Avertissement : ce post est en totalité constitué d’une divagation à vocation économico-littéraire. Il n’y est fait aucune référence à l’élection présidentielle française, à la politique économique ou sociale, à la question du yen faible, ou à un quelconque autre sujet ayant un rapport même vague avec l’actualité. Au contraire, ce post ne fera référence qu’à des oeuvres et idées de gens morts, le plus souvent depuis bien longtemps; on y parlera histoire de la pensée économique, littérature, débats philosophiques abscons, Louis de Funès, et Marcel Mauss.
J’ai toujours eu de la sympathie pour la pièce de Molière l’Avare; sans doute parce que c’est l’une des premières que j’ai lu; que j’en manquais rarement les fréquentes diffusions de la version jouée par Louis de Funès de cette pièce, véritable marronnier télévisuel autrefois; je crois même avoir eu l’occasion d’en jouer quelques scènes lors de festivités écolières. Bref donc, j’aime bien cette pièce. En ayant vu plusieurs diffusions, il m’a semblé détecter une tendance récente des metteurs en scène à réduire la dimension bouffonne du personnage pour en faire un individu inquiétant, rongé par un vice épouvantable qui le conduit à faire systématiquement le mal autour de lui, tout particulièrement vis à vis de ses proches. Et il est vrai que le texte de la pièce fait du personnage soit un clown sinistre, dont le comportement comique dissimule mal une véritable pathologie de l’accumulation.
Cette vision négative de l’avare est courante dans la littérature. Du Marchand de Venise de Shakespeare au chant de noël de Dickens, l’avare est vu soit comme un bouffon, soit comme un pauvre hère torturé et sinistre, que l’on ne peut que plaindre devant son incapacité à jouir de l’existence, ou blâmer pour les tourments qu’il exerce sur ses contemporains, au service de son vice, et qui n’a rien d’aimable. L’avarice est une tare, et la générosité une vertu, et ce message n’a été qu’amplifié depuis, au point dans le cas de la pièce de Molière d’abandonner progressivement toute la dimension comique (et de ce fait un peu attachante) du personnage.
Pourtant, est-ce vraiment le cas? Dans son essai sur le don, Marcel Mauss (vous étiez prévenus…) a montré que le don gratuit constituait en réalité un fait social beaucoup plus complexe que le simple exercice d’une générosité désintéressée. Mauss montre qu’en réalité, le don dans la société repose sur une triple obligation : l’obligation de donner, l’obligation d’accepter, l’obligation de rendre. Tout don impose son propre contre-don, d’une valeur (symbolique) au moins égale à celle du premier don; de ce point de vue donner est à la fois l’occasion de satisfaire une obligation sociale, mais aussi et surtout l’occasion de créer un débiteur, quelqu’un qui aura l’obligation de nous rendre un contre-don.
Sauf que dans ces conditions, avait constaté Pierre Bourdieu, jamais en retard lorsqu’il s’agit de désenchanter le fonctionnement social, le don ne constitue pas une institution sociale particulièrement honorable, puisqu’il ne fait que reproduire la logique de l’échange marchand, en la camouflant sous le manteau hypocrite de la générosité. Loin d’être l’expression d’une vertu, le don n’est qu’une autre forme d’exercice des rapports de domination sociale des uns sur les autres.
A ce désenchantement du monde par la sociologie, on pourrait ajouter la biologie évolutionniste, dont le concept de sélection de parentèle aboutit, de façon parfaitement déprimante, à montrer que les diverses formes d’amour filial ou de solidarité entre pairs n’est au bout du compte que la façon dont des gènes égoïstes augmentent leurs chances de duplication. La générosité désintéressée, tout simplement, n’existe pas.
Ou plutôt, il y en a une forme, assez paradoxale : l’avarice. C’est tout l’objet de la controverse entre Adam Smith et Mandeville. Smith, moraliste austère, ne pouvait qu’être heurté par la perspective de Mandeville montrant dans la Fable des abeilles que les vices privés étaient des vertus publiques. S’il a fini par adopter l’argument, c’est en y ajoutant une dimension importante : s’il peut y avoir vertu à dépenser sa fortune, il y a aussi vertu dans l’épargne, qui n’est pas perdue pour la société (ce que Say devait formuler par la suite avec sa fameuse loi).
