours c’est l’inverse. La dynamique n’est pas la même.
Comment expliquer alors cette impression d’une très grande instabilité de l’emploi?
Timothy Taylor propose l’explication suivante qui me semble très convaincante dans son introduction à l’économie "Contemporary Economic Issues" chez The Teaching Company. Lecture 11 – "Are America’s jobs decreasing in quality?" :
There is wildspread belief that jobs have become more unstable in the 1990’s, that is to say job tenure is going down. But interestingly, a number of studies on the subject have found that overall job tenure hasn’t changed all that much. I quote from an economist called Henry Farber : "No systematic change has occurred in various measures of overall job duration during the past two decades"… "Available data does not support the perception that the American workforce has become increasingly mobile"… President Clinton’s economic advisor in their annual economic report "No strong trend in overall employment unstability can be found, if there has been an increase it is either too recent or too subtle to be reflected in the aggregate job tenure statistics". How do we explain what everbody knows isn’t necessarily so? One factor in all this seems to be gender distinction. It is clear that job tenure has gone up for women since the 1970’s. It is also clear that job tenure has gone down for low-skilled men. So the belief that job tenure is down may actually be a statement which is focused on male workers. But the fact that women are now in jobs and staying in jobs longer and longer has offset this movement. As Henry Farber puts it : "Long term jobs used to be almost exclusively the profits of men. The only change in the data is the increased probability of long term employment for women". So I suspect that we used to know who it was in our economy that worked part time and had temporary jobs, and the shorthand answer for those people was : they were women.