Goldman Sachs et le côté obscur de la Force

Chaque jour, dans les villes, des gens perdent des pièces de monnaie, qui roulent hors de leur poche ou de leur porte-monnaie. Et chaque jour, d’autres personnes trouvent ces pièces par terre, et s’enrichissent d’autant, ravies de l’aubaine. Il ne viendrait à l’idée de personne de considérer que le gain des trouveurs de pièces est un enrichissement collectif; après tout, ce qu’ils gagnent a exactement été perdu par d’autres. Pour la même raison, il n’y a pas à considérer la perte de ceux qui ont laissé tomber une pièce comme une perte pour la collectivité, dans la mesure ou cet argent a été retrouvé et ramassé par quelqu’un d’autre (d’ailleurs, même si personne ne ramasse la pièce, il ne s’agit pas non plus d’une perte sociale : en guise de travaux pratiques de rentrée, expliquez pourquoi).

Imaginons maintenant que dans une grande ville, un gang de mendiants s’organise pour ramasser, de façon systématique, les pièces de monnaie perdues. Résultat, au lieu que les pièces égarées soient trouvées par tout un chacun, ce gang s’approprie la totalité de celles-ci, garantissant un revenu quotidien pour ses membres.

Les gains de ce gang constituent-ils un enrichissement pour la collectivité? Certainement pas. Il s’agit d’une simple appropriation; alors qu’avant les pièces perdues pouvaient être trouvées par tout le monde, désormais, elles ne sont reçues que par les membres du gang. La société ne s’en trouve ni moins riche, ni plus riche, qu’auparavant.

Le jugement sur cette activité, pour autant, sera peut-être différent. Il y aura ceux pour qui, par principe, un profit est un gain mal acquis, acceptable à l’extrême limite lorsqu’il constitue la carotte d’un entrepreneur, et encore. Ceux-là pourront dire que les gains du gang constituent une extorsion, exercée au désavantage de l’ensemble de la population, qui n’a plus la possibilité de trouver une pièce de monnaie par hasard. C’est oublier que l’identité des bénéficiaires des pièces perdues, d’un point de vue d’efficacité économique, n’a strictement aucune importance. Il y aura aussi ceux pour qui, par principe toujours, une activité privée est par nature bonne; ceux-là se livreront à mille exercices de ratiocination pour identifier l’origine du “gain” dans un quelconque avantage apporté à l’économie dans son ensemble, loueront le génie de l’entrepreneur qui a réussi à s’enrichir de la sorte. Ils commettront la même erreur; ce genre de transfert pur, du point de vue de l’efficacité économique, n’a strictement aucun effet.

Sur une liste des économistes qui auraient mérité un prix Nobel, mais sont morts sans le recevoir, Jack Hirshleifer y figurerait probablement. Comme souvent en économie, son apport a consisté à mettre le doigt sur un phénomène évident une fois qu’il est formulé, mais dont la formulation et les conséquences avaient échappé à tout le monde avant lui. Son idée, développée notamment dans son ouvrage “the dark side of the force” consistait à remarquer qu’il existait deux grandes catégories de façons de s’enrichir; la production et l’échange d’une part, qui concerne l’enrichissement collectif; et la prédation et le conflit d’autre part, qui est au mieux seulement redistributive, et au pire, destructrice. Hirshleifer constatait que les économistes, fascinés par le mécanisme de la main invisible, avaient toujours eu tendance à accorder beaucoup plus d’intérêt à la première sorte d’enrichissement, négligeant assez largement la seconde, alors que celle-ci est très fréquemment rencontrée. L’essentiel de ses travaux a porté précisément sur l’analyse des formes et des conséquences de la seconde forme d’enrichissement.

