Après les tests de psycho-économie, le test de nos préjugés, le test de nos capacités en probabilités, voici un nouveau jeu pour les petits et les grands.
Premier problème : on vous présente des cartes qui ont toutes d’un côté une lettre, de l’autre côté un chiffre. On vous demande de vérifier la validité de la règle suivante : Toute carte avec un A d’un côté doit avoir un 1 de l’autre côté. Indiquez pour chacune des cartes suivantes qui vous est présentée sur une table, si vous devez ou non la retourner pour vérifier une éventuelle violation de cette règle.
– une carte avec un A
– une carte avec un B
– une carte avec un 1
– une carte avec un 2
Notez votre résultat, puis passez au test suivant :
“Vous êtes tenancier d’un bar à Marseille dans lequel des économistes viennent parfois tenir des conversations totalement incohérentes. Vous devez appliquer la législation suivante : Il est interdit à un mineur de moins de 18 ans de boire de l’alcool. Indiquez si vous avez besoin de faire une vérification pour les clients suivants de votre bar :
– un buveur de whisky
– un buveur d’eau gazeuse
– un client âgé de 25 ans
– un client âgé de 16 ans
Vous avez noté vos résultats? Alors, voici le debriefing.
Dans la majorité des cas, au premier test, vous avez noté qu’il fallait vérifier la première carte marquée A; mais vous avez certainement oublié qu’il fallait aussi vérifier la dernière carte, marquée 2. Vous avez peut-être vérifié, à tort, la carte marquée 1 alors que la règle impose que les A aient des 1 au dos, mais pas forcément l’inverse.
Au second test, vous avez certainement correctement identifié les deux personnes à vérifier : le premier individu qui boit du whisky, et le quatrième individu qui est mineur. Et vous n’avez eu, contrairement au premier exercice, aucun mal à trouver la réponse.
Mais peut-être que maintenant, vous voyez le problème : les deux exercices sont exactement identiques, seules les formulations changent. Dans le premier cas, on vous présente un exercice abstrait; dans le second cas, l’exercice vous est présenté sous forme de test de violation d’une norme sociale. L’auteur du test (la psychologue Leda Cosmides) explique cette différence de la façon suivante. Le cerveau humain est mal équipé pour traiter certains problèmes rationnels. Mais pour corriger cela, l’évolution l’a doté d’heuristiques qui aident à détecter la tricherie ou la violation de normes sociales. On retrouve ces heuristiques aussi dans l’évaluation des risques, donnant lieu à des biais cognitifs.
Comment interpréter ce résultat? De deux façons. Premièrement, le cerveau humain ne fonctionne pas de façon rationnelle pour sa prise de décision, mais est au contraire soumis à toute une série de biais systématiques et prévisibles. Des gens comme Kahnemann, Tversky, ou Richard Thaler ont amplement travaillé sur ces biais cognitifs dont l’étude est aujourd’hui très à la mode parmi les économistes.
Mais ce résultat montre un autre aspect assez ennuyeux : ce n’est pas parce qu’on identifie un biais dans une expérience en laboratoire qu’il a des conséquences dans la vie courante. Le cerveau n’est pas une grosse machine à calculer mais plutôt un ensemble de modules (je parle sous le contrôle des spécialistes, n’hésitez pas à corriger si vous passez par là et que les contenus sont incorrects) au fonctionnement différent. En d’autres termes, ce n’est pas parce que les individus agissent de façon irrationnelle face à une expérience de laboratoire que leur comportement le sera dans des circonstances plus concrètes.
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J’ai juste trouvé la question du deuxième test mal posée. « Indiquez si vous avez besoin de faire une vérification… »
De quelle vérification parlez-vous ? JE me suis dit qu’en tant que tenancier, je savais de toute façon ce que mes clients boivent ; la seule vérification que je doive faire est celle de l’âge…
Ce commentaire (et d’autres qui suivent) vont dans le même sens : vous ne traitez pas deux questions identiques de la même façon.
bravo !
"Mais peut-être que maintenant, vous voyez le problème : les deux exercices sont exactement identiques, seules les formulations changent."
Le premier problème est beaucoup plus difficile car il ne fait pas appel a l’expérience.