Comment l’avare exerce-t-il ses bienfaits sur le reste de la population? De diverses façons. Premièrement, l’accumulation d’argent exige de fournir aux autres ce dont ils ont le plus besoin, afin de le leur vendre cher; vendre ce dont tout le monde dispose déjà n’est pas très rémunérateur. Deuxièmement, l’avare accumule son argent en prêtant son épargne contre intérêt; élevant l’offre de fonds prétables, il réduit les taux d’intérêt. Enfin, l’accumulation exige de restreindre sa consommation de toutes ces choses qui sont chères parce qu’elles sont désirées par beaucoup d’autres. C’est en cela que l’avare bénéficie à l’humanité : en ayant la possibilité d’acheter des choses mais en le le faisant pas; en étant forcé de fournir aux autres ce dont ils ont besoin; et en prêtant des capitaux.
Il n’est pas étonnant que parmi ces trois qualités des avares, Molière ait choisi d’en présenter deux seulement (la pratique du prêt à intérêt, et la pingrerie). L’usure est présentée – sans surprise – comme une pratique lamentable; Harpagon exige de ses débiteurs – en l’occurence, son propre fils – des taux invraisemblablement élevés ainsi que la reprise d’un bric à brac invendable. Son avarice est visible lorsqu’il cherche à marier sa fille à un vieil homme riche qui n’a pour seule vertu que de ne pas demander de dot; également, lorsqu’il se refuse à rémunérer les services de son entremetteuse Frosine, ou qu’il demande à son cuisinier pour son repas de noces de confectionner un repas gras, lourd et peu coûteux, au grand dam de celui-ci. Pourtant, si ces scènes sont destinées à indigner le spectateur, celui-ci devrait réflechir à deux fois : en réalité, à chacune de ces fois, Harpagon rend service à la société.
Car après tout, s’il peut exiger de ses débiteurs des taux aussi élevés et des conditions si dures, c’est que les prêteurs de capitaux ne doivent pas être très nombreux; s’il y en avait plus, les taux seraient moins élevés et les conditions de crédit moins dures. Ses pratiques commerciales ne font que traduire une réalité brutale : il n’y a pas assez de gens susceptibles de prêter de l’argent à un jeune homme désargenté. Ses taux élevés, dans le même temps, jouent un rôle dissuasif; contrairement à ces organismes de crédit qui font payer de petites sommes indéfiniment, il annonce clairement la couleur. Utile pour son fils Cléante dont on ne peut pas dire qu’il se montre très astucieux et prudent. La leçon qu’il reçoit de son père Harpagon est dure; est-elle fausse pour autant? Il n’est pas absurde que les jeunes soient endettés et les vieux prêteurs; à condition que les jeunes soient en position de faire un usage utile de leurs emprunts. Emprunter pour partir vivre seul avec sa bien-aimée, c’est une foucade de jeunesse qu’il n’est pas stupide de décourager par un peu de réalité brutale.
La pingrerie d’Harpagon est elle aussi l’occasion de nuancer les aspects négatifs du personnage. Comment lui reprocher de ne rien vouloir payer à Frosine, une intriguante qui cherche à le marier à une pauvre jeune fille sans demander son avis à celle-ci? Pourquoi lui reprocherait-on de vouloir économiser sur son repas de noces? En limitant ses achats, il laisse de la nourriture disponible pour les autres, à une époque ou les pénuries étaient plus nombreuses que les crises de surproduction. Mais le plus grand service qu’il rend à la collectivité est d’enterrer dans son jardin ses louis d’or : n’importe quel économiste sait qu’il n’est pas de meilleur moyen de faire baisser les prix des biens et services utiles dans l’ensemble de la société. Si Harpagon dépensait tout son argent, il serait facile d’identifier les bénéficiaires de ses largesses; mais en restreignant sa consommation et en prêtant son argent, il rend beaucoup plus service à la société; simplement, ces bienfaits sont beaucoup moins visibles que s’il se livrait à des dépenses somptuaires.