Dans la typologie d’Hirshleifer, le gain réalisé par notre gang de mendiants est purement prédatoire, ne relevant ni de la production, ni de l’échange. Si a priori il ne génère aucun coût direct pour la collectivité, il constitue potentiellement un gaspillage de ressources – la force de travail des mendiants pourrait être utilisée à des tâches de production et d’échange. Ce que nous rappelle Hirshleifer, c’est que ce type d’activité est remarquablement banal, et que les économistes sont remarquablement sous-équipés pour savoir quoi dire à leur sujet.

Exemple typique : Etienne Wasmer nous renvoie à une interview de Thomas Philippon, dans laquelle celui-ci recommande d’évaluer l’utilité sociale des différentes activités des banques, afin de taxer celles qui en sont dépourvues, ou sont nuisibles. Il prend l’exemple du high frequency trading pratiqué par certaines banques, notamment Goldman Sachs, activité consistant à l’aide d’ordinateurs et de logiciels performants à passer des ordres sur les marchés un très court instant avant les autres opérateurs, permettant de réaliser un gain dans l’opération. Il s’agit d’une activité qui au fond, ne se distingue pas des pratiques de notre gang de mendiants. En l’absence de High Frequency trading, les gains appropriés de cette façon seraient simplement disséminés entre les différents opérateurs; ces techniques ne servent qu’à concentrer ces gains vers ceux qui les utilisent. Krugman, dans une récente critique de ce type de pratiques, citait d’ailleurs les travaux d’Hirshleifer sur ce sujet.

Mais comme le remarque Wasmer, la solution proposée consistant à taxer les activités bancaires en fonction de leur dangerosité sociale, si elle respecte les canons de l’économie de manuel de base, frappe par son irréalisme. Comment identifier, par avance, les coûts et risques d’une innovation financière? Que dire, au hasard, des credit default swaps, conçus pour réduire les risques, mais dont l’utilisation déraisonnée a produit la chute de Lehmann et d’AIG? Philippon suppose que des régulateurs bien informés pourraient identifier la nature des risques, mais on peut raisonnablement en douter. Et quand bien même, comment espérer que tous les pays parviennent à un accord également contraignant vis à vis de leurs banques nationales, alors même que la situation est avant tout celle du pouvoir politique acquis par celles-ci vis à vis des gouvernements? L’identification du problème est une chose, les solutions proposées paraissent à la fois singulièrement simplistes et à côté des enjeux. On peut en dire autant des pistes de David Thesmar sur le sujet.

Par défaut, face aux activités prédatoires, les économistes semblent se cantonner aux bases; taxes pigoviennes pour Philippon, transparence et actionnaires chez Thesmar; tout cela laisse franchement sur sa faim. Les économistes n’ont jamais tant eu besoin de Jack Hirshleifer.

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Alexandre Delaigue

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27 Commentaires

  1. Ca fait des annees que vous lise et je ne le regrette jamais. Je comprend pourquoi votre site sappelle Econoclaste. Merci

  2. > même si personne ne ramasse la pièce,
    > il ne s’agit pas non plus d’une perte sociale

    Je tente une réponse, quitte à dire n’importe quoi : parce que la pièce en elle même n’est pas une richesse, simplement un moyen d’échanger des richesses. Si personne ne trouve la pièce, la monnaie subira une (très faible) déflation. Au final, il y aura donc moins de monnaie en circulation mais les prix seront plus bas donc ça ne changera rien pour la société dans son ensemble.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Yep, c’est l’idée 🙂

  3. Cette distinction entre [la production et l’échange d’une part, qui concerne l’enrichissement collectif; et la prédation et le conflit d’autre part, qui est au mieux seulement redistributive, et au pire, destructrice] me semble ressortir d’une vision assez néo-classique du monde.

    Les rapports d’échange et de production sont noyautés par des rapports de violence et de prédation. Les individus ne sont pas des "agents économiques" mutli-fonctions mais rationnels. Il n’y a pas, d’un coté les rapports économiques "normaux" et "logiques" avec en toile de fond une sorte de "morale" qui ne dit pas son nom (à part celui d’efficacité ou d’efficience), et d’un autre coté la violence ou la prédation contre productive.