Si je demande a un enfant de 6ans combien font 1+1+1+1+1 et combien font 1*5, il est probable que la deuxiéme formulation lui pausera problème, surtout s’il n’a jamais fait de multiplication.
Le cerveau humain est rationel car efficace. Personne n’aura passé plus de temps que necessaire sur les deux problèmes, pour en moyenne obtenir un résultat à la hautur de l’enjeu.
"Mais ce résultat montre un autre aspect assez ennuyeux"
Ennuyeux que pour ceux qui ont obtenu le "nobel" en faisant de l’économie expérimentale. Ils doivent redoubler d’effort.
Pour eux, pas tant que cela. Ils ont mis en évidence le problème, après tout…
On vous voit venir avec vos gros sabots 🙂 vous voulez réintroduire la rationalité des agents chère au modèle libérale de l’économie et mise à mal par certaines expériences comportementalistes.
Pour ma part, je n’ai vérifié que le buveur de Wisky et j’ai refusé la consommation à celui de moins de 16 ans. Si je connais son age, je ne vais pas le lui redemander. Après tout, je ne suis un policier dans une cité.
Pour en revenir à votre exemple, un des fonctionnements qui caractérise les humains, c’est la redondance. Dans le cadre d’une décision importante, tout le monde multiplie les sources d’informations, les renseignements et surtout prend du temps avant de décider. Prendre du temps, c’est se laisser le temps de trouver un biais à la décision.
La plupart des expériences comportementalistes travaillent sur des individus en situation de stress, obligé d’assimiler un environnement et des règles qui leur sont inconnus dans un temps bref. Et du coup, les mécanismes permettant de corriger des erreurs d’analyses sont bridés. Le principal est l’apprentissage.
je dois être nul car j’ai même eu faux au 2e exemple (je n’avais vérifié que l’âge du buveur de whisky). et le pire c’est que je ne comprends pas : pourquoi faire une vérification de l’âge du client de 16 ans… puisque je sais déjà qu’il a 16 ans (c’est dans l’énoncé) ?!!
Et c’est quoi ce machin marron qu’il a dans son verre le petit? Du canada-dry?
C’est la raison pour laquelle je désapprouve fortement votre conclusion au billet sur les préjugés: il est totalement vain, et potentiellement totalitaire, de travailler sur les "stéréotypes réflexes", de chercher à se "rééduquer". Il est parfaitement inévitable d’avoir des préjugés. C’est à les dépasser qu’il faut travailler.
L’esprit de cet ancien billet, c’est que la discrimination n’est pas forcément l’exercice d’une méchanceté mais un simple réflexe incontrôlable. Dans ces conditions dire aux gens “ne discriminez pas” c’est passer à côté de la plaque : les stéréotypes précèdent le raisonnement. Ce qui devrait servir de base au raisonnement plutôt qu”un raisonnement “gentils-méchants”.
Merci pour le qualificatif! Je crains de ne pas être assez spécialisée en sciences cognitives pour argumenter "rationnellement"!
Mais il est certain que le cerveau ne peut être réduit à une super machine à calculer (je l’ai en trop haute estime pour ça!). Certes des travaux tentent de mettre à plat son fonctionnement en le décrivant sous forme d’algorithmes par exemple et ça marche parfois… mais pas toujours. Certains systèmes sont mieux individualisés que d’autres (le système de récompense, que nous avions évoqué déjà, je crois). Le support de la pensée en général, du raisonnement en particulier, en terme psycho-anatomo-électrico-biochimique etc (je m’égare) n’est pas encore résolu, à mon avis…
Par ailleurs, je n’ai répondu correctement à aucun des tests…On va dire que c’est une question de formulation…
Et bien sûr que je passe par là: il est très intéressant, ce blog!
Je ne sais pas en fait quelles sont les alternatives à la théorie “modulaire” de la pensée. Mais cela nous entraînerait loin. Quant au test, il est là précisément pour qu’on s’y trompe.
Pour abonder dans le sens des autres commentateurs, je n’avais aussi contrôlé que le buveur de whisky. Il y a comme un problème dans l’énoncé….
Bon en même temps je n’avais pas vérifié la carte 2… Mais là je n’avais même pas envisagé l’hypothèse.