Car c’est en cela que la générosité d’Harpagon est authentique, bien plus grande que s’il dépensait son argent ou en faisait don. La dépense, le don, sont des façons de s’attirer des faveurs; il n’y a là aucune générosité, mais un simple égoïsme sous le manteau de la vertu. Les vrais bénéficiaires de la bonté d’Harpagon sont tous des inconnus, y compris et surtout de lui-même : il est frappant de constater qu’il ne découvre que par hasard que c’est son propre fils qui cherche à lui emprunter de l’argent. De la même façon, les principaux bénéficiaires de son comportement sont tous ces gens qui pourront payer un peu moins cher leurs biens de consommation, simplement parce qu’Harpagon a restreint sa propre demande.
Ce qui est tragique chez Harpagon, c’est bien cela : il est en réalité le seul personnage authentiquement généreux, de façon désinteressée, de la pièce. Paradoxal? Seulement en apparence dès lors que la générosité de tous les personnages ne vient en réalité que de la satisfaction de leur intérêt personnel. Les enfants veulent se marier avec qui bon leur semble et extorquer de l’argent à leur père. Le personnel de maison veut des augmentations salariales et des dépenses somptuaires; même le très “généreux” seigneur Anselme qui résoud la situation à la fin de la pièce n’est bon que parce qu’il découvre miraculeusement que Valère et Mariane sont ses propres enfants disparus; il n’aurait sans doute pas fait preuve de tant de mansuétude dans d’autres circonstances (et en quoi se distingue-t-il d’Harpagon, en cherchant à épouser une jeunesse à l’aide de son argent? Au moins Harpagon fait-il quelques efforts de séduction…).
Au milieu de tous ces égoïstes, Harpagon est le seul véritable altruiste, parce que la façon indirecte dont il exerce sa générosité ne lui fera aucun obligé (contrairement à la logique du don). Et là est tout le tragique du personnage : cet homme qui accomplit des bienfaits sans le savoir, dont bénéficient des gens inconscients de ce qu’il leur apporte; qui ne met jamais personne dans l’obligation de lui rendre un contre-don; qui est tellement altruiste qu’il préfère améliorer le sort de parfaits étrangers, quitte à dégrader celle de son entourage et de ses propres enfants. Un tel esprit de sacrifice est tellement désintéressé qu’il en devient paradoxalement monstrueux.
Peut-être qu’un jour, un metteur en scène réalisera le drame que vit Harpagon, et montrera qu’au delà de ses quelques excentricités (enterrer de l’or dans son jardin, fouiller ses domestiques…) est un personnage dont la bonté n’a d’égale que le tragique de sa situation : car personne ne reconnaîtra ses mérites, ou les lui rendra de quelque façon que ce soit. faire le bien des autres et ne recevoir en retour que le mépris général : il y a, chez Harpagon, une certaine forme de sainteté.
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J’ai compris où tu voulais en venir. L’avare, c’est Royal, Marcel Mauss est Sarkozy et Louis de Funes, Bayrou. Futé…
Non. Si j’avais voulu faire une référence à la campagne électorale, j’aurai plutôt évoqué Douche and Turd…
L’offre de fonds prêtables que fournit Harpagon ne permet pas de faire baisser les taux, puisqu’il pratique l’usure (dans un marché du crédit manifestement imparfait). Mais surtout, il ferait encore mieux de prêter son argent, même à un taux trop élevé, plutôt que de l’enterrer dans son jardin.. ce faisant, il prive la société, et d’abord lui-même, de la création de richesse potentielle que représente son épargne. Il prive le marché des capitaux de liquidités, et fait probablement encore monter les taux, déjà trop hauts (et le prix de l’or). Le résultat est de rendre l’économie amorphe… je n’arrive pas à voir le bénéfice pour la société.
Dans une situation ou les prêteurs sont peu nombreux et le marché des capitaux peu efficace, il est normal que se pratiquent des taux usuraires. C’est une constante dans toutes les sociétés pauvres; L’apparition des taux usuraires est la preuve de l’énorme pénurie de prêteurs, à ce titre Harpagon est extrêmement utile à la société, et ce sont les taux élevés qu’il peut pratiquer qui en sont la meilleure preuve. Si les prêteurs étaient nombreux et les marchés performants, les taux seraient bas, et il serait moins utile.