    Que pense Monsieur Hirshleifer de la prédation des grandes entreprise commerciales qui profitent de l’information, pas aussi parfaite que cela, des consommateurs pour vendre des produits ou des services avec des marges peu compatibles avec la situation supposée de concurrence ?

    Que pense Monsieur Hirshleifer de l’efficacité des rapports de force et de prédation sur la productivité des salariés ? surtout en temps de crise !

    Réponse de Alexandre Delaigue
    La distinction entre activités prédatrices et activités de production et d’échange n’empêche pas de considérer l’existence de rapports de force dans les seconds. Jamais vous ne verrez Marx nier le fait que le système de production capitaliste conduit à accroître les “forces productives”, même si au passage les prolétaires sont spoliés par les capitalistes. On se trouve alors dans une question de surplus à distribuer, mais le surplus existe. Dans une activité prédatrice, il n’y a pas de surplus à distribuer.

  4. Wasmer semble accepter comme postulat l’idée que l’activité des mendiants est prédatrice. Mais contrairement à Philippon, il dit : on n’a pas de moyen efficace pour l’empêcher.

    Mais ils écartent un peu vite une autre possibilité : que les mendiants ne soient peut-être pas un "gang" ni des "prédateurs". Décider si ils sont ou non des prédateurs revient à décider à qui appartiennent les pièces. C’est un problème de droits de propriété.

    Certains diraient : les pièces appartiennent à ceux qui les ont perdues, même s’ils ont été négligents avec leur porte-monnaie.

    Un coasien pur jus dirait que les pièces appartiennent à ceux pour qui elles ont la plus grande utilité, à savoir les mendiants.

    On pourrait voir les pièces perdues comme une ressource naturelle, dont l’exploitation profite à la société en général. Et ce sont les mendiants qui s’en chargent.

    Une dernière approche est : on ne sait pas. A qui est une pièce perdue; son propriétaire sait-il seulement qu’il l’a perdue? A-t-il préféré ne pas perdre son temps à la chercher? Ou bien ne sait-il pas qu’il l’a perdue? Selon les cas, l’activité des mendiants profitera plus ou moins aux uns et aux autres.

    Je ne sais pas à quoi sert le high-frequency trading. Je ne sais pas à qui il profite. Mais à mes yeux cela ne suffit pas pour le désigner comme une activité "prédatrice" et se lancer dans une discussion des moyens permettant de l’interdire.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Je savais que vous alliez ergoter 🙂

  5. "(d’ailleurs, même si personne ne ramasse la pièce, il ne s’agit pas non plus d’une perte sociale : en guise de travaux pratiques de rentrée, expliquez pourquoi)"

    MV = PT ! La perte de la pièce fait diminuer la masse monétaire, ce qui se traduira par une déflation proportionnelle, qui laissera inchangé le revenu réel de la société dans son ensemble.
    Fastoche, c’est dans l’Armchair Economist de Landsburg, sur une idée de David Frideman. :p

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Bravo 🙂

  6. Tout individu s’enrichissant des deux manières que vous citez (productrice et prédatrice) sait pourtant que ces deux manières de s’enrichir existent.

    Alors, comment expliquer que les économistes parviennent à éviter de penser à la seconde ?

    Ainsi peut-on rejeter la critique de Wasmer : "Comment identifier, par avance, les coûts et risques d’une innovation financière?" : il n’est pas nécessaire d’évaluer précisément le coût et le risque d’une activité financière : il s’agit simplement de l’évaluer, de la même manière que la justice évalue la mesure des crimes commis par les personnes qu’elle condamne : une approximation des plus légères suffirait.

    Car après tout, il n’est pas nécessaire que la justice s’intéresse aux rapports de force, qui, sans être présents dans toutes les activités prédatrices, en sont un élément essentiel : le monopole de l’usage légitime de la violence par l’Etat est là pour ça : des lois, des flics, des juges, et des prisons : comme pour tous les comportements prédateurs en société.

