Etude de cas en économie de l’éducation (Eléments de réponse)

La sélection des enseignants par les établissements donnent-elles de meilleurs résultats que le recrutement au hasard ?

Imaginez une région où les établissements scolaires recrutent leurs profs. Une année, l’immigration est telle dans la région que le nombre d’élèves accueillis double. La structure des classes est inchangée (même profil). Mais leur nombre double aussi. On doit donc faire appel aux candidats enseignants qui précédemment n’ont pas été retenus.
Le niveau des élèves va-t-il croître, se réduire ou rester identique ?

Comme l’a signalé un commentateur (qui a de saines lectures), ce cas fictif est en fait inspiré d’un article de Ray Fisman publié dans Slate et relayé par Tim Harford.
L’article de Fisman est une réflexion globale sur la supervision et le recrutement des enseignants et la place des syndicats dans la performance scolaire, qui mérite entièrement le détour. De manière plus limitée, à la suite d’Harford, j’ai relevé le fait que laisser les établissements recruter leurs enseignants librement n’amène pas forcément à engager les meilleurs.

L’article cite une intéressante étude de Thomas Kane et Douglas Staiger, basée sur une expérience naturelle à Los Angeles où la baisse légale du nombre d’élèves par classe dans le primaire a conduit à tripler le nombre d’enseignants en activité. Ce qui, dans mon cas d’école, était lié à une immigration aussi massive qu’inimaginable à grande échelle. Ici, on peut supposer que la zone géographique couverte est assez vaste pour considérer que le résultat observé a un sens. Alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que les enseignants nouvellement recrutés soient moins bons – et donc que les résultats baissent – puisque les meilleurs avaient déjà été recrutés (par un genre de loi des rendements décroissants), on n’a pas observé de différence significative. La conclusion est celle annoncée : le recrutement n’est pas forcément aussi efficace que cela. C’est un résultat basiquement contre-intuitif. Personnellement, si on m’avait posé la question, j’aurais spontanément penché du côté de l’intuition. L’économie empirique est décidément utile.

Share Button

12 Commentaires

  1. Qu’est-ce qui pourrait expliquer qu’une mobilité des élèves ne soit pas accompagnée d’une mobilité des enseignants ?

    Les flux d’élèves et d’enseignants ne sont normalement pas déconnectés l’un de l’autre. Normalement, les uns et les autres appartiennent à des cellules familiales qui ont tendance à migrer par cellules entières.

    Mais il est vrai que lorsque le mouvement des enseignants est géré par une entité qui ne peut pas connaître les souhaits de migration des cellules familiales, il est possible que des migrations d’enseignants qui auraient eu lieu n’aient finalement pas lieu.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Vous êtes tordu.

  2. Tranche de vie toute personnelle : j’ai eu la "chance" d’expérimenter la chose dans une école irlandaise (pas de concours, un examen d’aptitude à la profession d’enseignant, dont on peut être dispensé pour raisons motivées), considérée qui plus est comme une des plus réputées du pays, mais perdue dans un coin paumé. Verdict : pas brillant-brillant, avec en tête [Dan Ariely] le niveau français comme référence. En même temps, il m’est impossible de comparer avec le niveau moyen irlandais.

  3. Doit on assumer que la procédure de sélection ne retient que les candidats les plus aptes a améliorer le niveau des élèves? Si elle s’effectue sur un autre critère (capacité a préparer un concours par exemple), alors il ne devrais pas y avoir d’effet sur le niveau des élèves.

    Réponse de Stéphane Ménia
    En l’occurrence, cette procédure a été appliquée pour les profs en place et le sera pour les nouveaux. La sélection est supposée retenir les meilleurs.

  4. 1) Le niveau des élèves est corrélé à leur motivation. Si on suppose ici que ces élèves vivent comme une chance et une opportunité le fait d’avoir soudainement réussi à immigrer dans cette région "attractive" (comme peut le laisser penser ce doublement en un an), le niveau va monter.

    2) L’efficacité des professeurs est corrélée à leur motivation. Si des profs candidats retoqués l’année précédente voient cette nomination comme une chance d’exercer ce métier, le niveau va monter.

    Mais je ne vois pas bien la relation avec "le hasard".

    Réponse de Stéphane Ménia
    1) Cet aspect est ignoré, bien qu’il puisse être intéressant.
    2) Ca me semble intéressant.

  5. Si on considère que le nombre de profs est constant d’une année sur l’autre et que les meilleurs ont déjà été recruté par les établissements, alors je dirais que le niveau moyen va baisser puisque les professeurs supplémentaires recrutés sont considéré comme moins bon que ceux qui sont déjà en postes.