Bonjour,
Ce "test" est en psychologie du raisonnement ce qu’on appelle la "tâche de sélection de Wason" et porte donc le nom de son "inventeur", le psychologue Peter Wason. Il en a développé la version "logique" ou "abstraite" avec les lettres et les chiffres. Puis, ce sont d’autres psychologues (e.g., P. Johnson-Laird) qui ont mis au point cette version dite "concrète" où les gens semblent réussir beaucoup mieux.
Dans les années 1990, Leda Cosmides et ses collègues ont proposé une interprétation évolutionniste de ce phénomène que vous décrivez dans l’article comme le résultat du fonctionnement d’un module de détection de tricheur. En appui de cette thèse, il a été montré que d’autres situations concrètes donnent de moins bons taux de réussite.
Seulement depuis lors, un certains nombre de chercheurs (non-moins évolutionnistes d’ailleurs, comme Dan Sperber) ont montré que ce résultat était avant tout dû à l’interprétation que se font les gens de la question. L’idée étant que dans le cas des buveurs de whisky, la personne à identifier correspond à un concept courant, celui de tricheur. Mais on peut tout aussi bien construire des versions où il n’est pas questions de tricheurs du tout et où les performances sont tout aussi bonnes. Par exemple, en combinant les attributs "navigue sur l’eau" et "sans moteur" (ce qui correspond au concept de voilier).
En gros, le résultat de tout cela c’est que ce test ne nous dit pas grand chose du raisonnement mais dépend presqu’entièrement de la question posée qui guide ou non les gens vers la bonne solution (i.e. la solution logique). Toutefois L. Cosmides et consorts continuent d’argumenter que cette tâche fait spécifiquement appel à notre module de détection de tricheur, ce qui est possible du reste mais invérifié.
Voir la page wikipedia: fr.wikipedia.org/wiki/T%C…
Et les articles de Dan Sperber et ses collègues :
jeannicod.ccsd.cnrs.fr/in…
LA question 2 est assez mal posé… Que prend-il à boire tout d’abord notre jeune client?
Je ne pense pas que "les deux exercices [soient] exactement identiques".
Vous utilisez en effet une formule négative dans le second test, formulation faisant apparaître les deux réponses. N’est-ce pas plus facile de bien répondre au premier test lorsqu’il est formulé ainsi :
"Toute carte avec un A d’un côté ne doit pas avoir un 2 de l’autre côté"
et plus difficile de répondre au second lorsqu’il est rédigé comme cela :
"Tout mineur doit boire de l’eau" ?
Entierement d’accord avec Tuyau, la formulation positive laisse supposer qu’il y a intersection entre les ensembles "la carte a un A" et "l’autre cote a un 1" ou equivalence entre deux evenements appartenant a ces ensembles, alors que la formulation negative met clairement en valeur l’implication – si "une carte a un A" alors il entraine necesserairement que "l’autre cote a un 1".
Cela montre que le language courant n’a pas la rigueur logique que nos experimentateurs souhaiteraient lui conferer, au-dela de tout biais cognitif. Pourrait-on conclure egalement que l’homo oeconomicus ne soit pas entierement rationnel (on le sait surement mais qui a tire les consequences sur le plan de l’equilibre des marches)?
Tout à fait d’accord avec KND.
Par contre, ce qui irait contre votre conclusion sur la rationalité même si en laboratoire elle faillit, est qu’il n’existe pas 2 types d’expériences comme cela (cette expérience est probablement l’équivalent en psycho expérimentale ou cognitive du dilemme du prisonnier ou du jeu de l’ultimatum) mais des centaines. On peut donc parfaitement trouver un cadre conceptuel familier et très peu de gens qui répondent correctement. Ce qui invalide l’explication : si les gens sont familiers, ils ne font plus d’erreurs.
Par ailleurs, le problème de la modularité de l’esprit (ou du cerveau, choisissez votre camp) marche à la fois comme défense de la rationalité comme vous le faites mais aussi dans le sens opposé : ce n’est pas parce que les sujets se comportent rationnellement dans une expérience de labo qui le feraient dans la "vraie vie".
Le problème devient de savoir si la modularité et les capacités d’apprentissage tendent vers la solution rationnelle au sens éco.