  7. Ce brillant post, me fait penser au non moins intéressant ouvrage , Prédateurs et Prédation de Michel Volle, poussant l’analyse un cran plus loin entre concurrence monopolistique, changement socio-technique et organisation sociale … Une chronique incisive de SM et Alexandre sur le sujet, à l’heure où la chasse aux traders est organisée ?

  8. Pas tout à fait d’accord avec VilCoyote, sauf l’incommensurable respect que je lui dois : la perte de la pièce ne fait pas diminuer la masse monétaire, qui reste inchangée, mais la vitesse de circulation de la monnaie… "ce qui se traduira par une déflation proportionnelle, qui laissera inchangé le revenu réel de la société de la société dans son ensemble". Sauf à supposer que le "marché" dans son infinie sagesse, aura anticipé que la pièce est immobilisée, et compensera cette immobilisation en réduisant l’offre de biens. 😉

  9. Je ne suis pas d’accord avec vous. Produire de la monnaie a un cout, et les pièces ont une utilité. Si on laisse les pièces s’égarer dans la nature, les prix vont (marginalement) baisser suite à la baisse de la vitesse de circulation de la monnaie. Mais surtout en parralèle, la vitesse de circulation des pièces va baisser, bien plus vite que la vitesse de circulation moyenne de la monnaie! Donc on aura plus de pièces de 10 centimes pour payer notre pain et la Banque de France (ou la BCE) devra en refaire (ce qui potentiellement pour les pièces de 10 centimes coute plus de 10 centimes). Donc les pièces de monnaie ont une valeur sociale, égale à leur cout de production.

  10. Ça me rappelle le film "The terminal" avec Tom Hanks. L’acteur est bloqué pendant des mois à l’intérieur d’un aéroport à cause d’un problème de visa. Pour subsister, il a l’idée de ranger les chariots qui traînent et de récupérer la pièce qui est dedans. Alors : prédateur ou entrepreneur?

    Vous me direz : il rend aussi un "vrai" service puisqu’il range les chariots. D’ailleurs, il se fait immediatement repérer par l’employé de l’aéroport dont c’est le boulot (contre salaire) et il renonce finalement à ce moyen de subsistance (forcément, ce n’est pas un prédateur, puisque c’est Tom Hanks 😉 ).

    La vraie différence, c’est que son activité productive est plus facile à piger que dans le cas du high-frequency trading. Qualifier les activités financières sophistiquées de "prédatrices", pour citer un autre film, c’est comme dans les Monty Pythons : jetons-là dans le lac pour savoir si
    c’est une sorcière!

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Je ne sais pas si vous connaissez Occam, c’est une excellente marque de rasoirs, à ce qu’on dit…

  11. Des activités de prédations, il y en a plein. Par exemple : pme.service-public.fr/act… Cela suppose qu’une partie impose un échange non librement consentie à une autre.

    Je ne suis pas sûr que votre gang des mendiants entre dans cette catégorie. En effet pour qu’il puisse vivre de sa nouvelle activité (où simplement y consacrer une partie de son temps de travail), il est nécessaire que le montant des pièces perdues soit significatif ET qu’il est un avantage comparatif (en l’occurrence qu’il retrouve plus vite les pièces).

    Si on construit le modèle économique de cette activité, en posant :
    – M la masse monétaire perdu chaque jour par les passants,
    – H le temps moyen de récupérations des pièces par les passants,
    – h le temps moyen de récupérations des pièces par les mendiants,
    On a le CA quotidien de l’activité des mendiants qui est égale à M (H – h) / 24.

    Pour que cette activité existe, il faut que ce CA couvre les charges, c’est à dire que la rémunération qu’en tire les mendiants soit supérieure à celle qu’ils pourraient tirer d’une autre activité. Si le gang tient des comptes, il est en mesure d’extérioriser une VA et même de payer des impôts.