Quant à l’enterrement d’argent dans son jardin, il fait certes monter le prix de la monnaie; mais la contrepartie d’une hausse du prix de la monnaie, c’est la baisse du prix des biens et services utiles! L’homme qui pourrait accaparer du fait de sa fortune énormément de biens et services, mais qui renonce à le faire pour conserver son argent rend service aux autres en leur laissant beaucoup de produits disponibles.
@SM: et qui est Harpagon, "le seul véritable altruiste"?
Il doit y avoir moyen de réconcilier l’économie du don avec l’économie classique en considérant plutôt les transferts d’incertitudes entre personnes plutôt que les échanges de monnaie, et notamment, le fait de confier une incertitude future concernant soi à une tierce personne mieux armée pour la résoudre.
Hors de nos belles contrées où l’état garantit (pour ceux qui y croient… sans provocation aucune : la crédibilité à 30 ans des promesses institutionnelles est ici importante) le versement de pensions de retraites, maladies et accidents, faire des enfants consiste tout simplement à créer de futurs individus redevables envers vous d’exister, dette difficilement liquidable s’il s’en fût. D’ailleurs, certains théoriciens des institutions aiment à rappeller la dette de l’individu envers l’institution qui l’aura éduqué, vacciné, etc. .
On peut aussi voir la chose sous l’angle sociologique : les réseaux de dettes irréductibles sont le ciment des clans, structure fondamentale des théories représentant les sociétés humaines étant des sociétés à au moins deux niveaux enchâssés (société + clans/familles au minimum). Si la monnaie ne fournit pas les certitudes à trente ans qu’attend tout individu dans la force de l’âge, sur quoi l’individu peut-il transférer ses incertitudes ? ses enfants, un clan, ou les deux. On aura bien assez écrit sur la capitalisme familial ou méditerranéen, mais peut-être peut-on simplement revoir "America, america" de Kazan sous un angle économique.
D’un point de vue inhabituel, on pourrait donc éventuellement dire que c’est l’existence de la monnaie telle que nous la fantasmons, c’est à dire, de la stabilité de sa valeur et de sa liquidité absolue, et donc, de la possibilité d’un certain capitalisme du moins, à condition d’accepter le jeu de règles sociales rendant la monnaie stable et liquide qui permet à l’individu d’exister en dehors du réseau complexe de dettes et redevances envers ses proches.
à contrario, dès lors que la foi en la monnaie mythique faiblit, le respect envers les institutions chute pareillement (leur utilité aux yeux de l’individu se réduisant du fait de leur moindre capacité à garantir l’émancipation immédiate et surtout à moyen terme de l’individu par rapport au clan, le respect constaté par les institutions étant très peu différent de la simple somme des respects individuels dans une société suffisamment libre, comme l’est généralement une société capable de promesses qui furent ou sont crédibles).
L’existence de l’avare témoigne donc simplement de l’existence de parcours par lesquels l’individu imagine pouvoir éventuellement atteindre une réelle émancipation et imagine pouvoir effectivement exister indépendamment de tous autres individus en particulier. L’avare peut ou non être conscient du fait que, émancipé, exilé ou seul survivant de son clan, il n’en devient que plus dépendant des institutions sans lesquelles les instruments de son émancipation (la monnaie et le capital) n’existeraient pas.
(Les lecteurs auront peut-être reconnu quelques emprunts à la littérature, certes peu scientifiques, du MPPT et de LO : je ne fais ici qu’exposer les arguments, tout le monde n’ayant pas eu la chance d’avoir une cafèteria communiste autogérée dans son université)
Bonjour, anecdote en passant. Une étude en imagerie fonctionnelle cérébrale a montré que les régions activées lors du don étaient grosso modo celles impliquées lors de la mise en jeu du système de récompense… (je ne retrouve pas la référence là tout de suite). Instructif, n’est-il pas?
Très intéressant. Ce genre de choses commence à être étudié dans le domaine de la “neuro-économie” mais je n’avais pas entendu parler de ce résultat.