    Si par contre le recrutement était effectuer au hasard je dirais que le niveau moyen resterais stable. Si on considère que le talent moyen des prof en postes est égale au talent moyen de l’ensemble des professeurs.

    Mais je peux me tromper.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Yep, nickel. Rien à ajouter, à ce stade.

  6. Le niveau monte, car on avait précédemment recalé des bac + 5 trop diplômés pour changer des couches et mettre des gosses au lit.

    OK, je m’en vais…

    Réponse de Stéphane Ménia
    😀

  7. Autre cas pratique, la région décide de diminuer le nombre d’élèves par classe et engage plus de profs, c’est à dire que des profs qui avaient été recalés sont engagés, alors que les élèves sont les mêmes. Le niveau a tendance à rester le même : http://www.slate.com/id/2195147 (et Tim Hardford pour le pointer.)

    (Problème de ce cas pratique –> on peut considérer que les profs moins bons ont fait baisser le niveau tandis que la réduction des effectifs l’a fait augmenter hence stagnation…)

    Euh… Est-ce que le vrai problème dans tout ça ce ne serait pas l’indicateur utilisé pour juger de la qualité des profs? Le niveau des élèves a très souvent plus tendance à refléter la catégorie socio-économique de leurs parents que le niveau des profs.

    Cela dit, enseigner reste le plus beau métier du monde! Mais les résultats ont souvent tendance à ne se faire sentir qu’à la marge de la marge.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Bon, voilà, vous avez vendu la mèche. Mon cas est effectivement quasiment le même que celui pointé par Harford.

  8. selon gibbon l’enseignement profite le plus à ceux qui n’en auraient pas besoin ce qui confirme ce vers quoi la discussion a convergé

    Réponse de Stéphane Ménia
    Cela mérite d’être explicité…

  9. Je pense qu’il y a confusion entre le concours et l’examen.
    Participant à un jury de concours de recrutement, je peux dire que ce qui sépare le dernier admis du premier recalé (et c’est extensible…) c’est le nombre de postes que le Ministère (de l’Économie, pas de l’Éducation) distribue. Sur la même liste de concourants, on prendra les 100 ou les 120 premiers.
    Bon, le niveau des candidats n’est pas constant. Ça implique qu’il faille accepter que des mauvais candidats soient reçus, ou que des bons ne soient pas pris.

  10. Votre sujet a un biais initial. Vous semblez supposer que les ‘tests’ sont efficaces, ce qui n’est bien entendu pas le cas. C’est tout simplement parce que les ‘test’ de recrutement sont mauvais, qu’un tirage aléatoire est tout aussi efficace. Si l’on peut mesurer le niveau final des élèves objectivement (avec toutes les réserves nécessaires) par des résultats à un examen par exemple, comment évaluer ou s’assurer de la ‘qualité’ du processus de sélection des enseignants ???

  11. J’ai un autre problème d’économie de l’éducation à vous soumettre, sur la réforme du Lycée qui s’annonce.

    "On postulera que le but visé de la réforme est, en plus d’apporter plus d’aide individualisée à chaque élève et d’éviter les redoublements, de dégonfler la filière S qui récolte actuellement la moitié des élèves préparant un baccalauréat général, sans pour autant fournir assez d’étudiants scientifiques.
    En ne proposant la physique chimie et les sciences de la vie et de la terre qu’en option au Lycée, et les mathématiques obligatoires en seconde mais optionnelles à partir de la première, peut-on conjecturer que les buts de la réforme seront atteints entièrement, partiellement (préciser), pas du tout ? Quelles autres modifications auraient pu atteindre ces mêmes buts ? Quels pourraient être les effets de la réforme, à long terme, sur l’enseignement supérieur ?"

    J’ai quelques idées, mais j’aimerai connaître les vôtres avant tout.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Euh, j’en sais rien, moi. En fait, c’est vers le sociologue et son analyse du rôle structurant de la filière S qu’il faudrait plutôt se tourner, je crois. Basiquement, si l’option maths-physique rameute toujours les meilleurs, on ne changera pas grand chose au positionnement des talents et on ne désengorgera rien, mais seuls les meilleurs feront encore des maths en terminale. Ce qui me laisse perplexe, pour tout dire. La spécialisation forcenée au lycée m’a toujours semblé étrange, de toute manière. Allez, à vous, donnez nous vos idées !

Commentaires fermés.