    Par contre, votre exemple illustre très bien l’activité « high frequency trading ». Il s’agit effectivement de retrouver plus vite les pièces perdues, en l’occurrence des petites fluctuations de cours (de l’ordre 1s).

    Mais avant l’high frequency trading, ces pièces n’étaient pas récupérés par les petits (et même les gros) porteurs, elles étaient prisent par les teneurs de marchés grâce au système des spreads de cotations.

    Ce faisant, il mange le pain du précédent gang des mendiants. C’est d’ailleurs pour ça que cette activité est montrée du doigt. Mais il accroisse la liquidité du marché et réduisent le montant des spreads, rendant un service à la collectivité.

  12. "une perte pour la collectivité,"
    qu’est ce que c’est dans le contexte de cet article qu’"une perte pour la collectivité"?

    le toutes choses égales par ailleurs est respecté
    on a une diminution marginale de satisfaction liée à 1 euro d’un côté et une augmentation marginale liée à 1 euro de l’autre
    que peut-on dire?

    "les économistes, fascinés par le mécanisme de la main invisible, avaient toujours eu tendance à accorder beaucoup plus d’intérêt à la première sorte d’enrichissement, négligeant assez largement la seconde, alors que celle-ci est très fréquemment rencontrée"

    Houlala houlala!

    sauf démenti d’adam smith, la métaphore de la main invisible signifie que l’action d’un acteur pour s’enrichir – augmenter sa satisfaction – à travers le mécanisme de l’échange volontaire – volontaire – augmente aussi la satisfaction d’autres personnes participant à l’échange et donc il y a un accroissement de la satisfaction générale "comme si ces actions étaient guidées par une main invisible"
    première sorte "d’enrichissement"
    cet enrichissement là est collectif – collectif. Il concerne tous les participants à l’échange

    la seconde sorte d’enrichissement se rapporte à un enrichissement individuel – individuel – celui du prédateur – face à un appauvrissement de ses victimes

    on ne peut ainsi utiliser le mot "enrichessement" comme s’il avait le même sens dans ses deux emplois.

  13. Ce qui est très ironique avec cette histoire de High Frequency Trading, c’est que son impact sur le marché est très similaire à celui qu’aurait un dispositif comme la taxe Tobin. Une sorte de frottement infinitésimal sur les transactions financières.

    Qu’une démonstration de la (relative) innocuité de la taxe Tobin provienne de Goldman Sachs me remplit d’allégresse 🙂

  14. Supposons que je sois un spéculateur sur le marché du pétrole. J’anticipe que le prix du pétrole va monter (c’est une ressource naturelle non renouvelable, son prix est amené à croître, et puis il y la chine qui en veut de plus en plus etc…). J’emprunte beaucoup pour financer mes achats. La masse monétaire augmente. La quantité de pétrole est la même, son prix monte immédiatement.
    La technologie de production des firmes est fixe à court terme, leur consommation de pétrole est la même pour produire une unité de bien. Elles subissent donc le contrecoup de cette hausse du prix du pétrole, le prix des inputs augmente, leur prix de vente augmente en conséquence (choc d’offre négatif), la quantité échangée diminue, des firmes font faillite, des savoir faire sont définitivement perdus. Ce n’est pas neutre sur la production.
    La spéculation porte sur des biens ou des actifs précis, elle modifie les prix relatifs, cela ne peut être neutre sur les quantités produites.

  15. Je ne comprends pas la référence à MV=PT, qui suppose fixes les quantités produites. Or, cela est (éventuellement) valable seulement à très court terme. L’activité des mendiants est-elle neutre à moyen terme ?
    Vous avez dans la société votre gang de mendiants qui récupère des pièces, et d’autres membres qui produisent des biens. La quantité de biens produits ne dépend que de l’activité des seconds. Si les mendiants se mettent à être très efficaces et a gagner beaucoup d’argent grâce à leur activité, cela va attirer vers eux d’autres membres de la société qui auparavant se livraient à des activités productives. La production de biens va diminuer.

