John Kenneth Galbraith est mort

John Kenneth Galbraith est mort hier, à l’âge de 97 ans.

Il aura été l’un des économistes les plus influents, et les plus connus, du 20ème siècle; même si cette célébrité et cette influence se sont beaucoup plus rencontrés dans le grand public que parmi ses collègues économistes. Ce décalage provient en grande partie du fait que Galbraith, une forte personnalité, n’aimait rien tant que critiquer les fondements de ce qui constituait le travail de ses collègues. Ce travail était utile : toutes les sciences sont victimes du conformisme, et ne peuvent que bénéficier de franc-tireurs flamboyants comme Galbraith, qui savent mieux que personne débusquer les idées reçues, les postulats contestables, et identifier ce qui constitue des traits fondamentaux d’un phénomène et qui échappe totalement aux théories en place. Les livres les plus importants de l’auteur – l’ère de l’opulence et le nouvel état industriel – sont autant de visions de la société américaine, fondée sur un équilibre entre grandes entreprises et syndicats préservant leur existence par leur grande taille et leurs pratiques commerciales, et dans laquelle la société de consommation conduit à négliger la fourniture de biens collectifs utiles, et qui ont eu une influence considérable.

Car Galbraith n’a pas été qu’un auteur de best-sellers économiques : il a aussi été un conseiller des présidents américains Kennedy et Johnson, et a largement contribué aux programmes sociaux constituant la “grande société” de ce dernier. Héritier intellectuel de Veblen et de Keynes, il a largement contribué à faire du keynésianisme la base de l’analyse économique jusqu’aux années 70.

La suite de l’histoire a été peu avantageuse pour ses analyses. Il n’a eu que peu de successeurs intellectuels : son discours, considérant que le monde est compliqué et que ce que nous croyons savoir est le plus souvent faux, n’avait que peu de chances de constituer une école de pensée. Par ailleurs, l’histoire n’a guère été charitable avec ses concepts. Il voyait la société de consommation moderne devenir une économie de moins en moins soumise aux mécanismes de marché, mais dans lequel un ensemble d’entreprises de plus en plus grandes et bureaucratisées dominent les consommateurs, leur imposent leurs goûts, et se préservent de toutes sortes de contraintes, sur le modèle de General Motors dans les années 60. Comme le rappelait Krugman, (ou plus récemment Aleablog) ce n’est pas une conception qui a bien vieilli. La foi de Galbraith dans un keynésianisme social-démocrate très marqué s’est heurtée à la stagflation des années 70, et plus grand monde aujourd’hui n’y souscrit. Galbraith n’était pas modeste (et il le fallait) mais ce manque de modestie a conduit beaucoup d’économistes à laisser tomber la totalité de son travail lorsque des failles y sont apparues. En termes intellectuels, il est probable que Galbraith restera l’un de ces économistes, comme Veblen, que l’on passe son temps à redécouvrir, une lecture perpétuellement stimulante.

A partir des années 70, Galbraith a écrit énormément de livres reprenant ses idées et critiquant l’air du temps. Il est alors devenu le grand pourfendeur des idées reçues en économie, et l’inlassable promoteur d’une social-démocratie qui n’avait guère de partisans dans son pays. A ce titre, c’était un intellectuel remarquable, d’une grande constance, prêt à critiquer ses propres alliés (une qualité rare); mais c’était surtout une figure indispensable. Il manquera par sa capacité à constamment, et inlassablement critiquer les idées reçues de son temps, comme le rappelait John Kay dans une remarquable chronique du dernier livre écrit par Galbraith, à l’âge de 97 ans.

Une liste de ses livres peut être trouvée ici. Récemment, est parue une biographie de Galbraith, qui a été commentée par The Economist et Brad de Long (ce dernier qualifiant Galbraith de Sisyphe de la social-démocratie, poussant sans relâche ce rocher qui ne pouvait pas tenir en place). Le New York times lui a consacré une longue nécrologie qui fait le tour de sa carrière et de sa vie. D’autres articles suivront certainement.

Edit : voir aussi cet article chez Mark Thoma.

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Alexandre Delaigue

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2 Commentaires

  1. Une grande perte… surtout pour ceux qui, récemment entrés dans le domaine de l’étude de l’économie, auraient bien aimé lui envoyer une petite carte postale avec juste marqué "merci".

    Disons que ce fut l’un des auteurs qui m’a donné réellement envie de me plonger dans ce domaine d’étude…

    Ça fait drôle. C’est un peu comme lorsqu’un écrivain meurt : on sait qu’on ne retrouvera pas ses tournures, idées, propositions, à tous les coins de rue. Et ça fait chier. Vraiment.

    Amicalement,
    AJC

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