Bravo pour cette dissertation sur Harpagon ! Je signale à tous "Molière" (avec Durris et Luccini)actuellement dans les salles obscures. Pierre Murat (TELERAMA) a détesté, indicateur tangible pour juger de l’intérêt du film ; pas de réflexion méta-historique, pas de lutte des classes : juste un moment agréable avec un trio d’acteurs inspirés. Mais mon cher Alexandre, il n’y a aucune allusion à l’Avare !
Bravo et merci beaucoup pour ce billet.
Réaction-minute : en quoi une démarche (un don…) désintéressée serait-elle louable et une démarche intéressée (don visant une obtention en retour) ne le serait-elle pas, mais plutôt qualifiable d’égoïste et, partant, d’hypocrite s’il s’agit d’un don ?
Quel aspect condamnable y a-t-il a chercher son propre bien, ou en quoi la sainteté serait-elle un héroïque désintéressement de soi-même ? Charité bien ordonnée commence par soi-même. Que ce soit consciemment ou pas.
Oui, l’hypocrisie est à démasquer bien plus souvent qu’il ne paraît.
Mais peut-être une certaine façon de donner fait-elle le pari que la recherche de mon propre bien -mon égoïsme- n’entre pas en concurrence avec celle des autres.
Donner et recevoir, j’aime ça. Toutes réserves faites sur l’hypocrisie, pourquoi m’en priver ?
Vous avez raison dans une large mesure, et il ne faudrait pas déduire de cela que le don est condamnable : c’est sa supposée superiorité morale sur l’avarice qui est contestable. Le don peut être une fort bonne chose, mais s’imaginer qu’il s’agit d’un comportement supérieur à d’autres est très contestable.
Le don désintéressé n’existe pas, même si son auteur n’attend pas un contre-don "en nature" en retour – c’est d’ailleurs fortement sous-entendu dans le commentaire de Mauss. Le don crée un obligé, qui ne s’acquitte pas forcément par un contre-don mais simplement par une reconnaissance, une gratitude, un dévouement, une admiration… qui rémunèrent le don. Il me semble qu’on est là dans la Théorie des sentiments moraux de Smith (j’avance ceci avec précaution, j’en sais bien peu sur cette oeuvre) : on agit toujours par intérêt personnel, mais cet intérêt peut être moral et pas seulement tangible. Un don effectué dans l’indifférence générale, voire qui rencontre l’acceptation hostile du destinataire, sera probablement regretté et ne sera pas reconduit (sauf s’il permet au donneur de s’acheter une bonne conscience).
Voici la référence de l’article évoqué: Human fronto-mesolimbic networks guide decisions about charitable donation. Moll et al. Proc Natl Acad Sci U S A. 2006. 103(42):15623-8.
C’est moi ou il y a une contradiction à dire qu’il est bénéfique de prêter sa monnaie (le taux d’usure étant le prix d’un marché où la monnaie est rare) et plus loin de dire qu’il est bénéfique de détruire ladite monnaie rare (en l’enterrant dans son jardin) ?
Ce sont deux façons différentes de bénéficier aux autres, mais les bénéficiaires ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Prêter abaisse les taux d’intérêt ce qui bénéficie aux emprunteurs; mettre son argent dans le jardin baisse les prix donc avantage les consommateurs.
Très bon papier.
L’avare se définit donc moins par sa capacité à ne rien donner, mais plutôt par le fait qu’il se repose pour cela sur des mécanismes impersonnels. En cela il est plus collectiviste que son fils, plutôt individualiste.
C’est peut-être par cela d’ailleurs que l’avare fait son malheur : parce qu’en se reposant sur des mécanismes anonymes, il est aveugle à ses proches.
C’est peut-être d’ailleurs le meilleur enseignement de l’avare, qu’Harapagon n’est pas tant méchant que malheureux.
Et de Funès fait bien ressortir cela, cet aveuglement qui isole.
Comme dans la phrase mémorable de Rabi Jacob, où il s’adresse à son chauffeur : "mais comment, Salomon, vous êtes juif ?!"
je suis TO-TA-LE-MENT contre cette idée ( qu’Harpagon puisse etre genereux) car c’est un homme d’un rare egoïsme, qui se distingue particulièrement par son avarice. Son obsession pour l’argent est si prononcée qu’il est prêt à se liguer contre tous (y compris ses proches) ceci dans son unique interêt.