  16. Ce qui me ruine le moral à chaque fois que je lis vos chroniques, c’est qu’après, j’ai toujours l’impression qu’on ne pourra jamais, mais alors jamais, ne serait ce que tenter d’évaluer, contrôler et "moraliser" les marchés financiers. Quand j’avais lu l’itw de M. Philippon, la comparaison faite entre certaines activités financières et la pollution me paraissait fort bien trouvée. Cela dit, une chose m’avait frappée par la suite: le fait qu’aujourd’hui, et ce malgré une situation climatique potentiellement catastrophique et qui est connue de tous, très peu d’activités polluantes sont taxées. Et quand elles le sont, ce n’est certainement pas à un niveau suffisant pour être dissuasif.
    En lisant votre prose, ainsi que celle de M. Wasmer, je me rends compte que j’avais oublié le fait que les activités polluantes sont assez facilement identifiables et leurs conséquences, évaluables. Ce qui ne semble pas le cas des activités financières. Je dis "semble", car j’ai quand même du mal à croire que personne n’arrive à savoir quelles pourraient être les conséquences économiques et sociales des activités financières.
    Sont-ce le nombre et la diversité de celles-ci qui posent problème? Leur complexité? Tout ça à la fois?
    Alors que faudrait il faire? Imposer une taxe sur toutes les opérations financières type échange de titres? La taxation est elle la seule solution?
    Pour ce qui est de la régulation, je n’y crois pas un seul instant pour avoir étudié un peu les exemples de régulation d’activité non financières qui se sont révélées être souvent défaillantes (particulièrement en France) et qui demanderaient des moyens colossaux pour une régulation mondiale des flux financiers.

    ps: désolé pour le nombre de questions posées, mais j’avoue que le sujet m’intéresse même si je n’y connais rien.

  17. @ bigbenny

    "Alors que faudrait il faire? Imposer une taxe sur toutes les opérations financières type échange de titres? La taxation est elle la seule solution?"

    Je peux vous dire quelle solution aurait ma préférence : retirer leurs privilèges aux deux catégories de créateurs de monnaie – réserves fractionaies, PDR etc. pour les banques, et le cours légal pour les banques centrales.

    Ce "gang de mendiants" là n’a même pas besoin de se baisser pour chercher les pièces, et elles n’ont pas été perdues par d’autres : il peuvent les créer. Leur activité est prédatrice parce les privilèges légaux leur procurent un seigneuriage – un bénéfice important. C’est pourquoi je parle de création monétaire; sans privilèges on parlerait de production.

    Le prix de vente de la monnaie ainsi créée est garanti par le cours légal même si ses coûts de production sont faibles ou nuls. Pour un autre produit, la concurrence éroderait ce surprofit. Pour la monnaie, les privilèges légaux suppriment la concurrence de la banque centrale, et réduisent la concurrence entre banques.

    Avant de taxer ces activités, une autre solution serait donc d’arrêter de les privilégier – ce qui est une forme de subvention. Toutefois, il y a peu de chances que cela se produise. Le plus probable est que les privilèges seront maintenus, avec les incitations perverses qui en découlent. On essaiera en vain de limiter les conséquences inattendues par des taxes (peut-être) et des réglementations (probable), jusqu’à ce qu’elles soient contournées.

  18. Il me semble que le véritable parasite n’est pas Goldman Sachs, dont les profits dans le high-frequency trading finiront par être érodés par la présence d’autres arbitrageurs (encore que les travail des traders et les supercalculateurs représentent sans doute un gaspillage), mais la société de bourse NASDAQ.
    Cette dernière prélève une commission occulte sur ses clients de seconde catégorie en autorisant moyennant finances le high-speed trading.

  19. Sur le coup de l’hyper trading une solution technique "simple" est d’imposer légalement comme délai de réalisation d’une transaction le temps de réaction du participant le plus lent enregistré sur le marché automatique. Si plusieurs transaction ont été enregistrées l’offre est répartie ou une transaction est tirée au hazard. Un des problémes est que le prix suivant des plus rapide est deja là. Toutes les offre doivent donc etre synchronisée. Cela reviendrait à imposer une horloge et une granularité temporelle au marché. C’est techniquement faisable mais lobbyistiquement?. Ceci dit au vitesse mentionéee dans l’article du new york time sur l’hyper trading (30 millisecondes), le simple fait d’etre le premier dans une liste d’envois de packet sur le réseau peut donner un avantage. Si le protocole d’envoi est en tcp ip, et si me souvenirs sont exacts il est aussi possible de ralentir artificiellement l’envoi au suivant en post posant l’envoi du handshake a l’emetteur de prix lui signalant qu’on a bien recu (mais je m’avance un peu là). Enfin certaines bourses et broker louent des racks de machines sur leurs reseaux ce qui evite au locataires le délai du routage internet. Bref a ce niveau la il y a pas mal de trou technique dans le "marché parfait".

  20. Si le gang des mendiants ramasse toutes les pièces, alors il produit un enrichissement de la collectivité.
    1) Il évite une déflation
    2) Il ne gaspille pas le coût de création de la pièce
    3) il réinjecte dans l’économie des richesses perdues.
    C’est le principe du recyclage.

    A l’inverse, s’il ne ramasse pas les pièces et mendie, il participe aussi à la production de richesses, non en bien, mais en service. En mendiant et en montrant son misérabilisme, il provoque le sentiment d’une bonne action chez le donneur d’aumône. L’échange ainsi produit satisfait les deux parties.

    C’était juste pour dire que je ne trouve pas originale la comparaison, je parlerai plutôt d’un gang d’escrocs que de mendiants, pour que ce soit plus clair, au regard des banques.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    L’utilisation de métaphores ou d’historiettes a pour but d’exposer un concept plus général; cette technique d’exposition a pour inconvénient de conduire à des discussions de l’histoire au lieu de discussions du concept. En l’affaire, l’histoire spécifiait explicitement que les pièces, si elles n’avaient pas été ramassées par le gang, l’auraient été par un random promeneur.

  21. Peut-être un début de solution qui vient de la physique : l’opposé de la fréquence s’appelle l’échantillonage.

    Accroître la précision de la cotation, en passant du discret au quasi-continu pour les variations de cours, évite des effets de seuil dont sont friands les gens qui font du trading haute fréquence.

    Qu’en pense un économiste ?

  22. (je me suis trompé sur 7-2 apparemment)

    L’exemple du High Frequency Trading me semble assez mal choisi par Thomas Philippon à l’appui de sa thèse, pour deux raisons :

    -D’abord si effectivement on ne voit pas très bien à quoi sert ce type d’activité, elle est sans aucun lien avec la crise financière actuelle. Ce n’est pas le high frequency trading qui a déclenché la crise des subprimes, c’est peut-être très bien de le limiter mais ça ne changera pas grand-chose. Au pire cela masquera les problèmes importants.

    -Si effectivement le high frequency trading est une activité purement prédatrice qui n’apporte aucun service à l’économie, la solution n’est pas de taxer mais purement et simplement d’interdire, comme on le fait pour d’autres activités prédatrices comme le vol.

    De mon point de vue on ne saurait taxer de manière pigouvienne des activités purement prédatrices. Le principe d’une telle taxe est de faire internaliser le coût social d’une activité à celui qui en bénéficie, l’idée étant que s’il y a un coût social il y a aussi un bénéfice privé et qu’interdire totalement l’activité considérée n’est pas une bonne solution. Dans le cas d’une activité purement prédatrice le bénéfice privé est toujours inférieur ou égal au coût social, donc il n’y a pas à se retenir d’interdire puisque le niveau de production efficace est 0.

    En revanche l’idée des externalités cerne mieux des problèmes plus importants. Si par exemple un acteur financier spécule sur un marché de produits dérivés on peut concevoir qu’il rende celui-ci plus efficace et améliore l’allocation des ressources dans l’économie. Si les marchés sont déjà assez proches de l’allocation "efficace", le surplus social généré par l’activité de cet acteur est assez faible, de même que les bénéfices qu’il en tire. Mais ils peuvent en valoir la peine si l’effet de levier est important, en quel cas les risques de défaut de cet acteur financier sont importants aussi.

    On a alors une externalité typique : cet acteur financier génère des profits en s’appuyant sur un fort levier, négligeant totalement qu’en cas de défaut il pourrait entraîner de nombreux autres acteurs dans sa chute. Une taxe "pigouvienne" modulée par exemple selon l’endettement de l’acteur considéré pourrait par exemple faire en sorte qu’il ne soit rentable de s’endetter que pour des opérations dont le rendement économique (gain privé) est supérieur à l’accroissement du risque systémique (coût social).

    J’ai l’impression que c’est plus à ce genre de situation que pensent Thomas Philippon et les autres auteurs de "THE FINANCIAL CRISIS of 2007-2009 : CAUSES & REMEDIES" à la NYU. L’exemple du high frequency trading me semble être une vraie maladresse, à moins que l’interview n’ait été "redécoupée" par le journaliste.

  23. Merci pour ce billet qui rend très bien à la fois la clarté et la pertinence de la distinction d’Hirschleifer. Pour ceux qui comme moi s’initient à l’économie en piochant dans vos notes de lecture, la distinction me rappelle celle qui occupe plusieurs chapitres dans The Economic Naturalist de Robert Frank où on lit qu’« Adam Smith’s invisible hand rests on the implicit premise that individual rewards depend only on absolute performance. »

    Juste une question naïve et qui me fera sans doute passer pour une saleté de ratiocinateur libéral (je précise qu’elle n’est en rien rhétorique et que si quelqu’un peut me répondre…) : le High Frequency Trading n’améliore-t-il pas l’efficacité des arbitrages, à la fois en les rendant plus rapides (et donc en rendant les marchés plus efficients, et les occasions d’opportunités d’arbitrage justement plus rares) et moins coûteux en travail (informatisation)(et donc si le secteur financier est suffisamment concurrentiel, moins chers pour le consommateur de services bancaires)

    Dans quel cas on serait dans un cas analogue au boulanger découvrant un système de High Frequency Baking,, permettant de faire du pain plus vite et moins cher, qui certes concentrerait les gains vers l’innovant boulanger dans un premier temps, avant que la concurrence ne les redistribue au consommateur.

    Cela n’enlève rien à la pertinence de la distinction d’Hirshleifer que vous mettez brillamment en lumière. Au contraire, cela la renforce puisque l’exemple montre bien que la réponse à la question de la régulation dans le domaine bancaire comme dans les autres dépend pour beaucoup de la réponse qu’on donne quant à savoir si la compétition conduit à des gains absolus ou relatifs.

  24. Egalement pertinent pour cet article, un édito de Krugman (d’août) sur le high frequency trading http://www.nytimes.com/2009/08/0...

    Une réponse de Robert Murphy mises.org/story/3621

    Extrait : "Ironically, even on its own terms, Hirshleifer’s paper doesn’t reach the conclusion that Krugman attributes to it. […] Hirshleifer concludes that speculation may or may not be socially useful. It’s an empirical question"

  25. Dans la vraie vie, la croissance d’un pays est faible, qqs %. Tout secteur qui croit plus vite le fait aux dépens des autres. Ça veut dire que toute production est d’une certaine façon prédatrice, plus ou moins consciemment. Le développement de l’aviation a affaibli le train, les lecteurs mp3 la création musicale, à travers le piratage, google la télévision en prenant des ressources publicitaires, l’Iphone l’industrie des consoles de jeu, etc…
    Au total, je ne suis pas sûr que le pensée d’Hirshleifer soit si féconde.

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